La cuisine est-elle un art ? La question ne date pas d’hier puisque Platon, dan
La cuisine est-elle un art ? La question ne date pas d’hier puisque Platon, dans Gorgias, se la pose et répond que la cuisine est un savoir-faire, une simple profession et non un art. Car la cuisine, pour le philosophe athénien, n’a qu’un but, le plaisir, autrement dit la flatterie. Au mieux, elle s’est glissée sous la médecine, comme une routine relative au corps. Cela, ma muse, est bien lointain ! Mais qu’entend-ton par la définition de l’art ? Peut-on faire une différence entre art et artisanat ? Il semble bien que l’artisan puisse reproduire l’œuvre qu’il sait pratiquer. Mais l’œuvre d’art, elle, est unique. L’art est-il durable dans le temps ? Non, par exemple la musique. L’art est-il un luxe ? Souvent, mais pas nécessairement. L’art est-il forcément beau ? Non, c’est subjectif. L’art progresse-t-il ? non, il reste figé au temps du créateur. La définition de l’art dépend de quel point de vue on se place. L’étymologie, selon le Dictionnaire historique de la langue française (Rey-2010), définit l’art comme une « façon d’être » (Ovide). L’Art s’opposant finalement à la Nature, puisqu’il y a acquisition de savoir par l’étude ou la pratique. Mais la signification de l’art a beaucoup changé, évolué selon les auteurs. L’ars latin peut être considéré comme l’héritier de la technè grecque. Tout artefact est une production de l’homme. Ars celare artem : l’art consiste à dissimuler l’artifice. Le philosophe et le cuisinier se rejoignent parfois sur certains thèmes. Quant au consommateur, toute personne qui a fait l’expérience gastronomique dans un restaurant hautement classé (Par exemple 3 étoiles au Guide Rouge) peut témoigner d’un repas d’exception, où la créativité rejoint l’art ; où la technique s’efface devant la beauté des plats et les goûts à nul autre pareil. Le restaurant L’Arpège, tenu par le chef Alain Passard, est régulièrement primé au niveau mondial et engrange des critiques dithyrambiques. Nombre de critiques gastronomiques le considèrent comme un artiste, un virtuose des fourneaux ! Et que dire de Pierre Hermé, chef de file des pâtissiers, quand il crée « La cerise sur le gâteau », emblème de l’art pâtissier ? Carême (1783-1833), le roi des cuisiniers et cuisinier des rois parle bien d’art culinaire, mais se dit artisan, et surtout pas artiste. (Le pâtissier royal parisien, Tome 1, discours préliminaire). On lui attribue cette phrase : « Les beaux-arts sont au nombre de cinq, à savoir la peinture, la sculpture, la poésie, la musique et l’architecture, laquelle a pour branche principale la pâtisserie ». Mais justement, pourquoi beaux-arts ? D’autres ne le sont-ils point ? Non pas, il ne s’agit que d’académisme historique enseigné à l’école éponyme, et qui ne demande qu’à évoluer. D’ailleurs le nombre de disciplines de départ, quatre, a été augmenté de trois arts libéraux puis enfin deux autres encore… Le docteur Austin de Croze a bien tenté de faire intégrer l’art culinaire comme neuvième art dans son livre « La psychologie de la table » de 1928, mais n’ayant pas été suivi, la bande dessinée a pris la place…. En 1826, Brillat-Savarin, dans sa Physiologie du goût, nous livre sa version à la Méditation XXVII : « La cuisine est le plus ancien des arts ». Mais la suite de la phrase est moins convaincante : « Car Adam naquit à jeun, et le nouveau-né, à peine entré dans ce monde, pousse des cris qui ne se calment que sur le sein de sa nourrice. ». C’est un peu juste pour définir un art… Dans les années 1960, le courant artistique Eat Art fait son apparition sous la férule de Daniel Spoerri. Ce courant utilise l’aliment dans les créations artistiques. Plus proche de nous, la documenta, exposition d’art moderne et contemporain allemande mais de renommée internationale, a consacré en 2007 les créations du chef catalan Ferran Adrià, « œuvres d’art à part entière ». Mais attention, création n’est pas découverte ! Ce qui nous ramène à l’aphorisme IX de la Physiologie du goût de Brillat-Savarin : « La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile ». L’appropriation de l’art culinaire se retrouve dans plusieurs titres de livres : *L’art du cuisinier par Antoine Beauvilliers, 1814 *Le cuisinier parisien ou l’art de la cuisine française au XIXe siècle, Antoine-Marie Carême, 1828 *L’art culinaire moderne de Henri-Paul Pellaprat, 1936 *L’art culinaire français, collectif, 1956 Et aussi dans quelques préfaces, à l’instar du « Manuel des amphitryons » de Grimod de la Reynière. Cela dit, voici quelques pistes contemporaines : Michel Onfray, en 1995, dans La raison gourmande est très clair au chapitre sur Carême : « La cuisine relève des beaux-arts, des pratiques culturelles d’une civilisation et d’une époque ». Et au paragraphe suivant : « Le cuisinier est un artiste qui sculpte le temps… » Le livre écrit par Hervé This (physico-chimiste) et ponctué de recettes « œuvres d’art culinaire » par le chef Pierre Gagnaire, La Cuisine c’est de l’amour, de l’art, de la technique, Odile Jacob, 2006. P.17 (Le chapitre s’ouvre sur le titre : « La cuisine est-elle un art ? ». La réponse est donnée… avant, p.13. Thierry Tahon, dans sa Petite philosophie de l’amateur de cuisine de 2007, revient notamment sur les analyses de Kant et sa Critique de la faculté de juger. L’accent est mis sur l’originalité, ainsi que le don naturel et l’exemplarité. Ce qui peut s’appliquer à certains plats de cuisiniers/pâtissiers. A lire également le livre écrit à plusieurs mains et coordonné par Evelyne Cohen et Julia Csergo : L’artification du culinaire, Publications de la Sorbonne, n°34, 2012, contenant plusieurs définitions de l’art culinaire, en lien avec l’historiographie culinaire. André Comte-Sponville, dans son livre « C’est chose tendre que la vie » (2015), aborde le sujet de l’art en son passionnant chapitre 7. Il se détache de Nietzsche quand celui-ci affirme péremptoirement dans La volonté de puissance : « L’art et rien que l’art ! C’est lui seul qui nous permet de vivre, qui nous persuade de vivre, qui nous stimule à vivre. » Plus loin, il nous livre sa définition de l’art où le savoir-faire est central, pour une jouissance désintéressée. Une de plus, mais une qui nous vient d’un éminent philosophe ! Quelques pages plus loin, c’est la définition du goût qui est couchée sur papier. Désormais, l’art culinaire se trouve ancré dans les programmes scolaires : BP Arts de la cuisine, BTS Art culinaire, art de la table et du service, Licence professionnelle Métiers des arts culinaires et des arts de la table. Et que dire des nombreuses associations de promotion de l’art culinaire, telle l’Académie Culinaire de France. On le voit bien à travers ces quelques références, les contours de l’art et de la cuisine sont quelque peu perméables. Un art qui fait appel aux 5 sens. Le seul. Et récemment, le design culinaire a contribué à l’artification d’une certaine cuisine. Certains ajouteront que c’est celui qui regarde, entend, goûte qui définit si pour lui c’est un art, si cela lui donne du sens. C’est assez subjectif en somme. Le mot art est-il galvaudé ? Conclusion : Christian Millau dans le Dictionnaire amoureux de la Gastronomie : « Après tout, si l’on tient absolument à ce que la cuisine soit un art avec un grand A, qu’on ne s’en prive pas. L’art culinaire est tout de même plus sympathique que l’art de la guerre. ». uploads/s3/ la-cuisine-est-elle-un-art.pdf
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- Publié le Oct 08, 2021
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