L'ART COMME JUBILATION CRITIQUE Elisabeth Caillet avec la collaboration de Cath
L'ART COMME JUBILATION CRITIQUE Elisabeth Caillet avec la collaboration de Catherine Bâ Nous considérerons ici l'activité créatrice de l'art comme homologue à celle du scientifique qui imagine ses concepts, du technicien qui Imagine ses dispositifs. L'art n'est donc pas examiné comme Illustrateur des "découvertes" de la science ou de la technique (rôle qu'il Joue souvent dans des expositions et musées scientifiques et /ou techniques) ; il est bien plutôt à considérer comme acte d'un imaginaire créateur au même titre que l'activité de recherche scientifi- que. Mais le travail de l'artiste qui se saisit des concepts scientifiques ou techniques est-il du même ordre que celui du chercheur, de l'inventeur ?Afin d'avancer dans cette réflexion, nous l'aborderons sous un angle particulier : celui de la mise en vue des oeuvres et opérations des deux types d'acteurs, à l'occasion de certaines expositions dans lesquelles on a cherché à établir un dialogue entre les deux approches. Puis nous analyserons certains aspects des premières actions expé- rimentales de classes inter-musées sciences et arts. Les expositions que nous examinerons sont celles qui ont précédé la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette. Il s'agit des "Machines Célibataires", exposition qui se tint au Musée des Arts Décoratifs en 1976 ; d'"Electra", exposition qui se tint au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 1983 ; et des "Immatériaux" qui eut lieu au Centre Georges Pompidou en 1985. A partir de l'évolution des relations arts et sciences/ techniques au cours de ces trois manifestations1 nous étudie- rons les relations particulières qu'arts et sciences/techniques ont eues à la Cité des Sciences et de l'Industrie en y intégrant un travail particulier : celui de classes inter-musées arts et sciences que la Direction des Musées de France a initiées en 1988-89 avec la Cité2. (1) Ces constats ont déjà été rapportés au colloque "Arts et Sciences" de l'Ecole des Beaux-Arts de Douai en 1988 ainsi qu'à un colloque similaire qui eut lieu à la CSI en 1988 également. Ces deux colloques étaient organisés par Claude Faure, responsable de la cellule de politi- que artistique de la CSI. (2) Cette expérimentation a été conçue et réalisée par Renée Clair pour la CSI et par Catherine Bâ et Monika Barbe pour la DMF. ASTER N°9. 1989. Les sciences hors de l'école. INRP. 29. rue d'Ulm. 75230. Paris Cedex 05. 44 1. LES MACHINES CÉLIBATAIRES Cette exposition se tient au Musée des Arts Décoratifs, en 1976. Son propos est conçu par Harald Szeemann. Pour la compren- dre, il est nécessaire de la situer dans la problématique proposée par Szeemann. En 1913, Marcel Duchamp crée l'expression de "machine célibataire" pour désigner la moitié inférieure de son "Grand Verre" ("La mariée mise à nue par ses célibataires, même"). En 1954, Michel Carrouges publie Les Machines Célibataires, livre où il présente ce thème comme "mythe moderne". Il analyse les structures du Grand Verre et d'oeuvres littéraires diverses (Le Puits et le Pendule d'Edgar Poe, L'Eve future de Villiers de l'Isle Adam, le Surmâle d'Alfred Jarry, Locus Solus et Impressions d'Afrique de Raymond Roussel, La Colonie Pénitentiaire de Kafka). Le mythe que dégage Carrouges "signifie de façon évidente l'empire simultané du machinisme et du monde de la terreur... Quadruple tragédie de notre temps : le noeud gordien des interférences du machinisme, de la terreur, de l'érotisme et de la religion ou de l'anti-religion"3. Les machines célibataires, perçues dans un premier temps comme machines de mort, s'avèrent en définitive, par une sorte de "traversée du miroir"4 la 'machine suprêmement ambiguës : elles affirment simultanément la célibataire" : un puissance de l'érotisme et sa négation, celle de la mort et de mythe ambigu l'immortalité, celle du supplice et du wonderland, celle du foudroiement et de la résurrection". En 1973, G. Deleuze et F.Guattari publient L'Anti-Oedipe . Le concept de "machine célibataire" est alors utilisé pour opérer une synthèse entre la "machine désirante" et la "machine miraculante" : la première rejette le corps par la mise en place d'une nouvelle machine qui permettra "la naissance d'une humanité nouvelle et d'un organisme glorieux". Les machines célibataires sont donc plus qu'un outil conceptuel permettant de mieux comprendre "les relations entre les sexes, le fonction- nement de l'Histoire, la relation de l'homme à une instance supérieure"5. Elles augurent d'un nouveau mode de relations entre tous ces pôles qui interagissent : un fonctionnement que l'exposition a pour charge de "visualiser"6. La machine céliba- taire "manifeste quelque chose de nouveau, une puissance solaire (...). Il y a une consommation actuelle de la nouvelle (3) Les Machines Célibataires, Arcanes, p. 24-25. (4) M.Carrouges, idem p. 207 à 244. (5) Jean Clair, avant-propos du fascicule ronéotypé portant le titre de l'exposition. (6) Harald Szeemann, Les Machines Célibataires, texte ronéotypé servant de catalogue à l'exposition. 45 vers une nouvelle alliance entre la machine et le sentir une exposition de machines imaginaires des machines à faire de l'art machine, un plaisir qu'on peut qualifier d'auto-érotique ou plutôt d'automatique où se nouent les noces d'une nouvelle alliance, nouvelle naissance, extase éblouissante comme si l'érotisme machinal libérait d'autres puissances illimitées"7. Dès lors, ce que produit la machine célibataire, c'est une expérience fondatrice, un "JE SENS" qui se substitue au "JE PENSE". Intensités, passages qui ancrent définitivement l'es- prit sur la matière, nient l'écart, la séparation. C'est pourquoi Deleuze et Guattari rapprochent cette expérience de celle d'Artaud qui recherche "cette émotion qui rend à l'esprit le son bouleversant de la matière, tout l'âme s'y coule et passe dans son feu ardent"8. Le pouvoir de telle production machinée est donc essentiellement révolutionnaire : non seulement dans cette nouvelle conception du sujet sans cesse recommencé, mais aussi et surtout en ce que c'est l'état produit par la machine qui constitue le sujet qui le vit. "Le sujet s'étale sur le pourtour du cercle dont le moi a déserté le sens"9. L'exposition elle-même présente donc des machines imaginai- res, impossibles, gratuites, délirantes. Célibataires, c'est-à- dire comportant nécessairement une composante sexuelle refoulée, par le machinique précisément. La machine globale met donc en scène la relation complexe qui se noue entre ses deux éléments constitutifs : l'organique, le désirant et la machinique. L'énergie qui a sa source dans l'organique est repliée sur elle-même par le machinique qui la transforme en répétition indéfinie, sorte d'immortalité obsédante qui mime la reproduction interdite, celle de l'engendrement. Du côté des "machines à faire de l'art", on voit le passage entre l'interdiction de la procréation et l'art qui surgit comme substi- tut. Gratuité et aléatoire caractérisent ces machines qui pren- nent statut esthétique. Telles sont les machines de Kowalski ou de Tlnguely. Piotr Kolawski dit : "Pour moi, la machine est un système automatique pour obtenir des formes, et pas selon nos préjugés propres, c'est-à-dire selon notre goût, notre culture, ou selon les sens soi-disant esthétiques. On peut donc créer toutes les formes à travers une loi objective". La "Machine pseudo- didactique" (1961) semble répondre à cette définition, sculp- ture aléatoire faite d'une membrane systématiquement défor- mée sur laquelle circule un volume liquide matérialisé par de la dorure en suspension"10. Tinguely parle, en 1955, de "méta-mé- canique", de machines qui sont des anti-machines. "Essayer de (7) G.Deleuze et F.Guattari, L'Anti-Oedipe, capitalisme et schizophrénie,. Les Editions de Minuit, collection "Critique", 1973, p. 25. in "le Pèse-Nerfs", cité par Deleuze et Guattari, o.e. p. 26. Pierre Klossowski, Nietzsche et le cercle vicieux, cité par Deleuze et Guattari, p. 26. (10) Catalogue des "Machines Célibataires", p. 2-7. (8) (9) 46 création artistique et autres créations machine et vivants comprendre la machine, de démêler nos rapports confus avec la technique me semble aujourd'hui une des tâches les plus importantes qui soient". En 1956, il crée la série des "méta- matics" qui sont des machines à faire de l'art. En 1959, il en crée trente. En 1960, il fait "Le Cyclograveur"1 \ Ce qui est alors, à un premier niveau, questionné dans cette exposition, c'est le sens même de la création artistique par rapport à toutes ces autres "créations" humaines que l'indus- trie rend possibles. L'art change de statut quand l'homme peut "créer" des machines qui peuvent aller jusqu'à le détruire. Refuge pour la création pure alors que toute opération créatrice porte en elle le danger de sa propre annulation. Mais à un second niveau, ce qui est affirmé c'est la possibilité d'un nouveau type de sujet : celui qui dit "JE SENS" et refonde à chaque instant le monde comme ce dont il est l'effet. Annule du coup l'exigence même de la fondation par un bout pour montrer la réciprocité de la fondation. Pose les signifiants comme figures dans une théorie générale de la société comme théorie généralisée des flux12. Rapproche ainsi la "machine" et le "vivant". Permet un usage croisé des concepts des deux champs. une exposition sur art et science autour de la "fée électricité" comment les artistes peuvent intégrer les nouveaux éléments technologiques 2. ELECTRA Décembre 1953, "Electra" : "l'électricité et l'électronique dans l'art du 20ème siècle". Il s'agit pour EDF de fêter le centenaire de la Société Française des uploads/s3/ artcommejubilationcritique-pdf.pdf
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- Publié le Oct 22, 2021
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