Le vidéo-clip : art total ou drogue électronique ? Par Philippe Marion et Chant

Le vidéo-clip : art total ou drogue électronique ? Par Philippe Marion et Chantale Anciaux Conférence, Institut Sainte-marie, 6200 Châtelet, mai 1986 Les années '80 ont vu naître une nouvelle forme esthétique au carrefour de l'image, de l'électronique et de la vidéo. C'est un produit de consommation de masse lié à des exigences de promotion. Pour fixer dès le départ un ordre de grandeur, on estime que le "cliptomane" belge se régale en moyenne 3 heures par semaine, pour 4-5 h/semaine dans les pays anglo-saxons. Le phénomène est très intéressant en ceci qu'il témoigne d'un tout nouveau rapport image-son. 1. Historique Fils de Monsieur Cinéma et de Madame Musique le vidéo-clip est né de la Télévision et a les yeux de Tante Publicité Ce titre, publié dans le journal Le Monde en 1983, campait bien le phénomène. Les vidéo-clips nous ont rendu la musique visuelle. Le clip, disent certains, est un bâtard: trop long pour une pub, trop court pour un film, il est par contre un terrain permissif qui emprunte à tous... Faisons d'abord un petit tour du côté de l'histoire des images filmées. Le clip emprunte avant tout au cinéma:  en 1929 déjà, un cinéaste de Moscou Dziga VERTOV vantait la technique du montage qu'il comparait à une "re-création" artistique du réel. Dans son film, "L'homme à la caméra", le montage a un rôle tout à fait actif: c'est lui qui rythme tout le film. On retrouvera cette conception organisatrice du montage 50 ans plus tard dans l'art du vidéo- clip.  en 1940, quand Walt Disney crée "Fantasia", il adapte une vision imagée sur un support musical donné. Vous vous souvenez sûrement de tous ses films où les images sont parfaitement synchronisées avec la musique: exactement ce qui se passe dans un clip.  en 1964, les scopitones envahissent les petits bars en France. Le principe est simple: comme dans un juke-box, on met un franc, on choisit sa chanson, une bobine de 16 mm se met en place et on voit un film de 3 minutes environ sur le petit écran avec des vedettes comme: Johnny Hallyday qui chante en play-back sur sa moto, Sheila ou Henri Salvador qui remue ses antennes de martien vert. L'homologue du scopitone existait déjà aux États- Unis, 20 ans plus tôt, dans les années 40-46 sous le nom de soundies. Il reste des témoignages des artistes de l'époque tels que Lionel Hampton et Duke Ellington.  dès 1965, l'artiste sud-coréen Nam June Paik ouvrait les voies de la création vidéo. Il voyait dans l'utilisation de l'électronique et de la vidéo, un moyen de contrer la crise économique et énergétique qui pesait sur l'expansion des arts visuels à cette époque. Nam June Paik qualifiait le nouveau média de "pinceau électronique". Ses premiers films en vidéo jouaient surtout sur le parasitage du signal vidéo.  en 1977, naît le premier véritable clip: celui de Queen pour sa chanson "Bohemian Rhapsody". Résultat immédiat, le groupe se retrouve n°1 des Hit Parade du monde entier.  C'est alors le départ du clip comme outil de promotion d'une chanson et des artistes comme Rod Steward, les Rolling Stones et les Bee Gees se mettent également à l'utiliser  A partir de 1979, les maisons de disques qui espèrent redresser la vente des 33 tours en déclin, investissent dans la production de vidéo-clips pour faire connaître leurs chanteurs.  En 1981 commence l'industrialisation du vidéo-clip Dès ses débuts, on reconnaît l'influence de la publicité dans l'art du vidéo-clip. Le montage "cut", haché et percutant est dicté par le rythme de la bande-son. On voit également très vite l'émergence de nouveaux trucages que le vidéo art avait déjà commencé d'expérimenter avec Nam June Paik et d'autres artistes du groupe d'avant-garde Fluxus. Les clips utilisèrent également des mises en scènes de plus en plus élaborées héritées du rock théâtral. Vous vous souvenez peut-être des groupes Pink Floyd et Emerson qui furent les premiers à insérer des morceaux de films dans leurs shows en public. Si, au début, le clip était une simple mise en image d'une chanson, il se perfectionna très vite par une multiplication des genres, d'abord les clips empruntèrent des images au cinéma, à la bande dessinée et même aux actualités puis ils utilisèrent de plus en plus d'effets chocs et de trucages suscitant la surprise des téléspectateurs. L'important était alors de miser sur l'impact d'une nouvelle imagerie encore inconnue du public. 2. La fonction promotionnelle du clip. On évalue la production de ces deux dernières années à environ 5.000 unités avec une hégémonie manifeste des variétés nord-américaines(1500 titres par an) et anglaises (700 titres/an). Il n'est pas inutile de remarquer que la vogue du clip renforce une tendance déjà présente et diffuse sur les écrans une culture musicale déjà largement prédominante et répand une culture iconique issue du même moule. Aux États-Unis, cette production est principalement écoulée sur M T V. qui programme des clips 24 heures sur 24. Le prix moyen d'un clip se situe autour de 40.Q00$ avec quelques records: 50.000.000 F FB pour "Thriller" de MichaëI Jackson , 30.000.000 FB pour David Bowie ou Elton John. Dans ce marché, la Belgique se défend bien avec trois a.s.b.l.: Dream Factory, Traffic, Video Promotion. Toutefois, à cause notamment de récentes mesures protectionnistes, l'industrie belge du clip se recycle et se tourne vers la publicité (B.B.L, Office du Tourisme espagnol) ou la propagande politique (clip du Parti Socialiste pour les élections belges de 1985). Aux États-Unis, Nancy Reagan en personne n'hésite pas à apparaître dans un clip anti-drogue "Stop the Madness" Le clip est devenu un outil indispensable de promotion du disque ou du groupe. Lorsque E.M.I. l. Belgium souhaite lancer le groupe T.C.Matic, la firme consacre 1.500.000 de francs sur un budget total de 2.500.000 à la création par Traffic d'un clip ("elle adore le noir pour sortir le soir") Devant l'accroissement des frais de production, on assiste à un changement de politique:  on enregistre de plus en plus des clips lors de captations TV="fast-clips"  on demande aux télévisions de payer pour chaque passage du clip (en Belgique, chaque passage coûte 5.000F r) Toutefois le rendement est certain. Après 5 à 6 passages par jour, un groupe inconnu devient célèbre. On estime que la diffusion d'un clip fait augmenter les ventes du disque de 10 à 12%. Si, actuellement, les émissions de musique continue ("Clip Connection" sur R.T.L.) connaissent une certaine désaffection du public, on ne voit pas comment on pourrait faire marche arrière. Le clip reste un instrument de promotion indispensable. C'est une nouvelle image du chanteur qui apparaît, le clip est attendu davantage que le disque. Mais pour faire un clip, il faut un look, c'est-à-dire une nécessaire adéquation entre l'image d'un chanteur et sa musique. L'exemple de Richard Anthony qui refuse depuis 10 ans tout passage parce que pour le public son image sonore ne correspondait pas à son image physique, est célèbre. La diffusion massive de clips suscite un problème en ce qui concerne l'idéologie dans la mesure où il apparaît comme un produit de consommation lié au grand capital. La diffusion intensive est assurée à ceux qui payent cher. Le système renforce donc la position des vedettes. 3. Petite sociologie du clip Si le clip offre un vaste champ d'expériences à la créativité, il semble par certains aspects fort stéréotypé quand il reste le privilège d'une musique commerciale seule capable de s'offrir ce luxe coûteux ou lorsqu'il utilise les nombreux clichés empruntés au cinéma et plus particulièrement au western. Il est la vitrine des looks les plus variés et les plus "modes" de notre époque. 4. Le vidéo-clip: un art total ? "artistique": il y a tout lieu de le penser en voyant la façon dont l'art du clip a renouvelé les techniques traditionnelles du montage. "totalement artistique": ça c'est une autre histoire car la production comme l'évolution des clips est liée au commerce autant qu'à la culture. Mais qu'est-ce au juste que cet art du montage que le vidéo-clip aurait révolutionné ? Le montage d'un clip consiste à mettre bout à bout les différentes séquences qui le composent. C'est le même procédé que vous utilisez lorsque vous enregistrez différents morceaux de musique sur une bande magnétique. On dit souvent que le clip vidéo administre une série de claques dans les yeux. C'est qu'il est fait pour accrocher et pour créer un maximum d'émotions en très peu de temps. Souvent très denses, les images d'un clip sont leurs ponctuations visuelles du rythme musical. Non seulement elles se suivent et ne se ressemblent pas, mais le passage d'une image à l'autre est souvent brusque, net, sans transition et sans égard pour la rétine du téléspectateur. Les différents plans qui composent un clip sont généralement brefs, ils sont donc nombreux. Un clip dure en moyenne 3 minutes et comporte plus ou moins 50 plans, soit 3 à 4 secondes par plan seulement. Le passage brusque d'un plan à l'autre résulte de ce qu'en "montage" on appelle la coupe uploads/s3/ le-video.pdf

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