Theodor W. Adorno Philosophie de la nouvelle musique T R A D U I T D E L ’ A L

Theodor W. Adorno Philosophie de la nouvelle musique T R A D U I T D E L ’ A L L E M A N D P A R H A N S H IL D E N B R A N D E T A L E X L IN D E N B E R G Gallimard Titre original : P H I L O S O P H I E D E R N E UEN MUS I K © 1958 by Europaische Verlagsanstalt Kôln. Aile Rechte jetzt beim Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main. © 1962 Éditions Gallimard. Ce livre comprend deux études écrites à sept ans d’in­ tervalle, et une introduction. La composition et le carac­ tère de l’ensemble peuvent justifier quelques explications liminaires. En 1938, rauteur publia dans la Zeitschrift für Sozial- forschung un essai « Sur le caractère fétichiste de la musique et la régression de Vaudition » (Über den Fetisch- charakter in der Musik und die Régression des Hôrens) où il se proposait un triple objectif : indiquer le changement de fonction de la musique actuelle, montrer les transfor­ mations internes que subissent les phénomènes musicaux comme tels dans le contexte de la production commercia­ lisée de masse, et signaler comment certaines modifications anthropologiques dans cette société standardisée s’étendent jusqu'à la structure de Vaudition musicale. Déjà à ce moment-là, Vauteur avait l’intention d’impliquer dans l’investigation dialectique, le stade de la composition même, qui décide toujours de celui de la musique. Il avait devant les yeux la violence de la totalité sociale s’exerçant jusque dans les domaines qui, comme celui de la musique, semblent à part. Il ne pouvait se leurrer sur le fait que l’art qui a façonné son esprit n’échappera pas, même sous sa forme pure et intransigeante, à la réifi­ cation régnant partout, mais que cet art, justement dans l’effort de défendre son intégrité, produit à partir de lui-même des caractères de cette même nature à laquelle il s’oppose. L’auteur se posait comme tâche de rendre compte des antinomies objectives dans lesquelles se laisse nécessairement prendre un art qui veut — au milieu d’une réalité hétéronome — rester vraiment fidèle à sa propre exigence sans prêter attention aux conséquences, antino­ mies que Von ne peut surmonter qu’en les portant sans illusion à leur paroxysme. C’est de telles réflexions que naquit l’ouvrage sur Schôn- berg, écrit seulement en 1940-1941. Il demeura alors iné­ dit et, en dehors du cercle très restreint de l’ Institut für Sozialforschung de New York, n’était accessible qu’à très peu de gens. Aujourd’hui, il paraît sous sa forme origi­ nale avec seulement quelques adjonctions qui se réfèrent aux seules œuvres tardives de Schônberg. Toutefois, après la guerre, quand l’auteur décida de publier l’ouvrage en Allemagne, il lui sembla nécessaire d’ajouter à l’étude sur Schônberg une autre sur Stra- vinsky. Si le livre avait vraiment quelque chose à dire sur la musique nouvelle dans son ensemble, il était nécessaire que sa méthode, opposée aux généralisations et aux classi­ fications, fût employée au-delà de l’étude d’une école parti­ culière, fût-elle la seule qui rendît justice aux actuelles possibilités objectives du matériau musical en affrontant avec intransigeance les difficultés de celui-ci. Il s’im­ posait que nous analysions les procédés techniques de Stravinsky, diamétralement opposés à l’école viennoise, non seulement parce qu’ils font autorité dans l’opinion publique, non seulement en raison de leur niveau de composition (le concept de niveau lui-même ne peut être posé comme principe de façon dogmatique, il faut l’en­ visager encore comme « goût »), mais surtout aussi pour supprimer une échappatoire facile. Celle-ci consisterait à croire que, si le progrès logique de la musique menait aux antinomies, y changerait quelque chose la restauration du passé, la révocation consciente de la ratio musicale. Aucune critique du progrès n’est légitime, à moins quelle ne signale le moment réactionnaire de ce dernier dans la sujétion générale, excluant ainsi inexorablement tout abus au ser­ vice du statu quo. Le retour positif de ce qui est tombé en décadence, se révèle complice des tendances des­ tructives de notre époque plus radicalement encore que ce que l’on avait stigmatisé comme destructif. L’ordre qui se proclame lui-même n’est rien d’autre que le masque du chaos. Donc si précisément l'étude sur l'intransigeant expressionniste Schônberg déroule ses réflexions sur le plan de l'objectivité musicale et qu'en revanche celle sur Vantipsychologique Stravinsky soulève la question du sujet mutilé sur lequel son œuvre est taillée, alors encore ici exerce son action un motif dialectique. L'auteur ne voudrait pas farder les traits provocateurs de sa tentative. Il semble certainement cynique, après tout ce qui s'est passé en Europe et tout ce qui menace toujours, de perdre du temps et de l'énergie intellectuelle à déchif­ frer des problèmes ésotériques de la technique moderne de la composition. En outre, les opiniâtres analyses esthé­ tiques contenues dans ce texte donnent trop souvent l'im­ pression de prendre directement pour objet cette réalité qui les néglige. Mais peut-être cette entreprise excentrique jette­ ra-t-elle quelque lumière sur un état dont les manifestations connues ne sont que le masque et dont la protestation s'élève uniquement là où la complicité du public soup­ çonne une simple extravagance. Et il ne s'agit que de musique. Comment donc doit être fait un monde où déjà les problèmes du contrepoint témoignent de conflits insolubles? Combien fondamentalement la vie est-elle aujourd'hui bouleversée, si son tremblement et sa rai­ deur se réfléchissent encore là où ne parvient plus aucune nécessité empirique, dans une sphère dont les hommes pensent qu'elle leur accorde un asile devant la pression terrifiante du normal, et qui ne tient pourtant sa pro­ messe à eux faite qu'en refusant ce qu’ils attendent d'elle? L'introduction contient des réflexions qui sont à la base des deux parties. Elle doit mettre en relief l’unité de l’en­ semble; cependant, les différences entre la partie nouvelle et l’ancienne, en particulier les différences stylistiques, restent entières. Pendant la période qui sépare les deux parties du livre, la collaboration de l’auteur avec Max Horkheimer, qui s’étend sur plus de vingt ans, s’est développée en une phi­ losophie commune. Il est vrai, l'auteur est seul respon­ sable de ce qui concerne la matière musicale, mais il serait difficile de distinguer à qui appartient tel ou tel concept théorique. Le livre veut être compris comme une digression à la Dialektik der Aufklârung, et ce qui en lui pourrait attester la persévérance, la confiance dans la force adju­ vante de la négation déterminée, est dû à la solidarité intellectuelle et humaine de Horkheimer. Los Angeles, Californie, le 1er juillet 1948. Introduction Car dans l'art, nous n’avons pas affaire à un jeu simplement agréable et utile, mais... au déploiement de la vérité. Hegel, Eithétiqiu, I I I . c h o i x d u s u j e t . « L’histoire philosophique comme science de l’origine est la forme qui, à partir des extrêmes opposés, des excès apparents de l’évolution, fait apparaître la configuration de l’idée comme la configuration de la totalité caractérisée par la possi­ bilité d’une coexistence riche de sens de telles oppo­ sitions. » Le principe suivi par Walter Benjamin dans son traité sur la tragédie allemande pour des raisons relatives à la critique de la connaissance, peut se justi­ fier à partir de l’objet même, si l’on entend soumettre la musique nouvelle à une analyse philosophique se limitant essentiellement à considérer ses deux prota­ gonistes que rien ne lie. En effet, l’essence de cette musique s’exprime uniquement dans les extrêmes : eux seuls permettent de reconnaître son contenu de vérité. « Le chemin du milieu, écrit Schônberg dans la préface de ses Satires pour chœur, c’est le seul qui ne mène pas à Rome. » C’est pour cette raison et non par un respect fallacieux des grandes personnalités, que nous examinons exclusivement ces deux auteurs. Si l’on voulait passer en revue toute la production, non pas chronologiquement mais qualitativement nouvelle, y compris toutes les transitions et tous les compromis, on finirait par inévitablement tomber de nouveau sur ces extrêmes, dans la mesure où l’on ne se contenterait pas d’une simple description ou d’une appréciation de spécialiste. Cela n’implique pas nécessairement un juge­ ment sur la valeur ou même sur l’importance repré­ sentative de la production qui se situe entre les deux extrêmes. Béla Bartok s’est efforcé à certains égards de concilier Schônberg et Stravinsky et, en den­ sité et plénitude, ses meilleures œuvres sont proba­ blement supérieures à la production de ce dernier. La deuxième génération néo-classique, Hindemith et Milhaud notamment, s’est alignée sur la tendance géné­ rale de l’époque avec moins de scrupules, de sorte qu’en apparence du moins, elle l’a réfléchie avec plus de fidélité que ne l’a fait le chef de l’école par son confor­ misme latent s’exagérant par là jusqu’à l’absurde. Pourtant l’étude de cette génération déboucherait nécessairement sur celle des deux innovateurs. Non parce que la priorité historique leur appartient et que tout le reste dérive d’eux, mais parce que, eux seuls, par leur rigueur intransigeante, ils ont uploads/s3/ theodor-w-adorno-philosophie-de-la-nouvelle-musique-1979-gallimard-pdf.pdf

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