DE QUELQUES AVENTURES DE LA NOTION DU TRAVAIL Author(s): Jean PLAQUEVENT Source

DE QUELQUES AVENTURES DE LA NOTION DU TRAVAIL Author(s): Jean PLAQUEVENT Source: Esprit (1932-1939) , 1st Juillet 1933, Vol. 1, No. 10 (1st Juillet 1933), pp. 475-559 Published by: Editions Esprit Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24559542 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Esprit (1932-1939) This content downloaded from 41.82.212.193 on Thu, 30 Jun 2022 00:37:31 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms DE QUELQUES AVENTURES DE LA NOTION DU TRAVAIL par Jean PLAQUEVENT ËTYMOLOGIE. L'étymologie du mot travail a donné lieu, au XIXe siècle, à bien des contestations, La notion de travail com mençait alors à venir au premier plan des préoccupation morales et politiques ; il semblait inportant de savoir so quelle figure elle s'était montrée en naissant. On a successivement et simultanément prétendu que le travail venait du latin tribulum : herse (Ferrarri) d'où e venu tribulation; de transvigilia : veille (Sylvius), de l'it lien vaglio : tamis et que travagliare signifierait proprement secouer (Muratori) ; on l'a fait aussi venir du kymriq traford qui a le même sens que travail (Wachter) ou du g lique trealh : labourer. D'autres ont prétendu que travail était un rejeton de travar : arrêter, empêcher, d'où vien le français entraver et que travar venant lui-même de tra poutre, pièce de bois ; travailler aurait signifié propreme mettre des bâtons dans les roues, d'où le sens de contrarie tourmenter. Mais c'était encore l'âge héroïque de l'étymologie où la moindre analogie donnait lieu de croire à une parenté. Les récents progrès de la phonétique ont imposé depuis une méthode qui fait perdre à la fantaisie, voire à l'ingé This content downloaded from 41.82.212.193 on Thu, 30 Jun 2022 00:37:31 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 476 ŒUVRES niosité, ce que l'o sûreté de résultat. D'après la seule é (1932) travail vien Le tripalium était une machine form tir les bœufs ou le sens s'est conserv du maréchal ferran Mais on le trouv au sens d'instrum Concile d'Auxerre ad tripalium rei t donc d'abord tortu vailler», comme l'a au Moyen-Age qu souffrir ou faire vailleur le bourre c'est seulement au commence à être Ce n'est donc que t en le renforçant mantique du latin tianisme avait, du la notion. NOTION DE TRAVAIL CHEZ LES ANCIENS. Dans les divers sens où l'employaient les anciens, le terme labor n'était pas moins péjoratif, au contraire. Il désignait tout effort suivi, mais surtout pénible, toute entreprise fatigante, voire tout souci, chagrin, désastre, toute souffrance, douleur, calamité, maladie. «Scis laborem meum » signifie : « Tu connais mes misères ». « In labore meo : » « dans ma disgrâce » (Ciceron). « Supremus Trojœ labor » (Virgile) : « les suprêmes malheurs de Troie ». « Frumentis This content downloaded from 41.82.212.193 on Thu, 30 Jun 2022 00:37:31 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms AVENTURES DE LA NOTION DE TRAVAIL 477 labor » est la maladie du blé. Nervorum labores, les mala dies nerveuses. « Laborare ex pedibus », c'est avoir la goutte. «Laborare fame », c'est souffrir de la faim. « Labos », « La Peine » était au nombre des divinités infernales, et les poètes le faisaient naître comme dans d'autres maux de l'Erebe et de la Nuit. Le labeur n'était pas seulement redouté comme un mal, il était maudit et méprisé. Comme il n'en était pas moins nécessaire à la subsistance des hommes libres, on le réser vait à l'humanité inférieure des esclaves. Le labeur était une servitude imposée par la force et dégradante par sa nature. « Vulgaire, dit Sénèque, est l'art des ouvriers qui œuvrent de leurs mains, mais il est sans honneur et ne sau rait revêtir même la simple apparence de l'honnêteté ». Il y avait bien quelques ouvriers libres dont le travail était payé, mais le salaire qu'ils touchaient était consi déré comme humiliant. On l'appelait dédaigneusement « auctoramentum servitutis » et Ciceron n'hésite pas à proclamer dans le « De officiis » que « jamais rien de noble ne pourra sortir d'une boutique ou d'un atelier ». C'est dans cet esprit que dès l'époque impériale et surtout dans la langue écrite, on commençait à employer indistinctement opus ou labor, operari ou laborare pour désigner indistinctement toute espèce de travail manuel. De leur côté, les Grecs reprochaient à Socrate comme une inconvenance, de tirer ses exemples des occupations des foulons ou autres arti sans. Enfin, s'il faut en croire Herodote, les Egyptiens, les Scythes, les Thraces, les Perses ou les Lydiens ne pensaient pas là-dessus autrement que les Grecs et les Romains. César, Pline, Justin, témoignent de la même opinion courante en Germanie, dans les Gaules, en Espagne. Bref, le labeur était considéré partout comme une peine et com me une honte. This content downloaded from 41.82.212.193 on Thu, 30 Jun 2022 00:37:31 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 478 ŒUVRES I RÉVOLUTION CHRÉTIENNE DE LA NOTION DE TRAVAIL Le Christianisme laissa au labeur son caractère de peine, mais il lui conféra une dignité jusqu'alors insoupçonnée. Il en fit pour tous ses fidèles un devoir rédempteur, exacte ment une croix. « Une révolution s'opéra insensiblement dans les idées et cette révolution est l'œuvre du Christianisme », écrivait en 1908, M. Louis Garriguet, prêtre de Saint Sulpice, dans son important ouvrage sur le Régime du Travail. Et cette révolution, M. Garriguet ajoute qu'elle avait « son point de départ dans les exemples du Christ, la conduite des Apôtres et les persévérants enseignements de l'Eglise ». A la lumière de l'Evangile, l'Eglise, en effet, tirait de la Sainte Ecriture et repensait dans le mode humaniste à la grecque, et dans le mode social à la romaine, une doc trine de l'activité humaine qui devait insensiblement trans former de fond en comble l'économie du monde. LE TRAVAIL DANS LA BIBLE. La Genèse dit que lorsque Dieu créa la terre, il n'y avait personne pour la cultiver, « ut operaretur terram » (Gen. I, 5), mot à mot pour mettre en œuvre la terre. Dieu met l'homme dans le jardin d'Eden « ut operaretur et custodiret ilium » (Gen. II, 15), «pour qu'il le cultive et qu'il le garde ». Pas plus que le texte original hébreu, le grec des Septantes έργαζάσ-θαι n'a donc le sens de travailler com me lorsqu'on dit : « travaillez, prenez de la peine ». La seule différence avec les conditions de vie qui suivront la chute prouve bien qu'il ne s'agissait que d'une activité intéres sante, paisible, destinée à l'accomplissement même de l'être humain. Le travail proprement dit, c'est-à-dire l'exercice péni This content downloaded from 41.82.212.193 on Thu, 30 Jun 2022 00:37:31 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms AVENTURES DE LA NOTION DE TRAVAIL 479 ble des forces humâmes n'apparaîtra par la suite que com me une conséquence funeste du péché originel. Comme il avait été mérité par tous en Adam ainsi que par les infidélités de chacun de ses fils, la charité entre frères faisait donc un devoir de répartir équitablemen cette pénitence entre tous. II n'est pas même certain que la nature pure de l'homme exigeât que ses occupations fussent pénibles, car Dieu n'au rait eu alors aucune raison de jeter au sol la malédiction qu suivit le péché : « Maudit est le sol à cause de toi. C'est en peinant que tu en tireras la nourriture tous les jours de ta vie ; et il te produira des épines et des chardons, et tu men geras l'herbe des champs ». « C'est à la sueur de ton visag que tu mangeras ton pain jusqu'à ce que tu retournes à la terre dont tu as été pris » (Gen. III, 17, 18, 19). Et lorsqu plus tard, Lamech donne à son fils ce nom de Noé, qu signifie repos, ce qu'il en dit rend le son émouvant du cr de cette longue lassitude : « Il nous consolera, dit-il, d œuvres et des travaux de nos mains, sur cette terre que le Seigneur a maudite » (Gen. V, 29). Il se peut d'ailleur que ce châtiment du travail soit lui-même consécutif à la science infuse d'Adam. Si l'homme avait connu les secrets de la nature, il semble qu'il en eût aisément capté le forces à son service. Au lieu que dans l'ignorance où i était retombé, il ne pouvait plus que ruser gauchement ave elle et lui arracher de force de quoi se vêtir et se nourrir Ce n'est qu'au bout d'un long purgatoire de recherches et d'efforts qu'il parviendrait à retrouver quelques moyens d l'asservir. En attendant, à l'activité libre, agréable, accomplissante qu'avait connue l'homme achevant par son art l'œuvre de la création, se uploads/s3/ 24559542.pdf

  • 17
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager