Food & History, vol. 9, n° 1 (2011), pp. 1-10 doi: 10.1484/J.FOOD.1.102290 Valé

Food & History, vol. 9, n° 1 (2011), pp. 1-10 doi: 10.1484/J.FOOD.1.102290 Valérie Boudier Département d’Histoire de l’art, Université Lille 3, France Frédérique Desbuissons Département d’Histoire de l’art, Université de Reims Champagne-Ardenne, France Ivresse et création : présentation Le problème n’est pas seulement que mangeait-on ? mais aussi à quoi rêvait-on en mangeant ? (Alberto Capatti, Le Goût du nouveau, 1989) Le rôle symbolique joué par les boissons s’est exprimé de manière privilégiée dans les arts visuels : peintures d’histoire, scènes de genre, portraits autrefois, cinéma, vidéo, bandes dessinées aujourd’hui, regorgent de buveurs qui manifestent qu’au travers de la boisson, il s’agit en définitive du corps, de ses besoins et de ses plaisirs, ainsi que des normes sociales qui régissent et délimitent leurs usages. Autant de problématiques dont historiens1, sociologues2, anthropologues3, psychologues 4 1 Les travaux historiques consacrés à l’alcool sont nombreux ; nous nous contenterons de quelques indications bibliographiques représentatives : James S. ROBERTS, Drink, Temperance and the Working Class in Nineteenth-Century Germany (Boston, 1984) ; Jean-Charles SOURNIA, Histoire de l’alcoolisme (Paris, 1986) ; Didier NOURRISSON, Alcoolisme et antialcoolisme en France sous la Troisième République : l’exemple de la Seine Inférieure (Paris, 1988) ; Didier NOURRISSON, Le Buveur du XIXe siècle (Paris, 1990) ; Thierry FILLAUT, Véronique NAHOUM-GRAPPE, Myriam TSIKOUNAS, Histoire et alcool (Paris, 1989) ; Thierry FILLAUT, Les Bretons et l’alcool, XIXe-XXe siècles (Rennes, 1991) ; Susanna BARROWS, Robin ROOM (eds.). Drinking. Behavior and Belief in Modern History (Berkeley, 1991) ; Thierry FILLAUT, L’Alcool, voilà l’ennemi. L’absinthe hier, la publicité aujourd’hui (Paris, 1997) ; Matthieu LECOUTRE, Ivresse et ivrognerie dans la France moderne (XVIe-XVIIIe siècles) (thèse de doctorat, Université de Dijon, 2010). 2 Véronique NAHOUM-GRAPPE, Culture de l’ivresse, essai de phénoménologie historique (Paris, 1991) ; Alphonse D’HOUTARD, Michel TALEGHANI (eds.), Sciences sociales et alcool (Paris, 1995) ; Carmen BERNAND (ed.), Désirs d’ivresse : alcools, rites et dérives (Paris, 2000) ; Véronique NAHOUM-GRAPPE, Vertige de l’ivresse. Alcool et lien social (Paris, 2010). 3 Le Boire, Terrain. Revue d’ethnologie de l’Europe, no. 13 (octobre 1989) ; Dominique FOURNIER, Salvatore D’ONOFRIO (eds.), Le Ferment divin (Paris, 1991) ; Thomas M. WILSON (ed.), Drinking Cultures ; Alcohol and Identity (Oxford, 2005). 4 Yves PELICIER (ed.), Les Ivresses. Sens et non-sens (Bordeaux, 1994) ; L’Écriture et l‘extase, Savoirs et clinique, no. 8 (octobre 2007). 2 Valérie Boudier / Frédérique Desbuissons et philosophes5 ont démontré l’importance pour la connaissance des sociétés humaines. Durant toute l’Antiquité et le Moyen Âge, l’aliment a été un sujet de représentation récurrent des peintres comme des sculpteurs et porteur de nom- breux sens – que l’on songe aux natures mortes des murs de Pompéi6 ou aux niches peintes à fresque du Trecento figurant des objets et des aliments liturgiques.7 On le retrouve à l’époque moderne dans les vanités8 ainsi que dans les scènes de repas bibliques9 ou domestiques.10 Les tableaux où l’ingestion proprement dite est représentée demeurent toutefois rares, et les autoportraits en buveur exception- nels.11 La longue histoire de la boisson dans l’art a été partiellement étudiée par les historiens de l’art. Les figures de Bacchus et Dionysos ont retenu depuis long- temps leur intérêt, comme celui des antiquisants et des comparatistes, qui ont mis en évidence ses multiples variations narratives et métaphoriques.12 L’art chrétien 5 Barry C. SMITH (ed.), Questions of Taste : The Philosophy of Wine (Oxford, 2007) ; Fritz ALLHOF (ed.), Wine and Philosophy : A Symposium on Thinking and Drinking (Oxford, 2008) ; Cain TODD, The Philosophy of Wine. A Case of Truth, Beauty and Intoxication (Durham, 2010) ; Roger SCRUTON, Je bois donc je suis (Paris, 2011 [London, 2009]). 6 Mentionnons, par exemple, la Nature morte aux coqs, ou la Nature morte au masque et au panier alimentaire, toutes deux du Ier siècle après J.-C., peinture murale, Pompéi, maison des Vettii. Concernant la nature morte antique, voir Domenico CASELLA, La frutta nella pittura pompeiana in Pompeiana (Napoli, 1950), pp. 335-386 ; Alix BARBET, La Peinture murale romaine, les styles décoratifs pompéiens (Paris, 1985) et Charles STERLING, La Nature morte. De l’Antiquité au XXe siècle (Paris, 1985). 7 Tel Taddeo Gaddi, Niche avec objets liturgiques, 1328-1330, fresque, 97 x 61 cm, Florence, église Santa Croce, chapelle Baroncelli. Concernant la nature morte médiévale, voir Michel FÂRÉ, Les Origines de la nature morte dans la peinture d'objets du Moyen Age et de la Renaissance (Paris, 1952). Guiseppe DELOGU, Natura morta italiana, (Bergamo, 1984) ; Charles STERLING, La Peinture médiévale à Paris, t. 2 (Paris, 1990). 8 Concernant la place de l’aliment dans les Vanités, voir Alain TAPIÉ, Vanités dans la peinture au XVIIe siècle (Paris, 1990) et Karine LANINI, Dire la vanité à l’âge classique : paradoxes d’un discours (Paris, 2006). 9 Concernant la teneur spirituel ou symbolique de l’aliment dans la peinture religieuse, voir J. F. MOFFITT, “Terebat in mortario : symbolism in Velazquez’s Christ in the House of Martha and Mary”, Arte Cristiana, no. 72 (1984), pp. 13-24 ; Pamela M. JONES, “Federico Borromeo as a Patron of Landscape and Still Life : Christian Optimism in Italy ca 1600”, The Art Bulletin, vol. 70, no. 2 (1988), pp. 261-272 et Étienne JOLLET, La Nature morte ou la place des choses (Paris, 2007). 10 Concernant la place de l’aliment dans la peinture de genre et son émergence en tant que genre autonome, voir Norman BRYSON, Looking at the Overlooked. Four Essays of Still Life Painting (London, 1990) et Valérie BOUDIER, La Cuisine du peintre (Rennes, 2010). 11 Notons, pour l’époque moderne, le rarissime autoportrait de Hans Van Aachen en Bacchus dans Bacchus, Vénus et Cupidon, vers 1600, huile sur toile, 63 x 50 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum. Le peintre parisien Alexis Grimou (1678-1733) constitue une exception notable, tant les portraits et autoportraits bachiques sont fréquents dans son œuvre ; on signalera en particulier son Portrait de l’artiste en buveur, 1724, 100 x 85 cm, Paris, musée du Louvre, ainsi que son Autoportrait en Bacchus, 1728, huile sur toile, 101 x 81 cm, Dijon, musée Magnin. 12 Telle la figure de Silène et son identification à l’artiste : voir Gislaine AMIELLE, “Allégorie de l'amour ou Sine Cerere et Libero friget Venus” in P. M. MARTIN, Chr. M. TERNES (eds), La Mythologie. Clef de lecture du monde classique. Hommage à R. Chevallier, t. 2, (Tours, 1986), pp. 267-271. Svetlana ALPERS, “La créativité incarnée : le Silène ivre” in La Création de Rubens (Paris, 1996 [New Haven/ London, 1995]), pp. 75-119 ; Andreas EMMERLING-SKALA, Bacchus in der Renaissance (Hildesheim/ Ivresse et création : présentation 3 a également représenté un champ d’exploration très riche du fait de la fonction symbolique du vin et de la vigne dans la Bible et les Évangiles13 ; en témoignent le motif du pressoir mystique au Moyen Âge ainsi que la fortune du thème de Loth et ses filles dans la peinture des XVIe et XVIIe siècles.14 Expositions et livres d’art ont exploré l’extraordinaire variété de l’iconographie biéricole et vineuse : paysages plantés de vignes, scènes de vendanges et de mise en tonneaux, natures mortes et représentations des espaces, des modes et des effets de la consommation d’alcool.15 Les représentations des débits de boisson, également, ont fait l’objet d’études insis- tant sur ces espaces de sociabilité et de création que constituent depuis le XVIIIe siècle cafés, brasseries et cafés-concerts.16 La social history of art, depuis les années 1980, s’est montrée particulièrement sensible aux interactions entre politiques de santé publique, idéologies nationales et relations entre les sexes que les représenta- tions de buveurs et de buveuses manifestaient autant qu’elles contribuaient à les construire.17 Une semblable évolution a marqué les études littéraires et comparées, Zürich/ New York, 1994) ; Trionfi di Bacco, catalogue exposition Caserta, Palazzo Reale, Palazzina Inglese, 2003 ; Dionysos : Verwandung und Ekstase, cat. exp. Berlin, Pergamonmuseum, 2008-2009 (Regensburg, 2008) ; Gislaine AMIELLE, “Allégorie de l’amour ou Sine Cerere et Libero friget Venus” in P. M. MARTIN, Chr. M. TERNES (eds.), La Mythologie. Clef de lecture du monde classique. Hommage à R. Chevallier, t. 2 (Tours, 1986), pp. 267-271. 13 Danièle ALEXANDRE-BIDON (ed.), Le Pressoir mystique, actes du colloque de Recloses, 27 mai 1989 (Paris, 1990). 14 René MICHA, “Loth et ses filles”, Colòquio Artes. Revista trimestrial de artes visuais, música e bailado no. 44 (1980), pp. 38-49 ; Éclairage sur un chef d’œuvre : Loth et ses filles de Simon Vouet, catalogue exposition Strasbourg, Musée des Beaux-Arts, 2005-2006 (Strasbourg, 2005). 15 Joseph Armstrong BAIRD, Wine and the artist. 104 prints and drawings from the Christian Brothers Collection at the Wine Museum of San Francisco (New York, 1979) ; Vins, vignes, vignerons dans la peinture française, catalogue exposition Narbonne, musée d’Art et d’Histoire, Nice, musée des Beaux-Arts (Narbonne/Nice, 1996-1997) ; Hervé CHAYETTE, Philippe de ROTHSCHILD, Le Vin à travers la peinture (Courbevoie, 1997) ; Serge LEMOINE, Bernard MARCHAND, Les Peintres et la bière (Paris, 1999) ; Hugo LOETSCHER, Verena & Mark FÜLLEMANN, Bacchus. Kunst für Weinfreunde. Wein für Kunstfreunde (München/Zürich, 2004) ; Jean-Marie PINÇON, Le Champagne dans l’art (Paris, 2007) ; John VARRIANO, Wine. A Cultural History (London, 2010). 16 Sophie MONNERET, “Cafés” uploads/s3/ ivresse-et-creation 1 .pdf

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