1 ART ET PSYCHANALYSE : ENTRE ART ET PSYCHANALYSE : ENTRE SENS ET JOUISSANCE SE
1 ART ET PSYCHANALYSE : ENTRE ART ET PSYCHANALYSE : ENTRE SENS ET JOUISSANCE SENS ET JOUISSANCE Anita Anita Izcovich Izcovich " ...puis il traça lui-même, avec une autre couleur, une ligne encore plus fine sur la première (...). Apelle revint et, rougissant de se voir surpassé, il refendit les lignes avec une troisième couleur, ne laissant nulle place pour un trait plus fin. Protogène alors (...) fut décidé de garder ce tableau pour la postérité comme un objet d'admiration, universel certes, mais tout particulièrement pour les artistes. J'apprends qu'il a brûlé (...) ; nous avions pu le contempler auparavant : sur une grande surface il ne contenait que des lignes échappant presque à la vue et, semblant vide (...)". Pline l'Ancien, Histoire naturelle , Livre XXXV, p.72 L'art apparaît là comme le trait qui se fend jusqu'à disparaître pour s'ouvrir sur l'illusion du vide et être détruit, brûlé : c'est ce qui fait son universalité. La question qui surgit alors est de savoir ce que l'art mobilise dans le champ de la jouissance. Quel est le rapport du discours en histoire ou philosophie de l'art à la jouissance, son approche se centre-t-elle sur le vide, ou au contraire sur le sens et la totalité de la forme ? Concernant la psychanalyse, il s'agira de démontrer comment Lacan, dans ses références à l'art, ne s'est pas situé dans le registre du sens, mais a développé un concept, celui de jouissance. C'est suite à ce parcours que nous en viendrons aux œuvres d'art elles-mêmes, à la question de savoir en quoi la psychanalyse peut éclairer le champ de l'art ou préciser les formations et l'économie de jouissance, pour en arriver aux conséquences de ces élaborations sur le discours analytique. 2 Discours et histoire de l'art Nous nous demanderons dans un premier temps, en référence à un historien de l'art, Erwin Panofsky, dont l'œuvre s'étend sur plus de 50 ans, ce qui sous-tend son discours. C'est le sens des œuvres d'art qu'il se propose d'interroger, selon plusieurs orientations théoriques. Tout d'abord celle du néo-kantisme, sensible dans son article de 1920 Le concept de Kunstwollen (1) : le "sens immanent" d'une œuvre doit être dégagé grâce à des concepts fondamentaux déduits a priori, ramenant par là même l'histoire des formes artistiques à une dialectique de catégories à valeur universelle. C'est ensuite à partir des études menées par Aby Warburg que Panofsky est passé de la sphère transcendantale au plan socio-historique : le sens est alors élaboré à partir de la mise en relation des motifs artistiques du tableau avec la tradition littéraire ou culturelle. Suite aux travaux d'Ernst Cassirer parus dans La philosophie des formes symboliques (2), il a interprété le sens des formes comme symbole d'une culture, de la pensée d'une époque. C'est ce qui a donné l'orientation à plusieurs ouvrages, où il développe que le système de représentation de l'espace est l'expression symbolique de la forme de pensée, ce qu'il appelle encore « la mentalité de base » ou le « symptôme » d'une nation (3). Par exemple il démontrera que la théorie des proportions dans l'art égyptien – la subdivision de la surface en carrés égaux – reflète une pensée dirigée non vers le variable mais vers le constant, matérialisant le concept d'éternité. (4) Il apparaît donc que le discours de Panofsky, dans ses différentes orientations, concerne le sens d'une œuvre d'art, dont l'exigence est la totalité : la forme et le contenu, l'individu et la société sont soumis à un principe unique d'ordre conceptuel. Si nous touchons, avec cet auteur, à l'universel du discours, nous nous demanderons quelle est l'orientation d'une élaboration qui se référerait à la fois à l'histoire de l'art et à la psychanalyse. C'est Meyer Schapiro qui retiendra notre attention, puisque même s'il a pu lui aussi, notamment dans son article La notion de style, considérer le style esthétique comme une « manifestation de la culture comme totalité », « la projection de la forme intérieure de la pensée et du sentiment collectifs » (5), il s'est s'intéressé à la psychanalyse. En effet, dans son article Léonard et Freud : une étude d'histoire de l'art (6), il étudie le texte de Freud sur Léonard de Vinci, déplorant l'absence d'analyse du point de vue de l' histoire de l'art jusque-là. Son intérêt porte sur le sens de ce qu'il appelle la personnalité de Léonard et sa critique porte sur une erreur concernant l'interprétation du fantasme du vautour, puisque la traduction exacte renverrait non à cet animal comme l'a pensé Freud, mais au milan. Schapiro contredit alors l'interprétation du vautour en rapport avec la fixation à la mère et le fantasme homosexuel, argumentant que le milan renvoie, aussi bien dans les écrits de Léonard que dans les textes de l'époque qui auraient pu l'influencer, à la construction de machines volantes et au présage d'une 3 grandeur future. Là encore, le discours vise la vérité des matériaux de la culture qui va permettre l'analyse de la personnalité d'un peintre, qui de toutes façons va être l'inscription particulière de la totalité de la culture. Prenons à présent un deuxième exemple, avec Hubert Damisch, historien de l'art et philosophe, qui a subi l'influence de Freud et de Lacan. Nous nous référerons à son ouvrage sur la théorie de la perspective (7), dans lequel il critique à la fois la culture comme tout organique et synchrone, et la forme idéale du modèle de représentation prêtant à des développements symboliques. Il abandonne l'idée de l'homme comme humaniste ou sujet du cogito cartésien, pour emprunter à la psychanalyse, une élaboration du Séminaire XI de Lacan, celle du sujet captivé dans le champ de la vision, mais dans un rapport au désir qui reste énigmatique, introduisant à la fonction du manque. C'est ainsi qu'il ne va pas considérer la perspective comme une langue au sens saussurien d'un système de signes distincts, mais comme ce qu'il appelle un « paradigme » ou « dispositif régulateur » à travailler là où « son intervention est la moins visible », à savoir dans des « repères peu cohérents », s'employant alors à « défaire, déconstruire la perspective ». (8) En conclusion, Damisch n'emprunte pas les concepts psychanalytiques pour nourrir le sens des œuvres d'art, mais afin de situer la fonction du manque dans sa démarche elle- même, au cœur de son discours. Sa démonstration porte sur des éléments qui échappent au discours, qui décomplètent la totalité de la forme, ce qui est une avancée d'importance dans l'histoire ou la philosophie de l'art. Si nous avons jusque-là pris en considération le rapport du discours sur l'art à la psychanalyse, nous nous demanderons à présent quelles sont les thèses lacaniennes concernant l'art. Psychanalyse et art Nous nous proposons de suivre comment Lacan a articulé la question entre art et jouissance à différents moments de son enseignement. En 1959-60 (9), il conceptualise la jouissance comme structuralement inaccessible : la barrière de l'inaccessibilité de la femme dans l'amour courtois, du « Beau n'y touchez pas » et « l'entre-deux-morts » d'Antigone, la limite de la loi et du commandement kantiens. La jouissance est caractérisée par le vide, celui du vase d'Heidegger. D'où la fonction de l'art de le façonner, à travers la métaphore du potier, dans une création à partir de rien, ou dans un leurre qui transforme la Chose en autre chose pour la néantiser. Les références à l'art permettent de conceptualiser la jouissance comme ce qui est hors symbolique et appartenant au réel. 4 Cette jouissance que Lacan a située comme réelle et impossible dans le Séminaire VII, il va, en 1964 (10), l'appréhender à travers l'objet regard, qui est cet objet perdu logé dans le vide contourné par la pulsion. C'est ainsi qu'il l'articule au –ϕ de la castration, l'incluant dans la dialectique de l'être et de l'apparence, la schize de l'œil et du regard, à partir de plusieurs exemples, notamment celui de l'anamorphose des Ambassadeurs d' Holbein. C'est ce qui l'amène au concept de sujet divisé dans la structure du fantasme, inscrivant sa jouissance dans l'objet a qui peut être perdu ou retrouvé. Et c'est ce point qu'il reprendra en 1965-66 (11), à partir du tableau Les Ménines de Velasquez : l'objet a, qui inscrit la jouissance et sert de monture au fantasme du sujet divisé, est là matérialisé par la topologie, construite à partir du montage de la perspective. Nous noterons ensuite un tournant à partir des années 1970. En 1969-70 (12), l'objet a n'est plus l'objet pulsionnel perdu symboliquement, mais l'objet qui, à partir de sa perte, inscrit le plus- de-jouir: le point d'insertion de l'appareil signifiant, c'est la jouissance, et le corps est affecté par la jouissance. Comme le dit Lacan dans Radiophonie à la même époque, la structure s'attrape là où « le symbolique prend corps », et « on n'énumère la jouissance qu'à la faire rentrer dans le corps ». (13) En 1972-73 (14), l'accent n'est plus mis sur la division du sujet mais sur la disjonction entre l'homme et la femme, entre uploads/s3/ art-et-psychanalyse-entre-sens-et-jouissance.pdf
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- Publié le Aoû 28, 2022
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