Études littéraires Document généré le 28 fév. 2017 10:25 Études littéraires Est

Études littéraires Document généré le 28 fév. 2017 10:25 Études littéraires Esthétique relationnelle Spettel, Elisabeth Manifeste/s Volume 44, numéro 3, Automne 2013 2 1 9 2 Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des littératures de l’Université Laval ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) 2 1 9 2 Découvrir la revue Citer cet article Spettel, Elisabeth. "Esthétique relationnelle." Études littéraires 443 (2013): 47–59. Résumé de l'article S’il peut sembler paradoxal de parler de manifeste aujourd’hui, dans un contexte d’éclatement des pratiques artistiques et de disparition des mouvements, l’on observe pourtant un retour aux manifestes à la fin du XXe siècle, à l’époque de la « crise de l’art contemporain ». À titre d’exemple, le critique d’art Nicolas Bourriaud publie, en 1995, le livre Esthétique relationnelle : l’ouvrage expose une nouvelle théorie, rassemblant a posteriori des oeuvres très diverses sur le plan des sujets abordés et des styles. Nous constaterons ici que l’entreprise de légitimation par un appui théorique rapproche, dans un premier temps, l’Esthétique relationnelle du manifeste avant-gardiste. Cependant, nous verrons par la suite que l’approche quasi sociologique de Bourriaud et sa revendication d’un héritage s’opposent au ton polémique et à la tabula rasa propres aux avant-gardes. Nous expliquerons ces différences majeures en nous appuyant sur le changement de contexte historique : à l’ère de la globalisation, les artistes contemporains élaborent de nouvelles formes d’engagement et d’utopies, très éloignées de celles de leurs aînés, modifiant, par là même, les modalités et les finalités du manifeste. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Université Laval, 2014 £££££££££££ Esthétique relationnelle. Réorientation du manifeste dans l’art contemporain Elisabeth Spettel I l semble paradoxal de parler de manifeste dans le contexte d’éclatement des pratiques artistiques contemporaines et de la « fin des ismes » si souvent proclamée. Si Jean-Marie Gleize affirme, dans la revue Littérature, que « la posture manifestaire est devenue anachronique » et que « l’époque des manifestes est close1 », c’est que l’on assimile souvent les manifestes aux avant-gardes, qui, en effet, ont systématisé ce genre. Pourtant, nous observons de nouvelles formes de manifestes artistiques au moment de la « chute des idéologies » de la fin du XXe siècle : le Manifeste cyborg2 de Donna Haraway, touchant au domaine scientifique, littéraire et politique, par exemple, ou encore Un art contextuel3 de Paul Ardenne et Esthétique relationnelle4 de Nicolas Bourriaud dans la sphère artistique. Le manifeste semble ainsi ressurgir à l’ère où les « démocraties individualistes » ont supplanté le collectif, où l’engagement n’a plus le même sens que chez les avant-gardistes. J’en interrogerai ici un exemple, Esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud, en le comparant au Manifeste du surréalisme d’André Breton, qui a influencé le jeune critique d’art. Dans les années 1990, à l’époque de la soi-disant « crise de l’art contemporain », Nicolas Bourriaud publie un texte, Esthétique relationnelle, dans lequel il se propose de produire de nouveaux outils pour analyser l’évolution de l’art actuel. Avec ce texte, il essaye non seulement de comprendre, mais aussi de donner une cohérence à des pratiques extrêmement diverses sur le plan des médiums, sujets abordés, provenances culturelles et géographiques. Il souligne une tendance commune à ces pratiques, à savoir une approche relationnelle de l’œuvre d’art et la recherche d’une collaboration grandissante du public aux œuvres. Ce texte a eu de si nombreux retentissements dans le monde de l’art que Bourriaud apparaît aujourd’hui comme un chef de file, ayant rassemblé des artistes dans un mouvement d’un nouveau 1 Jean-Marie Gleize, « Manifestes, préfaces. Sur quelques aspects du prescriptif », Littérature, no 39 (octobre 1980), p. 13. 2 Donna Haraway, Manifeste cyborg et autres essais. Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007. 3 Paul Ardenne, Un art contextuel. Création artistique en milieu urbain, en situation, d’intervention, de participation, Paris, Flammarion (Champs arts), 2009. 4 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 2001. 48 • Études littéraires – Volume 44 No 3 – Automne 2013 type. Ses écrits ne peuvent pas, du reste, être séparés de son activité de commissaire d’exposition, qui l’a souvent conduit à défendre et à organiser ses choix artistiques. Esthétique relationnelle, mais également ses ouvrages ultérieurs — Radicant. Pour une esthétique de la globalisation, Petit manifeste du sémionaute — participent de cette entreprise de légitimation, et comportent une dimension performative propre au manifeste. Peut-on pour autant considérer Esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud comme un manifeste ? Si l’on répond par l’affirmative, il faudra cependant admettre que ce texte suit une logique différente des manifestes avant-gardistes. Mais en quoi précisément questionne-t-il ce genre et révèle-t-il les contradictions qui le traversent ? Il ne s’agira pas ici de conduire une analyse d’ordre linguistique. On traitera des mutations des modalités et finalités du manifeste à partir du cas d’Esthétique relationnelle sur le plan artistique, tout en y apportant un éclairage sociologique. Si cet ouvrage se rapproche du manifeste avant-gardiste par sa volonté de donner une unité à des pratiques artistiques hétérogènes, on verra, dans un second temps, qu’il s’en distingue notamment sur le plan historique et politique. Enfin, on se penchera sur l’impossibilité de définir le manifeste, texte à l’origine hybride, parcouru par des contradictions qui font sa spécificité même. Esthétique relationnelle : un nouveau manifeste ? Outre la dimension historique et sociologique propre au manifeste, Esthétique relationnelle se caractérise par un caractère novateur assimilable à celui des avant- gardes. En effet, Nicolas Bourriaud cherche à faire connaître une création très contemporaine, en rupture avec certains codes esthétiques de son époque, et s’engage à défendre des artistes encore peu connus en leur temps, tels Rirkrit Tiravanija ou encore Mircea Cantor. Pour ce faire, l’auteur emploie un ton polémique à l’encontre des académismes artistiques et des conformismes culturels, notamment dans la remise en question de l’œuvre d’art conçue comme un objet marchand. Dans l’introduction d’Esthétique relationnelle, Bourriaud s’identifie comme un critique qui observe l’art de son temps : L’activité artistique constitue un jeu dont les formes, les modalités et les fonctions évoluent selon les époques et les contextes sociaux, et non pas une essence immuable. La tâche du critique consiste à l’étudier au présent5. Cet écrit vise, en effet, à donner une légitimité et une cohérence à un ensemble d’artistes et d’œuvres : le critique d’art est ici appelé à créer une unité là où il n’y en avait pas, dans la lignée de Pierre Restany qui fonde le mouvement des nouveaux réalistes. Nicolas Bourriaud rassemble des individus qui ne se connaissent pas, qui vivent dans des pays et des contextes très différents, pour en dégager des lignes communes sur le plan du processus poïétique et de la réception par le public. Ainsi, il rapproche des artistes aussi différents que Maurizio Cattelan, Rirkrit Tiravanija, Pierre Huyghe ou encore Vanessa Beecroft. Cet éclectisme des pratiques nécessite 5 Nicolas Bourriaud, « La forme relationnelle », Esthétique relationnelle, op. cit., p. 11. Esthétique relationnelle. Réorientation du manifeste dans l’art… d’Elisabeth Spettel • 49 de trouver une ligne directrice et implique une autre manière d’aborder les œuvres et le jugement esthétique : Les textes de Bourriaud mettent l’accent sur un « même horizon théorique et pratique », celui de la sphère des rapports interhumains, et ouvrent la voie à un nouveau paradigme esthétique permettant d’évaluer une œuvre, non plus selon le thème ou la technique utilisée, mais selon son usage et sa fonction sociale6. Enfin, Esthétique relationnelle comporte un nombre important de définitions, ce qui rejoint la dimension éducative du manifeste. Bourriaud semble hanté par la question “qu’est-ce que l’art ?” lorsqu’il écrit : « [L]a forme d’une œuvre d’art naît d’une négociation avec l’intelligible qui nous est donné en partage. À travers elle, l’artiste engage un dialogue7. » Progressivement, il précise son champ d’étude pour en arriver à définir ainsi l’« esthétique relationnelle » : « Théorie esthétique consistant à juger les œuvres d’art en fonction des relations interhumaines qu’elles figurent, produisent ou suscitent8. » Il s’agit là d’une ambition de décrire et de circonscrire son objet d’analyse qui apparaît aussi dans le Manifeste du surréalisme. André Breton donne en effet plusieurs définitions du mouvement dont il fut le fondateur : « Surréalisme : automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale9. » Cette définition, comme beaucoup d’autres de la même teneur, témoigne d’un souci de précision aussi bien que d’exhaustivité : Breton souhaite circonscrire un champ d’action et expliciter tous les domaines touchés par le surréalisme, qu’ils soient uploads/s3/ esthetique-relationelle.pdf

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