LA VALEUR RELIGIEUSE DE LA MUSIQUE ET SA PLACE DANS LE CULTE par M. le Pasteur
LA VALEUR RELIGIEUSE DE LA MUSIQUE ET SA PLACE DANS LE CULTE par M. le Pasteur Alfred GRIESBECK C'est pour moi un très grand honneur que de prendre cet après-midi, pour la première fois, la parole parmi vous ; un hon- neur et une lourde charge. J'ai eu le privilège d'entendre ici même de si remarquables exposés, que j'éprouve quelque appréhension en abordant devant vous aujourd'hui un sujet qu'il n'est pas possi- ble de traiter sans avoir recours aux méthodes un peu arides de la dissertation théologique. Car ce n'est pas par quelques remarques d'ordre général que je voudrais retenir votre attention, ni par quel- que nouvelle diatribe qui s'ajouterait aux trop nombreux articles parus récemment dans la grande presse sur le sujet qui me tient à cœur ; je voudrais essayer d'aller avec vous au fond même d'un problème qui, depuis quelque temps, se présente d'une manière nouvelle et pressante à notre réflexion : La valeur religieuse de la musique et sa place dans le culte. Plusieurs tendances partagent en ce moment les responsables de nos communautés religieuses, tant catholiques que protestantes ou Israélites. Pour les uns, la musique a pris une place trop importante dans le culte, particulièrement au cours de la période du libéralisme du xixe siècle ; aussi désirent-ils épurer à tout prix le culte des éléments non traditionnels, et qui n'ont pour eux qu'une valeur ornementale. La musique, et plus particulièrement la musique instrumentale, est par eux bannie des vrais cultes d'adoration et de louange, d'ensei- gnement et de sacrifice. Pour d'autres, fort souvent, tous les arts, et plus particulière- ment la musique, trouvent leur place dans le culte, car, portés par une sorte de mystique de l'art, ils font de l'Eglise « la patrie des artistes ». ι 132 LA VALEUR RELIGIEUSE DE LA MUSIQUE Il me semble que c'est là mal défendre la place de la musique dans le culte et ne la faire reposer sur aucun principe valable. En vertu de quoi l'Eglise devrait-elle être la protectrice des arts ? Le rôle de l'Eglise, dans son culte, est d'adorer et de glori- fier Dieu, de conduire les hommes à la prière, d'enseigner et d'ex- horter les fidèles, de distribuer les sacrements. Si ces buts exigeaient la disparition de toute musique — instrumentale ou autre — nous en sommes bien d'accord, chanteurs et musiciens n'auraient qu'à plier bagage et à se retirer définitivement dans les conservatoires, les salons et les salles de concert. Non, l'Eglise n'est pas, selon le mot de Solange Corbin, « une « mutuelle » pour les artistes lors- qu'ils sont embarrassés du placement de leurs œuvres. » Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. La question fondamentale que posent aux Eglises et à la Synagogue la musique et le chant sacrés est tout autre. Ce n'est pas d'abord une question historique : les premiers chrétiens ont-ils chanté, ont-ils joué de la harpe dans leurs offices ? Ou, pour le culte Israélite, vivons-nous encore dans la période de deuil qui a suivi la destruction du Temple, ou bien la reconstitution d'un Israël visible permet-elle de nouveau le déploiement de tout le faste instrumental du Temple de Salomon, faste aujourd'hui exprimé par l'orgue ? Ce n'est pas non plus une question esthétique : les cultes ne sont-ils pas plus beaux, plus attrayants quand la musique y a sa place ? Ce n'est pas non plus une question technique : ne faut-il pas que les chants soient introduits et accompagnés par l'orgue ou tout autre instrument ? La question fondamentale est la suivante : la musique a-t-elle une valeur religieuse intrinsèque ? C'est-à-dire, la musique est-elle un moyen qui nous permette de nous « relier » plus facilement à Dieu ? Je répondrai avec force : Oui. Il ne s'agit pas, dans nos églises ou synagogues, de « faire de la musique », mais, selon le mot de Gélineau, « d'entrer, au moyen de l'art musical, dans le mystère du salut ». 9 LA VALEUR RELIGIEUSE DE LA MUSIQUE 133 Permettez-moi de citer à cet endroit quelques lignes de celui qui m'a le plus donné dans la compréhension de la vraie valeur de la musique, Martin Luther. En 1538, dans sa préface à Γ« Harmo nie de la Passion du Christ », il écrivait : « Je souhaite de tout cœur que chacun prenne plaisir à entendre louer et à apprécier ce don de Dieu si merveilleux, la musique. Je suis à ce point submergé par le nombre et l'excellence des qualités de cet art, que je ne sais ni par où commencer, ni par où finir, ni comment trouver de juste mesure lorsque j'en parle ; et cependant, malgré l'abondance dei la matière, je fais un bien piètre et bien pro- saïque panégyriste. Car qui pourrait résumer tout ce qu'est la musi- que... En considérant la chose en elle-même, tu trouveras que, dès le commencement du monde, la musique a été infusée à toute créature... Le Saint-Esprit nous fait deviner là des mystères enchanteurs, mais ce n'est pas le lieu d'en parler. ... Nous ne pouvons aborder ici que ce dont l'expérience témoi- gne : que la musique est l'unique objet, après la parole de Dieu, dont on puisse dire à juste titre qu'elle domine et qu'elle gouverne les passions humaines (je passe ici les animaux sous silence), passions dont les hommes, à leur tour, sont esclaves, et par la violence des- quelles ils se laissent emporter. Nous ne pouvons imaginer, à l'adresse de la musique, de plus haute louange. Car qui donc a plus qu'elle le pouvoir de consoler les affligés, de faire tomber l'excitation des esprits trop joyeux, de donner du courage aux pusillanimes, d'abattre les orgueilleux, de calmer les accès de colère, d'apaiser les esprits hai- neux ? Le Saint-Esprit lui-même honore la musique comme un instru- ment de son ministère propre en témoignant dans les Saintes Ecritures que ses dons, qui sont d'inciter à toutes les vertus, se répandent sur les prophètes par l'intermédiaire de la musique, comme le montre l'exemple d'Elisée le prophète. D'autre part, c'est précisément par la musique qu'on peut chasser le diable, lui qui incite à tous les vices, comme le montre l'exemple de Saul, roi d'Israël. C'est pourquoi les Pères et les Prophètes ont cherché, non sans raison, à lier très étroitement musique et parole de Dieu. De là tant de cantiques et de psaumes qui agissent sur le cœur de l'homme autant par le chant que * ~ par les paroles. Seul l'homme a eu, sur toute autre créature, l'avan- tage de pouvoir joindre la parole au chant afin qu'il sache qu'il est de son devoir de louer Dieu par la parole comme par la musique. ... L'application que l'on met à cultiver sa voix, à l'exercer et à l'étendre, permet de sentir et d'admirer, sans toutefois la comprendre, l'infinie sagesse de Dieu dans cette création merveilleuse, la musique. Aussi, ceux que la musique émeut tant soit peu conviennent qu'en ce monde il n'existe rien de plus admirable. Mais ceux qui n'en sont point touchés, ce sont, ma foi, des ânes bâtés. 3 134 LA VALEim RELIGIEUSE DE LA MUSIQUE Cependant, la musique est chose si importante qu'on ne peut tirer de conclusions en si peu de mots. Pour toi, accueille cette noble, salutaire et joyeuse création, car elle t'aidera à diriger tes sentimene et à lutter contre l'entraînement des penchants honteux et des mau- vaises compagnies. Prends l'habitude de reconnaître dans cette créa- tion le Créateur pour le louer, et cherche à te garder des esprits pervers et des poètes licencieux qui, pour chanter leurs folles amours, abusent de la musique et souillent ce don merveilleux, à la beauté duquel la nature et l'art contribuent. Evite-les et sois convaincu que c'est le diable qui les entraîne à faire quelque chose contre nature, alors que celle-ci ne veut et ne doit, par ce don de Dieu, que louer celui qui l'a donné. » Ces lignes si enthousiastes sur la beauté et la valeur de la musique résument en quelques mots les jugements essentiels de Luther sur la musique, de Luther et de ceux qui se réclameront de lui plus tard, tels un Jean-Sébastien Bach ou un Friedrich Haendel. 1. La musique est un don de Dieu. Luther dit ailleurs : « Après la théologie, c'est-à-dire la connaissance de Dieu, la musi- que est le plus grand don de Dieu aux hommes. » 2. La musique exerce une grande influence sur le cœur des hommes. 3. Sa fonction est essentiellement de louer Dieu. A la question posée tout à l'heure : la musique est-elle un moyen qui nous permette de nous « relier » plus facilement à Dieu et cela tout particulièrement au moment du culte, permet- tez-moi, dans le cadre de cette communication qui ne peut évidem- ment que poser le problème et n'en dégager que les grandes lignes, de faire les remarques fondamentales suivantes : 1. La musique instrumentale autant que vocale a une importance primordiale dans la vie uploads/s3/ anm-1963-1964-131.pdf
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- Publié le Aoû 07, 2022
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