Créativité et musique en musicothérapie JOSETTE KUPPERSCHMITT Schola Cantorum,

Créativité et musique en musicothérapie JOSETTE KUPPERSCHMITT Schola Cantorum, Paris La créativité s’inscrit dans la capacité du sujet à s’adapter à de nouvelles situations en modifiant l’environnement traditionnel ou habituel. Elle traduit une rupture avec l’entourage par le développement d’une expression de soi-même de créer, d’envisager des possibilités différentes. Domitille (D.) est hospitalisée pour incurie et isolement total. Elle ne se nourrit plus, vit dans la saleté. D. pense au suicide mais dit manquer de courage. Elle n’a plus aucune activité ; selon ses propos : elle est “dans le vide”, la tête pleine “d’idées bizarres”. Elle avait un diagnostic de schizophrénie. Dans le service, le diagnostic de névrose obsessionnelle grave sera porté. D. est très contaminée, par exemple si elle a touché un objet sur lequel un cafard est peut-être passé ou si elle a marché dans un lieu contaminé, elle a des interdits qui bloquent l’élaboration d’une nouvelle situation et la condamne à un immobilisme inquiétant. D. qui a accepté son hospitalisation, souhaite venir aux séances de musicothérapie, mais surtout elle souhaite faire du piano. Elle ne connaît pas la musique écrite, mais improvise sur un rythme jazzé. Dans ses improvisations, la permanence rythmique de la main gauche donne une bonne assise à un développement mélodique de la main droite. Elle a une “bonne oreille” qui lui permet de faire des imitations et un sens du rythme sur lequel je pourrai m’appuyer pour la faire travailler. Ses improvisations sont assez stéréotypées, mais il s’en dégage un élan vital qui me sollicite. Improviser, “c’est faire quelque chose avant de savoir qu’on le fait ; savoir au sens d’en avoir déjà fait l’expérience. Ce n’est pas plonger dans l’inconnu total mais ce n’est pas non plus une réponse pré-écrite. Seule la forme n’est pas écrite, nous avons beaucoup d’idées, d’expériences” (Julyen Hamilton, à propos de la danse). Le ressort de l’improvisation découle du fait de l’imprévisibilité en tant qu’élément fondamental. Dans la mesure, où dans la séance, les improvisations de D. me sont adressées, elle acquièrent une continuité temporelle dans laquelle chaque moment doit s’affirmer par une relation d’écoute, voire de réciprocité. C’est un moment clé de la relation et qui me paraît très important pour D. dans la mesure où tous les traitements psychothérapiques, voire psychanalytiques, et parfois assez longs, lors de ses précédentes hospitalisatios, ont été vécus par elle comme des échecs. La musique remplace les mots, cela ne signifie pas l’absence des mots bien au contraire la parole circule. Car l’improvisation en tant que forme de création contient à tout instant un élément essentiel : la surprise, c’est-à-dire la coupure qui ressaisit D. dans une interrogation propice à un travail de psychothérapie. Chaque moment de l’improvisation est le travail de la mise en forme, de l’expérience même du rythme. Ce travail est possible si D. peut prendre conscience de l’intérêt de la mise en place de structures variées et de la relative stéréotypie de ses improvisations précédentes, ce qui se révèle à elle à travers la répétition identique des improvisations qu’elle me joue à chaque séance. D. a une demande autour de la musique, de la mise en forme, mais elle craint l’apprentissage du piano, parce qu’elle a toujours été en échec, elle craint de ne plus improviser si elle apprend le code musical, et surtout ses interdits la paralysent dans une éventuelle progression. Pourtant D. souhaite comprendre ce qu’elle joue sur le piano, c’est-à-dire pouvoir le lire comme je lis la musique étalée sur le piano. Si dans l’improvisation rien n’est donné d’emblée, D. a envie d’expérimenter cet inconnu, cette forme de perception dont elle pressent que je pourrai la lui retraduire, ce qu’elle ne peut faire exactement. En quelque sorte, ma capacité à rejouer le thème de son improvisation, même si mon toucher n’est pas le même que le sien et donc différencie en quelque sorte le sonore dans l’espace, lui donne envie d’oser cet apprentissage qui lui donnera la “clé” de la musique. D. a la compréhension de ce que l’improvisation, dans sa variété et dans son articulation au code, lui permet d’être à l’écoute de ce quelque chose qui vient d’elle, qu’elle ne connaît pas, mais qui s’extériorise à travers son mouvement rythmique. Lisa Nelson écrit (en parlant de la danse) : “Improviser c’est une question très précise qui m’aide à construire une ralation avec l’intérieur de mon corps ainsi qu’entre mon corps et l’environnement dans lequel je suis entrain de danser”. D. me dira : “La musique c’est le seul fil qui me retient, et puis ça fait du bruit, moi je n’ose pas me montrer, avec la musique, je prends de l’assurance. Vous ne savez pas combien la musique me fait du bien et aussi que vous m’écoutiez. Avant, je croyais que je faisais de la musique comme une folle, si vous m’écoutez, c’est que je peux communiquer par la musique”. Le jeu musical a autorisé le développement d’une expression de soi-même pour D., elle s’est donnée la possibilité de créer, de construire, d’envisager des possibilités différentes. Cette expérience lui a permis de s’ouvrir à elle-même et à la musicothérapeute dans un même mouvement. Produire, c’est mettre au dehors, c’est détacher d’une partie de soi ce qui a été vécu. Ce besoin fondamental qu’est l’aventure expressive pour chaque individu, quelle qu’en soit la forme prise, est le résultat d’un élan qui va de l’intérieur vers l’extérieur ; c’est une projection de cette forme prise dans l’espace présent comme synonyme du désir, de la durée et comme manifestation d’une conscience unitaire, c’est-à-dire sans adjonction d’angoisse de l’histoire, qui elle, est le fruit de la création et non de la créativité. La créativité a une fonction de conservation par la mise en forme des “objets” qui font partie du quotidien. Malraux (in Psychologie de l’art) écrit : “Il n’y a pas un génie au monde, quelque soit sa précocité... qui n’ait commencé à s’exprimer, non à travers son langage maladroit, mais à travers le langage d’un autre. Car c’est à une lecture, une audition... que l’artiste connaît ou reconnaît sa nature, ce n’est pas devant la vie”. Ceci fait apparaître la notion d’activité : reconnaître sa nature, c’est reconnaître sa sensibilité, ... et avoir envie de l’exploiter. Zuili (1991) définit les aspects formels de la créativité, en s’appuyant sur la temporalité, elle montre qu’il y a une “symétrie entre les souvenirs ou représentations relatives au passé et les projets ou représantations relatives à l’avenir”. Cette constatation est fondamentale en musicothérapie , elle fait intervenir le fantasme qui replace le sujet dans son histoire personnelle, et surtout, elle marque la dépendance dans laquelle va se trouver le sujet entre son passé et son avenir....Zuili dégage de ses travaux la notion de style comme aspect formel de la créativité. “Le style expressif tenant compte de ces premières perceptions aurait pour effet de “réinventer les instants” ; il consisterait donc à “remplir les blancs”. Ce recours à l’imaginaire à travers ce plaisir de créer ou de recréer une oeuvre en la jouant, permet de remplir les vides ouverts par la pathologie. La créativité fait ainsi oeuvre de colmatage, elle laisse une trace qui va permettre la structuration de l’action et avoir ainsi un début de prise sur le réel. Le travail d’Attigui (1993) sur le théâtre montre comment la créativité développée à travers la préparation de spectacles avec des patients atteints de psychose leur a permis d’approcher la réalité extérieure. C’est par cet aller-retour entre une réalité interne soutenue par la temporalité “support des projections” et la rythmicité “support expressif des émotions”, et une réalité externe soutenue par l’action, elle-même engendrée par la motivation que le potentiel créatif se développe dans son rapport aux autres et à soi, c’est-à-dire à son moi profond, car c’est par le biais de l’imaginaire que le patient peut retrouver des émotions communicables. (cf. p. 79-80) 1 D. a réussi à apprivoiser l’apprentissage du piano dans le but de pouvoir lire et écrire la musique. Avec cet objectif comme support à une réinsertion sociale, D. s’inscrit à un cours de piano dans une école de musique. Lors d’un après-midi musical organisé par l’école, D. accepte de jouer et même d’improviser en public. Elle relate qu’en écoutant les autres, elle a une image devant les yeux. Elle est à un stop et voit une route toute droite et longue et se dit : “j’ai tout ce chemin à parcourir”. D. progresse à la fois dans l’apprentissage du piano et dans la compréhension de l’écriture musicale en même temps qu’elle progresse dans l’accomplissement des tâches de la vie quotidienne. En quelque sorte, la motricité ressaisit dans une directionnalité à travers l’apprentissage a permis un travail interne autour de la chaine motricité-émotions-images mentales et favoriser un renouveau créatif, qui n’est plus cette fois au service de la répétition, mais qui induit un processus de changement dynamique dans la personnalité de D. Cette créativité engendre de nouveaux savoirs, fondée sur une expérience codée de la musique, elle induit une pensée pré-verbale c’est-à-dire imagée, intuitive, ancrée uploads/s3/ kupper.pdf

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