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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Jean-Jacques Wunenburger Philosophiques, vol. 23, n° 1, 1996, p. 57-66. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/027365ar DOI: 10.7202/027365ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 17 juillet 2013 09:14 « Transfiguration et défiguration du corps souffrant : les métamorphoses de l’idéal de santé physique dans les arts plastiques » PHILOSOPHIQUES, VOL. XXIII. N° 1, PRINTEMPS 1996, P. 57-66 TRANSFIGURATION ET DÉFIGURATION DU CORPS SOUFFRANT LES MÉTAMORPHOSES DE L'IDÉAL DE SAUTÉ PHYSIQUE DANSLESARTS PLASTIQUES par JEAN-JACQUES WUNENBURGER RÉSUMÉ : La représentation de la laideur et de la souffrance du corps humain ont fait l'objet d'une styli- sation pour la rendre conforme à l'idéal classique du beau. L'art contemporain tente au contraire de transgres- ser cette idéalisation pour saisir le pathos même de la vie du corps. Mais en poussant ainsi à l'extrême cette expérience plastique, ne touche-t-on pas aux limites de la représentation artistique ? ABSTRACT : Representations of ugliness and sufferance of the human body have been subjected to stylization to comply with the classic ideal of beauty. Contemporary art tries, on the other hand, to break away from this ideal to capture the very pathos of the body's life. But are we not reaching to the limits of artistic representation by thus pushing to the extreme this art's experience ? La représentation plastique du corps humain n'a cessé de servir, depuis l'Antiquité gréco-latine, de terrain d'élection des canons de la beauté artistique. Même lorsqu'il est affecté de laideur, atteint par les difformités naturelles ou soumis aux violences de la vie (blessure, maladie, agonie), l'artiste cherche encore à lui conférer une attitude, un aspect, une apparence qui font du spectacle du négatif une expérience visuelle source d'un plaisir. Bien plus, les déficiences du corps, congénitales ou passagères, permettent de saisir, mieux en- core que les situations de beauté objective, comment l'artiste classi- que parvient à allier stylisation des formes et expression cathartique qui rendent le repoussant attrayant ou aimable. Si le corps peut donner à voir une beauté idéale incarnée, il fournit aussi l'occasion de transfigurer par la beauté artistique le mal physique et moral. De manière significative le mal et la maladie du corps souffrant ont servi de thème majeur et massif dans les arts plastiques contemporains, à mesure d'ailleurs que beaucoup d'artistes ont renoncé, dans leurs théories et leurs pratiques, à en composer des représentations conformes aux canons académiques du beau. Au contraire, la représentation de la laideur ou de la souffrance physique devient l'occasion de mettre à nu l'artifice illusoire du beau, de transgresser cette forme idéale tenue pour représentation menson- gère. Il n'importe plus, à un grand nombre de créateurs d'aujour- d'hui, de sublimer la négativité du corps dans une sorte de forme 58 PHILOSOPHIQUES apolinienne, qui lui rendrait une grâce cachée et la recueillerait dans un espace cathartique supportable, voire source de délectation pour l'oeil. Au contraire, la tâche de la peinture ou de la sculpture, de la photographie ou de la vidéo est de suspendre l'idéalisation plastique et de restituer un corps à vif, un pathos brut, jusqu'à l'horreur et au dégoût. L'abandon voire l'abolition de l'esthétique du beau, qui carac- térise la plupart des tendances dominantes de l'art contemporain, n'atteint donc nulle part pareille intensité doctrinale et semblable extrémisme plastique que dans les représentations pathologiques ou tératologiques du corps. On peut alors tenter de mieux cerner cette rupture spectaculaire dans l'histoire de la représentation du mal et de la maladie physique, pour y saisir, comme à travers une lunette grossissante, la méta- morphose d'une plastique, la progressive éviction de l'idéalisation belle du laid, au profit d'une expérience artistique, soucieuse unique- ment d'une vérité réaliste pouvant atteindre à l'insupportable ou à l'obscène. Au bout du compte, à travers certaines de ces expériences- limites où la négativité du corps est cultivée pour elle-même, avec une sorte de consentement ou de complaisance morbide, on peut se demander si ce projet de dépassement du beau par l'art peut encore donner lieu à une rencontre vraiment esthétique, si de telles œuvres où le corps est mis en charpies ne nous exposent pas à l'insoute- nable, au déplaisir et donc, ne constituent pas un épuisement de l'art ? Les arts plastiques ou les arts corporels actuels, en tendant de capter et de projeter dans l'œuvre matérielle le pathos de la maladie et de la mort, ne conduisent-ils pas à outrepasser l'art même, à transgresser la représentation au profit d'une présentation vivante, d'une incarnation effective et donc, à dé-esthétiser le pathétique ? N'est-on pas, dès lors, renvoyé à une expérience originelle de la cruauté, du répulsif, qui plonge encore plus dans l'invivable du mal, au lieu d'en assurer une catharsis ? Qu'est-ce qui peut motiver, légitimer, justifier alors de tels passages à la limite ? L'idéalisation du laid Jusqu'à la rupture inaugurale de l'art contemporain, les déficits du corps, ses outrances comportementales ou les outrages qui lui sont imposés par la vie se voyaient représentés au moyen d'une stratégie de traduction qui prenait part aux canons esthétiques du beau. Parmi maintes procédures, deux semblent avoir connu une fécondité remarquable : l'une consistant à associer ou à asservir la représentation de la laideur ou de la souffrance à un sens sur- plombant, faisant ainsi des formes négatives du corps des signes d'une histoire mythologique ou d'un drame eschatologique. La beauté prend alors une apparence allégorique, gommant la charge repous- sante du contenu par une intellectualisation symbolique. L'autre procédure consiste plutôt à soumettre les défigurations du corps à des codes de représentation médiate qui rendent les formes reconnaissables à l'esprit et perceptibles à l'œil, et qui permettent ainsi au spectateur de se distancier de toute violence pathétique. Dans les deux cas, le déplacement du corps dans la représentation artistique s'opère par et sous la forme de la beauté. TRANSFIGURATION ET DÉFIGURATION DU CORPS SOUFFRANT 5 9 L'entrée dans la peinture européenne de la représentation du mal physique fut longtemps suspendue à une emblématisation morale et religieuse, qui assujettit l'esthétisation possible de la souffrance à l'emprise d'un sens tragique ou eschatologique. L'art antique et ses avatars classiques se définissent avant tout comme art de production du beau, à travers une transformation de l'immédiateté, de la spontanéité de la vie en une représentation idéalisée et stylisée des formes. La peinture ou la sculpture figurative reproduisent dans une matérialité visible des personnages, des scènes, des épisodes de récits mythiques, avec la variété de leurs malheurs et de leurs bonheurs. Mythologie grecque ou romaine, récits bibliques ou évangéliques, donnent ainsi l'occasion de développer des program- mes artistiques où se succèdent les travaux et les jours, les plaisirs et les souffrances, les naissances et les morts. La représentation du mal physique et de la souffrance morale est cependant guidée par une double finalité, celle d'assurer la reconnaissance des situations narratives significatives et celle de produire chez le spectateur une émotion à la mesure de la charge pathétique du récit. Le supplice de Prométhée, la mortification de Job, la passion du Christ obligent à une composition pathétique qui condense le sens textuel de leurs malheurs. Au Moyen-Àge, surtout, le regard sur le corps est inséparable d'une rhétorique qui entraîne une désubjectivation de son vécu singulier. L'art pré-moderne, s'il aspire à décrire le travail du négatif de la vie, dans la perspective du tragique grec ou du drame sotériologique chrétien, ne cherche pas à saisir le processus même de !'individuation du mal qui ronge et détruit le corps. La représentation de la souffrance porte avant tout sur des figures héroïques, comme celles de saint Sébastien, qui typifient des situations et des attitudes canoniques devant le mal, et se justifie donc comme une allégorisation du mal cosmologique ou ontologique. La peinture chrétienne de la souffrance est au service d'une fonction moins descriptive qu'apologétique ou édifiante. La passion du corps souffrant n'est alors qu'une exemplification d'une condition marquée par la violence et la mort. En ce sens, l'esthétique morbide va triompher dans la statuaire baroque de la pieta et de la mater dolorosa1 et dans l'emblématisation symbolique de la mort dans les tableaux consacrés au memento mort La stylisation artistique oscille alors entre les deux extrêmes du pathos, une vision de la douleur paroxystique, poussée à la beauté de l'extase (chez le Bernin, par exemple) et une peinture marquée d'intellectualisation, qui se con- centre sur les symboles nocturnes de la mort. Il reste que cette douleur et cette mort sont livrées comme des spectacles qui provo- quent l'émotion et non uploads/s3/ jean-jacques-wunenburger-transfiguration-et-defiguration-du-corps-souffrant.pdf

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