Maisonneuve & Larose Introduction: La calligraphie islamique entre écriture et

Maisonneuve & Larose Introduction: La calligraphie islamique entre écriture et peinture Author(s): Houari Touati Source: Studia Islamica, No. 96, Écriture, Calligraphie et Peinture (2003), pp. 5-18+III-V Published by: Maisonneuve & Larose Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1596239 . Accessed: 09/08/2011 19:18 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Maisonneuve & Larose is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Studia Islamica. http://www.jstor.org Studia Islamica, 2004 Introduction La calligraphie islamique entre ecriture et peinture Dans un panegyrique du calife umayyade al-Walid II (743-744), le poete al-Muqanna' al-Kindi commence curieusement son poeme par un dloge de l'ecriture: << Semblable aux lettres (khatt) que le jeune copiste calligraphie artistiquement dans ses livres, avec son calame et son encre, qu'il oriente avec une adresse consommee, / Calame qui, tel le bec d'une colombe pen- chee, veut precieusement conserver l'oeuvre du docte maitre, / I1 marque les caracteres qu'il dessine, au fur et mesure qu'il les batit et les sculpte, de points diacritiques, pour les rendre encore plus lumineux d'intelligibilitd, et plus transparents de lisibilite (bayian) [...] '. > Dans ce fragment de poeme, qui est l'un des rares a exprimer le senti- ment d'admiration que pouvait susciter l'ecriture a l'epoque umayyade, le traducteur a sans discernement use des termes < ecriture ? et < calligraphie >>. Or, le poete ne peut faire l'eloge de ce qui n'existe pas et qui echappe com- pletement a son horizon culturel et esthetique. Lui preter d'avoir dit: << le jeune copiste calligraphie artistiquement ses livres >, c'est commettre deux graves contresens, l'un concernant l'histoire culturelle, l'autre se rapportant a l'histoire de l'art. La litterature orientaliste abonde d'exemples dans lesquels < ecrit >> et < livre > sont utilises comme des equivalents. L'erreur provient de ce qu'un meme terme - celui de kitab - rend compte aussi bien de l'une que de l'autre de ces deux expressions de la scripturalit6. Chaque fois, c'est l'attention por- tee au contexte qui preserve de l'anachronisme ou de la meprise. Avant d'etre lexico-semantique, ce contexte est cognitif. I1 permet d'observer que si, en 743 ou 744, la culture islamique est une culture de l'ecrit, elle n'est pas la culture de la litterature, c'est-a-dire des livres qu'elle sera vingt ou trente ans plus tard. Pour qu'il y ait livre, il faut qu'il y ait lecteur. En tant que modele d'organisation du savoir et de composition litteraire, le livre fait 1. Jihiz, Kitab al-Hayawtn, 6d. 'Abd al-Salim M. Harfin, Le Caire, 1938-1945, 7 vol., I, 65 ; trad. L. Souami : Jhiz, Le cadi et la mouche. Anthologie du Livre des Animaux, Paris, 1988, p. 105. 5 HOUARI TOUATI du lecteur - le lecteur implicite - l'un de ses rouages textuels ; bien plus, il le presuppose comme une contrainte discursive fondamentale. L'ecrit - du moins celui d'avant l'age livresque - n'a besoin, lui, que d'etre oralise meme si, a l'instar de la lecture, l'oralisation revet diffdrentes formes, puis- qu'elle peut etre sonore, murmuree ou interiorisee. Lorsque le poete dit: << I [le calame] a ses interpretes, qui lui offrent leur propre langue, transmission lumineuse, miroir expressif de ce que leurs levres lisent >, il fait bien refe- rence a l'une de ces modalites d'appropriation. Autant dire que, malgrd leur apparente communaute de destin scellee par le recours au meme vocable, 1'<< ecrit > et le ? livre > ne renvoient pas a des usages identiques de l'ecri- ture (kitaba). L'autre erreur tenace consiste a penser que la culture arabe et islamique connait en 743 ou 744 la calligraphie. Qu'est-ce qui a conduit le traducteur a rendre le premier vers du poete umayyade par ces mots : < Le jeune copiste calligraphie artistiquement ses livres >> ? Sans doute, l'ambiguite du terme khatt. Et certainement, l'usage de la forme verbale ajada (dont nous retrouvons plus loin la forme nominale jawda). Sauf que le sens qui lui est donne ici est eloigne de ceux que recensent les dictionnaires lexicogra- phiques medievaux, lesquels expliquent que ajada signifie: < 1. Donner lar- gement a quelqu'un, le combler ; 2. Faire bien, ou dire bien quelque chose; 3. Produire quelque chose de remarquable, d'excellent. >> A ces sens s'ajou- tent d'autres qui nous eloignent cependant de l'intention du poete. Ni les uns ni les autres ne renvoient a l'idee de transcrire ou de calligraphier < artisti- quement >. Ceux que nous avons mentionnes rendent plut6t compte de 1'<< excellence > de l'ecriture du jeune copiste. Or celle-ci designe une qua- lite technique et non esthetique, qualite que le poete reitere lorsqu'il ajoute: < [...] I1 marque les caracteres qu'il dessine, au fur et mesure qu'il les batit et les sculpte, de points diacritiques, pour les rendre encore plus lumineux d'intelligibilite, et plus transparents de lisibilite. > Les termes < encore > et << plus > impliquent que l'ecriture, qui etait deja intelligible, grace a l'im- peccabilite du trace de ses schemas consonantiques, l'est devenue davantage apres diacritisation. La jawda, c'est cette technicite. Toutes les fois qu'elle est parfaitement maitrisee, elle donne a l'ecriture clarte, nettete et precision, ensemble de traits qui a pour but de faciliter l'assimilation de son contenu. Le poete ne parle donc que d'ecriture. Et pour cause, il ignore la calligra- phie ! II ne pouvait par consequent dire, en parlant d'un copiste: < [I1] cal- ligraphie artistiquement. > Ce qui, de toute evidence, est un pleonasme. Sauf a abuser de son usage, le terme renvoie, de maniere fondamentale, a l'idee de << belle ecriture >, ainsi qu'en fait foi son etymologie (il est en effet com- pose des mots grecs kallos, qui signifie < beaut >>, et graphein qu'il est d'usage de traduire par << ecriture >). En raison d'une telle construction, il va de soi que toute calligraphie est < artistiquement >> ouvree. Ce qui - bien sur - n'est pas le cas de toute ecriture. 6 LA CALLIGRAPHIE ISLAMIQUE ENTRE ECRITURE ET PEINTURE Ces precisions, on s'en doute, n'ont pas pour but d'accabler le traducteur d'un livre du x'e siecle. Elles ne visent qu'a lever des confusions qui ne sont pas toutes imputables a qui est peu familiarise avec la semantique historique. Pour la plupart, les specialistes eux-memes utilisent indistinctement les mots << ecriture > et < calligraphie >> et confondent << crit > et < livre >. La poly- semie entourant kitaba/kitablkatib d'une part, khatt/khattdt/makhtut d'autre part n'y est sans doute pas pour rien. Aussi, un bref rappel n'est pas inutile: le kitdb est le nom de deux realitds mediatiques l'une materielle, l'autre immaterielle dont rend compte l'usage coranique du mot. Le kitdb, c'est aussi une lettre, une missive ou encore, a en croire une source du Ixe siecle (Baladhuri), une < inscription >. C'est enfin un livre, c'est-a-dire une oeuvre de composition litteraire. Kitdba, qui renvoie autant 'a l'< ecriture > qu'a '<F ecrit >, a egalement le sens plus specialise d'< acte >, comme celui que traduit l'operation juridique de mukdtaba par laquelle un maitre affranchit son esclave. Le kdtib est aussi bien 1'<< ecrivain ? que 1'<< ecrivant >. Dans l'administration, il est le scribe ou le secretaire de chancellerie. Plus tardi- vement, il a pu designer le copiste professionnel. Avant de renvoyer de maniere specifique a 1'<< ecriture >, khatt, qui signi- fie - litteralement - << ligne >, << trait >>, << trace >, a d'abord designe tout signe graphique. Dans ces conditions, il peut etre un caractere, un chiffre, un comptage (de cailloux, par exemple), un dessin ou un graffiti quelconque. Tous ces sens sont fixes par l'usage qu'en a etabli la poesie arabe preisla- mique et du debut de la periode islamique. Le terme khatttt appartient ega- lement a la langue arabe archaique. Mais au lieu de designer quelqu'un qui exerce une activite scripturaire, il s'applique au devin specialise dans la magie litterale ou, plus exactement, graphique. En raison de 1'efficacite sym- bolique qui lui est pretee, le khatt a ici un contenu rituel. Il faut attendre le IXe siecle pour que khattdt devienne le nom de celui dont l'activite profes- sionnelle consiste a manier avec virtuosite le calame. Quant au terme makh- tut, il ne se desolidarise de son sens generique pour revetir celui de << manus- crit >> qu'a une epoque plus tardive, meme si des le xIIe siecle un dictionnaire comme celui de Zamakhshari (m. 538/1143) parle de < kitab makhtut >. Le substantif manuscrit - dont makhtuit est la traduction - est lui-meme moderne: il ne reqoit sa sanction qu'apres invention de l'imprimerie. Tous ces sens sont historiquement determines. Ils le sont aussi culturellement. Si bien que, dans une meme situation historique, ils peuvent avoir des signifi- cations contrastees. uploads/s3/ la-calligraphie-islamique-entre-ecriture-et-peinture 1 .pdf

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