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HAL Id: hal-00770219 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00770219 Submitted on 4 Jan 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. De la musique contemporaine à la société Makis Solomos To cite this version: Makis Solomos. De la musique contemporaine à la société. Revue Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société, 2005, p. 49-61. hal-00770219 De la musique contemporaine à la société Makis Solomos Revue Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société n°1, Paris, premier semestre 2005, p. 49-61. La musique et la musicologie vivent actuellement des changements importants qui instaurent progressivement une nouvelle approche générale du phénomène musical. Il est un domaine particulièrement important pour comprendre ces évolutions : celui de la musique dite contemporaine. Tant les musiques qui s’inscrivent dans son champ que les discours musicologiques qui les prennent pour objet sont entrés dans une ère de mutation à l’issue encore incertaine. Ces mutations peuvent susciter des craintes : certains redoutent qu’elles n’entraînent la fragilisation, voire la disparition, par voie de marginalisation, d’autodissolution ou d’extinction de la musique contemporaine. Ce pessimisme, qui conduit à une position de repli, survient lorsqu’on associe ces changements au triomphe de l’économie marchande et à tout ce qui, dans le monde actuel, constitue une menace objective à l’encontre de la culture ; ce qui revient à les interpréter comme des pressions extérieures, que la musique contemporaine subirait et face auxquelles sa vocation ultime serait de résister en se repliant sur elle-même. Je souhaiterais suggérer dans cet article que, d’une part, une partie de ces évolutions découlent au contraire d’une autocritique interne de la musique contemporaine ; et que, d’autre part, loin de constituer une menace pour son avenir, elles conduisent à la revivifier. Mais qu’est-ce que la « musique contemporaine » ? La tentation du repli existe peut-être parce qu’on se la représente comme un champ homogène, clos sur lui-même, dont l’histoire serait linéaire. L’éclatement actuel de ce champ montre bien qu’il n’en est rien. A vrai dire, la musique contemporaine n’a jamais été homogène : il y a toujours eu des lignes de fracture ; il y a toujours eu des choix quant à ce qui devait ou pas y figurer. Ainsi, on peut aujourd’hui se poser la question de savoir si l’on peut inclure dans la même « histoire » un John Cage et un Milton Babbitt. Inversement, rien n’empêche d’inclure désormais dans la musique contemporaine des musiques qui n’y figuraient pas par le passé. Voilà déjà quelque temps que de nombreux musicologues inscrivent Russolo dans l’histoire de la musique contemporaine. Pourquoi n’en irait-il pas de même avec les tendances les plus expérimentales du jazz ou du rock historiques, des musiques électroniques populaires d’aujourd’hui, etc. ? Bien sûr, cette réécriture de l’histoire devrait procéder d’une manière prudente et réfléchie, afin d’échapper à la vision uniformisante de la globalisation néo-libérale qui rejoint le plus plat des historicismes. Il s’agit en somme de souscrire, d’une part, à l’idée d’une histoire plurielle ; d’autre part, de montrer que les lignes de fracture ne sont pas là où l’historicisme les inscrit par défaut. Cela permettrait d’opérer les choix requis afin d’échapper non pas au fardeau de l’histoire, mais au fardeau d’une histoire subie, fardeau qui conduit peut-être à la position de repli. Cela permettrait de renouer avec le fondement historique de la musique contemporaine : un champ permanant de remises en question. Le prix à payer, plutôt modique, serait peut-être d’avoir à abandonner l’expression « musique contemporaine » au profit d’un terme qui resterait à inventer. 2 ********** L’historicisme a été en partie, et continue parfois à l’être, l’un des écueils de la musique contemporaine. L’historicisme consiste à postuler une continuité abstraite de l’histoire, matérialisée par une ligne droite, que l’on doit par conséquent remplir de points se juxtaposant le plus possible. L’historiciste a horreur du vide et il présente sa chaîne de causalités comme un phénomène naturel. « L’historicisme trouve son aboutissement légitime dans l’histoire universelle. […] L’histoire universelle n’a pas d’armature théorique. Elle procède par addition : elle mobilise la masse des faits pour remplir le temps homogène et vide », écrivait le Benjamin des thèses sur l’histoire1. À l’historiciste, il opposait l’« historien matérialiste », pour qui « la pensée n’est pas seulement faite du mouvement des idées, mais aussi de leur blocage. […] L’historien matérialiste ne s’approche d’un objet historique que lorsqu’il se présente à lui comme une monade. Dans cette structure il reconnaît le signe d’un blocage messianique des événements, autrement dit le signe d’une chance révolutionnaire dans le combat pour le passé opprimé. Il saisit cette chance pour arracher une époque déterminée au cours homogène de l’histoire ; il arrache de même à une époque telle vie particulière, à l’œuvre d’une vie tel ouvrage particulier. Il réussit ainsi à recueillir et à conserver dans l’ouvrage particulier l’œuvre d’une vie, dans l’œuvre d’une vie l’époque et dans l’époque le cours entier de l’histoire »2. Musiciens comme musicologues ont été tentés de faire appel à l’historicisme pour légitimer — voire, fonder — la musique contemporaine. Cette attitude offrait l’avantage de contrebalancer le discours sur la rupture radicale avec le passé. Mais elle a contribué à proposer de la musique contemporaine une vision selon laquelle les événements musicaux ne sont justifiés que par le fait qu’ils existent. Le discours hésite alors entre une présentation aplatie et une insistance par défaut sur un pluralisme abstrait. En voici un exemple, issu de l’introduction de Modern music. The avant garde since 1945, un ouvrage de 1981 de Paul Griffiths qui a souvent servi de référence aux historiens de la musique contemporaine : « Il nous a semblé approprié de diviser le cours de la musique depuis 1945 en deux parties. La première, qui concerne l’apparition et le dépassement du sérialisme intégral ainsi que l’essor d’une avant-garde internationale, couvre la période allant environ jusqu’à 1960. A ce point, on peut considérer que l’histoire de la musique a atteint une fin. Il y a eu, chez les compositeurs, une dissolution de la fraternité créative qui avait été encouragée, au début des années 1950, par l’existence de buts communs, ou supposés comme tels, et il devint impossible de parler d’une avancée unifiée du projet musical ; chez les compositeurs qui dominèrent les années 1960 et 1970, il n’existe que des liens ténus de but et de méthode. La pluralité, qui constitue l’unique trait distinctif de la musique contemporaine, en appelle à une méthode d’approche différente, basée sur l’esthétique au lieu de la chronologie, et c’est la méthode adoptée dans la 1 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire » (1940), traduction M. de Gandillac revue par P. Rusch, in Walter Benjamin, Œuvres, volume III, Paris, Gallimard, 2000, p. 441. 2 Ibid., p. 441-442. 3 seconde partie de cette étude »3. Une vision non historiciste de l’après 1945 tenterait au contraire de montrer que, sous le mot d’ordre sériel, se glissaient des projets bien différents, qui eux-mêmes coexistaient avec une profusion de propositions non sérielles ; et qu’il n’est pas particulièrement fructueux de présenter ce qui s’ensuivit comme une pluralité par défaut. L’historicisme est aujourd’hui devenu l’arme majeure de la globalisation néo-libérale. Celle-ci exploite le besoin légitime de narration pour offrir des histoires où des pans entiers de notre passé sont sacrifiés sur l’autel du progrès. Ces histoires ont notamment pour fil conducteur les avancées technologiques, mêlant pêle-mêle, plus pas défaut que par choix, manifestes théoriques, concepts artistiques nouveaux, etc.4. Mais le résultat s’avère être un choix, inavoué, dont le symptôme est la « tristesse » qu’éprouve, nous dit encore Benjamin, l’historiciste : la méthode de ce dernier étant l’empathie, « la nature de cette tristesse se dessine […] clairement lorsqu’on se demande à qui précisément l’historiciste s’identifie par empathie. On devra inévitablement répondre : au vainqueur. Or ceux qui règnent à un moment donné sont les héritiers de tous les vainqueurs du passé. L’identification au vainqueur bénéficie donc toujours aux maîtres du moment »5. ********** Il serait injuste d’associer trop étroitement musique contemporaine et historicisme. En matière de réflexion sur la musique, c’est à tort que l’on continue parfois d’associer la philosophie de la musique d’Adorno à l’historicisme. Il est vrai que sa Philosophie der neuen Musik (1948), traduite dans plusieurs langues européennes dans les années 1950-60 et qui a alimenté plusieurs générations de la musique contemporaine, semblait offrir une dialectique à première vue simpliste entre « progrès » et « restauration ». Mais l’ouvrage est contemporain de La dialectique de la raison d’Adorno et Horkheimer où les deux auteurs, remodelant la philosophie de l’histoire élaborée par le dernier Benjamin, récusent, dans leur critique de la raison instrumentale, la croyance au progrès. De nombreux uploads/s3/ de-la-musique-contemporaine-a-la-socia-ta.pdf
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