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Tous droits réservés © Revue Intermédialités, 2007 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 19 juil. 2022 04:38 Intermédialités Histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques Intermediality History and Theory of the Arts, Literature and Technologies Hors dossier / Miscellaneous L’accès à la musique et la condition d’auditeur chez Schoenberg Nicolas Donin Numéro 9, printemps 2007 Jouer Playing URI : https://id.erudit.org/iderudit/1005534ar DOI : https://doi.org/10.7202/1005534ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Centre de recherche sur l'intermédialité ISSN 1705-8546 (imprimé) 1920-3136 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Donin, N. (2007). L’accès à la musique et la condition d’auditeur chez Schoenberg. Intermédialités / Intermediality, (9), 135–153. https://doi.org/10.7202/1005534ar Résumé de l'article « Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si difficile à comprendre? », demande Alban Berg en 1924. On pourrait traduire aussi: « Pourquoi est-elle si peu accessible? », et sentir que la réponse n’est alors plus seulement celle que Berg fournit (à savoir, de façon internaliste : parce que ses partitions ont su faire l’économie des répétitions thématiques qui, dans la musique « ordinaire », permettaient la stabilisation mnésique de l’écoute), mais bien aussi une affaire d’accès à la musique, et de conditions de possibilité de l’écoute. Schoenberg lui-même a tenté une réponse en inventant et animant un dispositif d’écoute singulier, la Société d’exécutions musicales privées (1918-1921), qui bouleverse de façon volontariste toutes les conventions du concert viennois de l’époque : pas d’applaudissements, pas de compte rendus de presse, pas d’annonce des programmes à l’avance, et une économie nouvelle de la répétition du concert. À partir de là, se dessine une pensée schoenbergienne de l’accès à la musique, tout juste antérieure à l’industrialisation phonographique de la musique, et qui entretient avec elle une relation bénéfiquement conflictuelle. Expliciter cette dernière implique une analyse, ici esquissée, en mettant un accent particulier sur la question de l’interprétation, des divers projets de dispositifs de diffusion imaginés par Schoenberg et son entourage. intermédialités • no 9 printemps 2007 135 L’accès à la musique et la condition d’auditeur chez Schoenberg1 NICOL A S DONIN « Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si diffi cile à comprendre2 ? », demande malicieusement Alban Berg en 1924, affrontant sans détour ni polémi- que la vive suspicion de ses contemporains. On pourrait traduire aussi, quitte à donner quelques gages supplémentai- res à l’honnête mélomane qu’on imagine devoir être le locuteur : « Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si peu accessible ? » Formulée ainsi, sans égard pour sa fi nalité rhétorique, l’interrogation ne serait plus justiciable d’une réponse internaliste3 comme celle fournie, au fi l de l’article, par Berg (soit en substance : 1. Ce texte est celui d’une conférence prononcée le 29 mai 2004 au Centre cultu- rel de Cerisy-la-Salle (France) dans le cadre du colloque La lutte pour l’organisation du sensible organisé par Georges Collins et Bernard Stiegler. Depuis lors, Esteban Buch a publié un livre sur les premières périodes créatrices de Schoenberg (jusqu’en 1913), abordées selon un ordre de préoccupations comparable au mien : Le cas Schoenberg. Naissance de l’avant-garde musicale, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2006. En relisant le présent texte pour en préparer la publication, j’ai été frappé par la proximité (involontaire de part et d’autre) entre la conclusion de son livre et la con- clusion de cet article, signe d’une affi nité certaine malgré les nuances importantes qui distinguent nos démarches. Expliciter ces nuances demanderait encore un autre article… À défaut, et comme jalons d’un dialogue à poursuivre, j’ai pris soin de ne rien gommer ici ni de la coïncidence, ni des éléments divergents. 2. Alban Berg, « Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si diffi cile à compren- dre ? » [« Warum ist Schoenberg Musik so schwer verständlich? », 1924] dans Écrits, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1985, p. 24-39. 3. L’article commence ainsi : « Pour répondre à cette question, l’on pourrait être tenté de rechercher les intentions mises par Schoenberg dans ses œuvres, [d’expliquer sa musique] comme on l’a fait trop souvent, au moyen de considérations philosophiques, littéraires ou autres. Tel n’est point mon propos. Je ne veux envisager dans les œuvres de Schoenberg que les événements proprement musicaux et le mode d’expression stricte- ment compositionnel. » (Alban Berg, « Pourquoi la musique de Schoenberg est-elle si diffi cile à comprendre ? », p. 24-25) 136 l’accès à la musique et la condition d’auditeur chez schoenberg les œuvres musicales abondent généralement en répétitions thématiques per- mettant aux mélomanes une écoute synthétique sans décrochage ; la musique de Schoenberg est insaisissable avant tout à cause de sa densité d’informations musicales non redondantes). Elle poserait un problème bien plus indéfi ni, celui des conditions de possibilité de l’écoute. Si la musique de Schoenberg reste encore aujourd’hui diffi cile d’accès, c’est d’abord parce que la plupart de ses œuvres sont en fi n de compte peu jouées en concert — on n’y accède le plus souvent que par des enregistrements. Mais bien sûr, l’idée d’accès est ici surtout psychologique et cognitive — comme dans la question lancée par Berg à son lecteur. Nous aurons à utiliser le terme dans les deux sens : accessibilité matérielle et institutionnelle, comme lorsque l’on parle d’accès à la culture ; et plus ou moins grande accessibilité d’une musique sur le plan du langage musical. Ce faisant, nous insisterons sur le lien entre les deux, comme le fait du reste Jeremy Rifkin dans de nombreux passages de son ouvrage sur L’âge de l’accès4. Interroger les phénomènes que nous considérerons à travers les questions formulées par Rifkin5 serait dangereusement anachronique ; on en retiendra cependant l’accent mis sur les techniques et les organisations par lesquelles une économie donnée peut exploiter notre expérience individuelle en tant que matière première6. Si Schoenberg n’a pas cherché à composer une musique accessible, il n’a pas pour autant dissout la référence à un public, ni à une écoute située. Pour résou- dre cette tension, il a d’ailleurs conçu tout au long de sa vie des dispositifs d’accès à sa musique : société de concerts, répétitions publiques commentées et bien sûr enseignement de la composition ; mais aussi conférences, guides d’écoute, émissions de radios, bibliothèque d’étude de la musique moderne, etc. Le mili- tantisme schoenbergien a donc joué de toutes sortes d’organes pour forcer l’at- tention auditive, pour ne pas adresser la musique d’avant-garde au seul cercle des fi dèles. En mettant en relation plusieurs éléments de ce répertoire militant, nous tenterons de décrire l’émancipation esthétique opérée par Schoenberg en des 4. Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès. La révolution de la nouvelle économie, trad. Marc Saint-Upéry, Paris, Pocket, 2004, p. 29. 5. La place de la musique (et de l’art en général) est d’ailleurs limitée dans L’âge de l’accès. Malgré l’insistance de Rifkin sur les formes de contrôle de l’expérience mises en jeu dans le capitalisme cognitif et leur dimension politique — questions tradition- nellement poético-musicales s’il en est —, c’est principalement le phénomène de la world music qui retient l’attention de l’auteur (p. 403-407), en tant que symbole de l’invasion de territoires esthétiques locaux par l’industrie sans considération à long terme sur les déséquilibres qu’elle provoque dans ces écosystèmes culturels. 6. Aspect du livre bien annoncé par son sous-titre anglais : « The New Culture of Hypercapitalism Where All of Life is a Paid-for Experience ». 137 l’accès à la musique et la condition d’auditeur chez schoenberg termes qui ne soient ni strictement « autonomistes », comme le voudrait l’écri- ture moderniste de cette histoire, ni strictement « réceptionnistes » — comme on pourrait le dire ironiquement des travaux musicologiques basés uniquement sur les réactions de la critique musicale à telle ou telle œuvre et dans lesquels les œuvres « reçues » fi nissent par s’avérer interchangeables. Partant de quelques textes de Schoenberg sur la compréhensibilité en musi- que, nous en viendrons à sa conception de la réalisation sonore de la musique écrite ; puis nous indiquerons comment ces deux problématiques ont été articu- lées pratiquement, sous la forme d’une institution (la Société d’exécutions musi- cales privées, active dans les années qui suivent la fi n de la Première Guerre mondiale). Ce qui est en jeu à travers cette enquête généalogique sur le nœud schoenbergien, c’est plus généralement une politique d’avant-garde de l’accès à la musique. Nous suggérerons, au terme de cet article, qu’elle ne peut être simplement décrite comme une dénégation du public (identifi é à un marché), doublée d’un mépris pour les techniques de reproduction et de diffusion, mais qu’au contraire elle a eu une consistance théorique et une fécondité esthétique, sinon institutionnelle. L’ACCESSIBILITÉ DE LA MUSIQUE uploads/s3/ l-x27-acces-a-la-musique-et-la-condition-d-x27-auditeur-chez-schoenberg.pdf

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