Dico - décode Chaque semaine pendant la fermeture exceptionnelle du Palais de T
Dico - décode Chaque semaine pendant la fermeture exceptionnelle du Palais de Tokyo, le service de la médiation culturelle revient sur un mot ou un concept majeur de l’art contemporain illustré par de nombreux exemples puisés dans les expositions du Palais de Tokyo. Numéro 1 La performance l’art en action Vue de l’exposition « Le Milieu est bleu » d’Ulla von Brandenburg, Palais de Tokyo 2O20 © Aurélien Mole #CultureChezNous Nouvelle offre ! La performance n’est pas un mouvement artistique mais un moyen de créer. Il s’agit d’une forme où la production de l’œuvre est un processus actif visible, où l’artiste agit directement dans le monde. Les prémices de ce médium remontent au début du XXe siècle, dans les mouvements d’avant-garde artistique. Le 23 juin 1916, Hugo Ball, poète du mouvement Dada, monte sur la scène du Cabaret Voltaire à Zurich dans un cos- tume en carton argenté évoquant une forme à la fois phallique et industrielle. Il récite ses « poèmes sans mots », créations vocales abandonnant l’usage du vocabulaire pour retrouver « l’ancienne cadence de la lamentation sacrée. » De tels événements se mul- tiplient au cours de la première moitié du XXe sicle. Ils peuvent être considérés, dans le domaine des arts plastiques, comme les premières apparitions de l’action en public - et non plus dans le cadre fermé de l’atelier. Toutefois, c’est à partir des années 1960 que la performance trouve son essor, en particulier en Europe et aux Etats-Unis, au travers de mouvements artistiques tels que l’action painting, le body art, le groupe Fluxus. Certains des aspects majeurs de la per- formance se définissent alors, mais toujours de façon informelle : il n’existe aucun cadre strict, aucun dogme qui définisse les limites de ce que l’on peut nommer performance. Il est néanmoins possible de souligner certains éléments présents dans les œuvres d’ar- tistes performeurs : elles sont souvent réalisées en public - ce public pouvant d’ailleurs prendre part à la création. Et, comme un spectacle, elles connaissent un début et une fin. Elles explorent fréquemment certaines notions : le rituel et les gestes du quotidien, l’interrogation des structures sociales, l’engagement du corps dans l’endurance (voire dans la douleur), la remise en cause des oppressions et des dominations, et la fluidité des formes. Nous allons illustrer chacune de ces thématiques avec des exemples de performances ayant eu lieu au Palais de Tokyo ces dernières années. Aux origines de la performance Photographie de Hugo Ball prise en 1916 par un photographe inconnu « Nous n’avons pas assez de rituels dans notre société. J’essaie d’en inventer pour donner du sens à la vie, pour comprendre ce qui se passe entre la naissance et la mort. J’aime les rituels traités comme des choses du quotidien. » Ulla von Brandenburg L’exposition d’Ulla von Brandenburg, Le milieu est bleu (2020), est habitée par des performeuses et performeurs. Ils dansent, chantent et manipulent des objets. Si leurs actions sont parfois énigmatiques, elles semblent évoquer les besoins essentiels des humains : manger, boire, dormir, écrire, se vêtir et se transformer. Parmi ces objets, nous voyons en effet des nasses pour pêcher, des couvertures pour se protéger du froid et dormir, des pots en terre pour cuisiner et se nourrir, des morceaux de craies pour écrire, des instruments de musique pour danser. Leurs actions contiennent une dimen- sion symbolique. Ainsi, ces rituels liés au quotidien « mettent en forme », ils donnent des points de repère dans la société et dans le déroulement de l’existence. Ulla von Brandenburg interroge ainsi nos habitudes sociales, notre manière d’être ensemble. Retrouvez l’interview d’Ulla von Brandenburg ici Le rituel et les gestes du quotidien Vue de l’exposition « Le Milieu est bleu » d’Ulla von Brandenburg, Palais de Tokyo 2O20 © Aurélien Mole Quand faire c’est dire Pour essayer de cerner la performance, il est nécessaire de parler de performa- tivité. Aux origines de ce concept, le philosophe du langage J.L. Austin qui définit la notion d’énoncé performatif en 1955 dans une série de conférences intitulée Quand dire, c’est faire. Il explique que certaines phrases ne se limitent pas à exprimer une pensée, à décrire ou à communiquer mais visent à modifier la réa- lité, à produire une action. Par exemple, lorsque l’on dit : « Je déclare l’exposition ouverte », dire revient alors à faire. Ce concept de performativité influence les théories féministes et les études de genre : les actes et les discours des indi- vidus décrivent ce qu’est le genre mais ils ont en outre la capacité de produire ce qu’ils décrivent. Pour la théoricienne Judith Butler, c’est le genre, et donc la construction sociale, qui assigne un sens aux différences sexuelles. L’artiste australienne Angelica Mesiti retourne la théorie de l’énoncé performa- tif d’Austin. Son exposition au Palais de Tokyo s’intitule Quand faire c’est dire (2019). Elle interroge la possibilité de créer de nouveaux langages sans parole. Elle montre notamment la performance de Loïs Geraldine Zongo qui réalise dans l’eau chlorée d’une piscine municipale parisienne l’akutuk – une tech- nique camerounaise de percussions aquatiques. « Ces gestes fonctionnent là où le langage verbal est inopérant. » (Mesiti) Retrouvez l’interview de l’artiste ici et un extrait de l’œuvre ici Vue de l’exposition « Quand faire c’est dire » d’Angelica Mesiti, Citizens Band (détail), 2012 Palais de Tokyo ©Angelica Mesiti L’engagement du corps Vue de l’exposition d’Abraham Poincheval, Palais de Tokyo (03.02 – 08.05.2017). Courtesy de l’artiste et Galerie Semiose (Paris) Photo : Aurélien Mole Abraham Poincheval repousse ses limites physiques et mentales. La vie en au- tarcie, l’enfermement, l’immobilité ou la perte progressive des sens sont pour lui des moyens d’exploration du monde et de la nature humaine. Du 22 février au 1er mars 2017, Abraham Poincheval réalise une performance au Palais de Tokyo : une expédition au coeur du monde minéral. Il tente pour la première fois d’habiter un rocher pendant une semaine, approfondissant ainsi son expérimentation de l’enfermement et de l’isolement. En dehors de sa prépa- ration logistique, physique et mentale, l’expérience qu’éprouve l’artiste est im- prévisible. Loin de vouloir réaliser un exploit, Abraham Poincheval tente d’échap- per au temps humain et d’éprouver la vitesse du minéral. Retrouvez un extrait de la performance ici « Je conçois le temps de mes performances comme un voyage ter- restre intérieur. Ma dé- marche est de savoir par moi-même ce qu’il en est du monde, un peu à la manière du Candide de Voltaire. » Abraham Poincheval L’engagement politique Deux artistes de l’exposition Notre monde brûle (2020) ont réalisé des performances politiques. L’engagement politique n’est pas ici à prendre dans son sens partisan mais plutôt dans la remise en cause de l’ordre établi et des rapports de domination. En 2008, Francis Alÿs combine peinture et action performative : l’artiste repeint méticu- leusement soixante bandes médianes jaunes sur une route dans l’ancienne zone amé- ricaine du canal de Panama, le territoire qui relie les océans Atlantique et Pacifique. Le geste de manier le pinceau devient alors un acte de guérison dans un territoire traumati- sé, chargé du souvenir des conflits politiques passés. En 2009, Amal Kenawy (1974-2012) performe dans les rues du Caire en Egypte. Elle mène telle une « bergère » un « troupeau » d’ouvriers. L’œuvre commente la soumission des travailleurs précaires ainsi que les rapports de domination entre les genres. La per- formance est suspendue et Amal Kenawy est arrêtée par la police. Retrouvez ces deux artistes dans l’exposition Notre monde brûle. Plus d’informations ici Francis Alÿs « Painting / Retoque » Paraíso, Panamá 2008, ©Francis Alÿs Amal Kenawy, “Silence of the Sheep.” Photo courtesy of Frieze Le renouvellement permanent de ses formes Lancé à l’automne 2017, la Manutention est un nouveau programme du Palais de Tokyo qui encourage l’exploration et l’expérimentation dans les arts performatifs. Ce programme de résidence fournit aux artistes l’opportunité de développer leur pratique et de produire des performances inédites lors de soirées performatives, permettant au public de découvrir un travail et d’en suivre l’évolution. Regina Demina est l’une des résidentes de la Manutention en 2018. À travers le son, la vidéo, la performance ou l’installation, elle crée un univers à la beauté illusoire. Elle puise ses inspirations dans les contes macabres, les profondeurs d’internet et les bestiaires de personnages ardents et tristes. Elle façonne des huis-clos immoraux et dystopiques. Ses « histoires d’horreur féériques » plongent les spectateurs dans une atmosphère ouatée et enveloppante qui flirte avec l’esthétique de la violence. Un choc émotionnel et répétitif, à l’image de la musique qui accompagne souvent ses perfor- mances. Pour explorer la diversité des formes de la performance la plus ac- tuelle, retrouvez toutes les vidéos de la Manutention ici Vue de la performance de Regnia Demina dans le cadre de la Manutention, février 2018, Palais de Tokyo Photo : Ayka Lux Sven Sachsalber, artiste borné et marathonien, qui passe sa vie à performer : manger des champignons vénéneux, passer 24 heures dans sa chambre avec une vache, couper toutes les branches d’un arbre sur lequel il est perché jusqu’à l’inévitable chute. uploads/s3/ dico-decode-la-performance.pdf
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- Publié le Sep 26, 2022
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