73 Françoise Lecocq « L’iconographie du phénix à Rome » Schedae, 2009, prépubli

73 Françoise Lecocq « L’iconographie du phénix à Rome » Schedae, 2009, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 73-106). Schedae, 2009 L’iconographie du phénix à Rome Françoise Lecocq Université de Caen Basse-Normandie – CRAHAM Nous avons eu l’occasion de nous intéresser à plusieurs reprises à la constitution du mythe du phénix dans l’antiquité et à l’évolution de son symbolisme à travers les civilisa- tions et les âges, de l’Égypte ancienne au XXe siècle, depuis le colloque de Caen consacré à l’oiseau légendaire en 2000 1 ; nous avons mis en avant l’importance du rôle joué par Rome dans le développement de plusieurs, thèmes, celui du feu en particulier. Nous vou- drions ici étudier la représentation du phénix, pour laquelle la documentation antique est également essentiellement romaine. Sur le phénix, la littérature gréco-latine est plus abondante que les images – c’est un oiseau rare : une centaine de documents conservés – et elle dispose de davantage de moyens pour donner à le connaître, à le voir et même à l’entendre. L’iconographie, quel que soit le support (fresques, monnaies, mosaïques, reliefs, graffiti, etc.) est limitée par ses contraintes formelles ; elle ne laisse guère de place à la libre fantaisie des artistes, contrai- rement aux poèmes ou aux romans. Il s’agit pourtant que le phénix, créature imaginaire et d’abord étrangère à la mythologie gréco-romaine, soit clairement identifiable pour le com- mun des mortels. Si les monographies de J. Hubaux et M. Leroy, et de R. Van den Broek ont étudié l’apparence de l’oiseau 2, elles n’ont pas souligné la divergence d’expression et de signifi- cation entre les images et les textes, qui constituent à notre avis deux filières très différen- tes. Nous chercherons à distinguer les éléments qui permettent de reconnaître le phénix, en dehors d’une mention explicite, puis nous étudierons les occurrences iconographiques dans leur milieu, dans leur époque et en fonction de leur support matériel, en tenant compte de leur message symbolique. Nous proposerons alors un classement plus perti- nent, selon nous, que la typologie purement formelle de l’article du Lexicon iconographi- cum mythologiae classicae 3 : il faut faire intervenir contexte et intentions pour dresser un Prépublication n° 6 Fascicule n° 1 1. Cf. LECOCQ 2001a. 2. HUBAUX et LEROY 1939 ; VAN DEN BROEK 1972 (chap. « The external appearance », 233-260), avec un important dossier iconographique, répertoire quasi exhaustif des images antiques du phénix, en noir et blanc, sauf une en couleur (ci-après VdB). 3. VOLLKOMMER 1997. 74 Schedae, 2009, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 73-106). http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0062008.pdf inventaire des représentations du phénix à Rome – il n’en existe pas de connue pour la Grèce antique. Après avoir rappelé les éléments descriptifs du mythe littéraire gréco-alexandrin du phénix (chez Hérodote, puis Ézéchiel le Tragique), nous examinerons les images du phénix à Rome, depuis les premières attestations iconographiques, douteuses ou assurées, aux Ier siècles av. et ap. J.-C. ; deux types de support principalement montrent à partir du IIe siècle deux sortes de phénix : les monnaies pour le phénix impérial et les mosaïques pour le phénix chrétien. Nous chercherons à voir dans tous ces cas si la littérature exerce une influence sur la représentation figurée de l’oiseau, qui lui est postérieure. Une nouvelle typologie iconographique du phénix pourra alors être établie, assez différente de l’image des textes : les portraits de l’oiseau, d’espèce très variable, ne racontent presque jamais son histoire, mais renvoient parfois à sa lointaine origine égyptienne, même en tant que symbole de l’empereur ou du Christ. 1. Le mythe littéraire gréco-alexandrin Il nous faut au préalable rappeler les descriptions du phénix qui sont livrées par les premières attestations du mythe dans la littérature grecque. 1.A. Le phénix grec d’Hérodote Le phénix est d’abord une créature littéraire rarement attestée, avec une description purement textuelle, même s’il s’agit de celle d’une image : sans doute une peinture du fau- con divin Horus, car le portrait d’Hérodote, dans une galerie d’animaux sacrés de l‘Égypte, ne coïncide pas avec l’iconographique égyptienne du benu, l’oiseau représentant l’âme immortelle du dieu Râ-Osiris 4. Celui-ci est, selon les représentations réalistes des papyrus (Textes des Pyramides, Livre des morts) et des peintures de temples ou de tombes, un héron à deux aigrettes, de couleur beige, grise ou bleue, que parfois seuls sa taille surdi- mensionnée et ses attributs (une couronne pharaonique ou un disque solaire) distinguent de l’animal réel et familier des bords du Nil. Herod. 2, 73, 1 : Il y a encore un autre oiseau sacré, appelé phénix. Je ne l’ai pas vu, sinon en peinture (grafh'/') ; aussi bien visite-t-il rarement les Égyptiens, tous les cinq cents ans, à ce que disent les gens d’Héliopolis ; il viendrait, d’après eux, quand son père meurt. S’il est tel qu’on le peint (th'/ grafh'/ parovmoio") voici quelles seraient sa grandeur et son apparence : les plumes de ses ailes sont les unes couleur d’or, les autres d’un rouge vif ; pour la silhouette et la taille, il ressemble de très près à l’aigle. On raconte de lui – à mon avis c’est un récit incroyable –, qu’il accomplirait cet exploit : partant de l’Arabie, il transporterait au sanctuaire d’Hélios le corps de son père enveloppé de myrrhe, et l’ensevelirait dans ce sanctuaire. Et, pour le trans- porter, il s’y prendrait de manière suivante ; il façonnerait d’abord avec la myrrhe un œuf, de la grosseur de ce qu’il peut porter, et s’essaierait ensuite à voler avec cette charge ; l’épreuve faite, il creuserait l’œuf et y introduirait son père ; puis, avec d’autre myrrhe, il enduirait la par- tie de l’œuf qu’il aurait creusée et par où il aurait introduit son père, dont l’introduction réta- blirait le même poids ; et, enveloppé de la sorte, il le transporterait en Égypte au sanctuaire d’Hélios. Voilà, dit-on, ce que fait cet oiseau5. Pour nous en tenir aux éléments descriptifs de la narration de l’historien grec, l’oiseau est de la dimension d’un aigle, de couleur or et rouge – les couleurs solaires. Rien n’est dit 4. En réalité, le benu est un être beaucoup plus complexe et sa signification en Égypte varie selon les siè- cles, voir LECOCQ 2008. 5. Ph.-E. Legrand (trad.), CUF, 1937. 75 Schedae, 2009, prépublication n°6, (fascicule n°1, p.73-106). http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0062009.pdf sur l’espèce (un rapace ? un échassier ?), rien au sujet de la tête (une crête ? une aigrette ?), rien sur le jabot ni les pattes (longueur, forme, couleur) ; pas de queue remarquable. On ne peut se faire une idée plus précise de l’image mentale d’Hérodote car il n’existe à notre connaissance aucune représentation du phénix dans l’art grec 6 où le mythe n’a pas rencon- tré d’écho. Elle est cependant notre principale source de connaissance : dans toute la litté- rature grecque avant l’ère romaine, on ne rencontre que deux autres occurrences du phénix, une antérieure et une postérieure, sans indication sur l’apparence de l’oiseau 7 ; rien chez Aristote : le savant grec ne s’est pas intéressé à cet être légendaire. 1.B. Le phénix alexandrin d’Ézéchiel le Tragique Après Hérodote, c’est la littérature hellénistique judéo-alexandrine qui fournit une nouvelle description du phénix, dans L’Exode d’Ézéchiel le Tragique (IIe siècle av. J.-C. ?), où Moïse rencontre l’oiseau parmi les palmiers et les sources de l’oasis d’Elim. Il s’agit là d’une invention de l’auteur qui n’a pas de modèle biblique. Le texte ne nomme pas expressément l’oiseau, mais tous les commentateurs, antiques et modernes, en proposent cette identification que nous tiendrons pour acquise 8. Le portrait du phénix est plus détaillé que chez l’historien du Ve siècle : est-ce l’imagination du poète qui s’exerce, ou a- t-il d’autres sources – littéraires ou iconographiques – qu’Hérodote, inconnues de nous ? Il n’est pas possible de trancher. En tout cas, l’oiseau d’Ézéchiel n’est pas non plus le benu, bien que l’auteur vive en Égypte, à Alexandrie. Exode, v. 254-269, ap. Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique 9, 28-29 : Là nous avons encore aperçu un animal étrange, merveilleux, tel que personne n’en vit jamais de pareil. Il avait à peu près le double de la taille de l’aigle, les plumes des ailes de couleurs variées, la gorge pourpre, les pattes d’un rouge vermillon et le cou s’ornant d’une touffe couleur de safran. Sa tête était pareille à celle de nos coqs. Ses yeux semblaient lancer des reflets d’émeraude : sa prunelle flambait comme un rouge kermès. Son chant était de tous le plus harmonieux, et des êtres ailés il paraissait le roi. On n’en pouvait douter car, se pressant ensemble, tous les oiseaux, tremblants, s’élançaient à sa suite. Lui marchait devant eux, aussi fier qu’un taureau, et ses pieds, en marchant, faisaient des pas rapides9. Dans l’apparence de l’oiseau, deux éléments hérodotéens sont comme exacerbés : la comparaison avec l’aigle (ce roi des oiseaux qui sert très souvent de référence pour le phé- nix, ici deux fois plus grand) ; les couleurs rouge et or, mais déclinées en trois nuances pour le rouge : pourpre, vermillon et kermès. Les éléments nouveaux sont constitués uploads/s3/ l-x27-iconographie-du-phenix-a-rome 2 .pdf

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