Les Cahiers de l'INSEP La notion d'art dans les « arts martiaux » Gérard Fouque

Les Cahiers de l'INSEP La notion d'art dans les « arts martiaux » Gérard Fouquet Citer ce document / Cite this document : Fouquet Gérard. La notion d'art dans les « arts martiaux ». In: Les Cahiers de l'INSEP, n°36, 2005. Les dimensions artistique et acrobatique du sport. pp. 55-70; doi : https://doi.org/10.3406/insep.2005.1884 https://www.persee.fr/doc/insep_1241-0691_2005_num_36_1_1884 Fichier pdf généré le 27/11/2019 LA NOTION D'ART DANS LES « ARTS MARTIAUX » Gérard FOUQUET Maître de conférences UFR STAPS P5 Université R. Descartes Introduction Après avoir délimité le champ des « arts martiaux » aux pratiques japonaises, cet article examine quelle est la signification du mot art lorsqu'il se rapporte à des activités de combat d'origine guerrière. Dans la mesure où l'histoire atteste que les « arts martiaux » assurent une fonction utilitaire indiscutable, il s'agit de montrer que l'art du combat contemporain, tout en conservant un usage instrumental du corps, correspond, au-delà de ses apparentes contradictions, à un mode d'expression singulier, avec ses codes et ses significations dérivant des vastes systèmes de concepts propres à l'Extrême-Orient. Plus précisément, il s'agit d'avancer l'hypothèse selon laquelle ces ensembles conceptuels s'inscrivent à la fois dans le lieu où se développent les « arts martiaux », le « dojo » et dans les configurations motrices qu'ils transmettent. L'étude des « arts martiaux » est souvent envisagée d'un point de vue global (1), ce qui conduit à les considérer comme des pratiques de combat formant un ensemble homogène fondé sur les mêmes principes et partageant des valeurs communes. Or, il y a actuellement quelque deux cents spécialités instrumentées ou à mains nues, d'origine extrêmement variée qui, depuis les arts du cirque de Pékin en passant par les lentes gymnastiques médicales du « tai-chi » pour aller jusqu'aux techniques périlleuses du combat rapproché, prétendent cependant toutes constituer d'authentiques « arts martiaux ». S'il ne s'agit pas de dénier le droit à une pratique de combat de LES ENTRETIENS DE L'INSEP conçu comme « ce que les gens font lorsqu'ils pensent ou disent qu'ils font du sport » (2), on admettra ici, en suivant les dictionnaires et les encyclopédies, que les « arts martiaux » désignent « l'ensemble des sports de combat d'origine japonaise, tels que le kendo, le judo, l'aïkido, (...)» (3)-La dimension artistique qu'il s'agit d'examiner concerne dès lors un nombre limité de disciplines, dont le champ d'intervention et les caractéristiques dépendent étroitement d'une histoire commune. D'évidence, elles sont le produit d'une société extrême-orientale dont les mythes fondateurs, les us et coutumes ne sont pas ceux à partir desquels l'Occident a construit les légendes et les valeurs du sport. Dans ce sens, les disciplines de combat japonaises présentent des singularités culturelles. Celles-ci s'observent notamment dans les usages du corps et les spécificités techniques qui les différencient sensiblement des sports de combat occidentaux. Ainsi, la codification des techniques de combat propres aux « arts martiaux » ne provient pas d'une lente transformation d'anciens jeux physiques plus ou moins violents. Elle se fonde sur des adaptations non homogènes et non linéaires de multiples techniques guerrières qui ont été le privilège pendant sept siècles d'une catégorie sociale particulière, celle des « bushi » ou des « samouraï » (4). Ce schéma de différentiation peut sembler cependant fragile puisque le Japon a reçu, par le bais de la Corée, de son imposant voisin continental, la Chine, de nombreuses influences culturelles. Il reste cependant que les pratiques de combat japonaises portent la marque d'une société insulaire qui a ajouté à l'utilitarisme guerrier un idéal de dépassement de soi dans lequel se manifestent à la fois, de façon souvent paradoxale, les arrières mondes de la mythologie et de la religion et le champ du questionnement philosophique. 2- IRLINGER (P), La France Sportive : entre pratique et représentation, enquête « INSEPS », 1985. « Universalia », 1989. 3- Petit Larousse Illustré. 1988. 4- Le vocable « bushi » signifie «le guerrier ». Le vocable « samouraï », évolution phonétique de « saburaï » (être au service de), désigne les guerriers au service de la défense des intérêts d'un seigneur, d'un clan. 56 La notion d'art dans les « arts martiaux » De là émerge l'univers des « arts martiaux » japonais, dont les anciennes règles techniques et sociales sont encore partiellement présentes dans les pratiques contemporaines, notamment lorsque celles-ci perpétuent sous diverses formes les ordres protocolaires traditionnels, les relations pédagogiques de maître à disciple et un type de rapport privilégié de l'homme à son environnement naturel tel que la sensibilité culturelle japonaise le manifeste (5). A ce titre, et tout en sachant que les techniques corporelles de combat japonaises peuvent totalement abandonner leurs rituels d'origine pour adopter ceux du sport, il s'agit de considérer le mot « art » qui les désigne dans un sens très large. L'art peut ainsi d'abord désigner une activité humaine, « une façon d'agir » qui se conforme à la logique d'un ordre, en l'occurrence, la profession des armes. L'art est dans ce cas une démarche instrumentale visant l'efficacité technicienne et l'obtention de résultats que les données de l'expérience sensible objectivent. Et tel est bien ce qu'enseigne l'histoire des « arts martiaux » japonais dont les formes techniques modernes reproduisent pacifiquement la logique binaire des anciens duels guerriers collectifs ou individuels : vaincre ou périr. À ce premier sens, auquel se rattache la fonction politique de l'usage légitime de la violence, la classe des guerriers s'est approprié la direction des affaires politiques du XIIe siècle jusqu'en 1 868 <6). Il convient d'ajouter que dans le cadre rigide de leurs devoirs (7), les guerriers japonais médiévaux apprenaient également a donné une signification subjective à l'entraînement physique, à l'amélioration des performances instrumentales et à la résistance mentale, notamment au cours des longues années de paix que le Japon connut pendant les XVIIIe et XIXe siècles (8). 5- LEVI-STRAUSS (CL), « J'en tirai de précieux renseignements sur la représentation que se font les japonais du travail : non comme action de l'homme sur une matière inerte à la façon occidentale, mais comme la mise en œuvre d'une relation d'intimité entre l'homme et la nature », « Les voies du Japon », « Le Nouvel Observateur », 23-29 sept. 2004, p. 108. 6- Dictionnaire Historique du Japon, Tokyo, librairie Kinokuniya, 1970, p. 91. 7- SAIKAKU (I), Du devoir des guerriers, Récits. Traduit du japonais par J. Cholet, Paris, Gallimard, 1992. 8- Dictionnaire Historique du Japon, op. cit., p. 95. LES ENTRETIENS DE L'INSEP Aussi, cette double orientation des « arts martiaux » permet d'en préciser le champ. D'un côté, les « arts martiaux » d'aujourd'hui restent attachés à la recherche de l'efficacité technicienne et poursuivent pour une part des objectifs instrumentaux, notamment dans le cadre de la compétition sportive réglementée ; de l'autre, les questionnements relatifs au chemin à suivre pour développer et transformer la nature humaine sont l'expression de normes éducatives dont la particularité est d'exprimer une philosophie de l'action requérant un total engagement du pratiquant. Dans un premier temps, à titre d'hypothèse, il s'agit de considérer le « dojo », le lieu où s'enseigne traditionnellement un « art martial », en tant qu'espace à la fois physique et symbolique rassemblant les dimensions concrètes et imaginaires de la pratique martiale. Dans une seconde partie, il s'agit de montrer que l'apprentissage de techniques de combat efficaces se fonde sur des règles singulières, notamment le « ippon », qui fait de l'entraînement « martial » une sorte de travail sans fin dans lequel le pratiquant n'agit que sur lui-même. 1. L'art d'être situé Il est aujourd'hui établi que le judo, le karaté, l'aïkido ou le kendo se pratiquent habituellement dans un « dojo », même lorsqu'il s'agit d'un gymnase ou d'une salle de sport polyvalente. Il est également communément admis que ces disciplines font l'objet de pratiques cérémonielles, qui ne ressemblent pas aux usages sportifs ordinaires. Et depuis plus d'un demi- siècle, la littérature spécialisée (9) se fait largement l'écho des particularités des « arts martiaux » japonais en s 'attachant tout particulièrement à montrer que le « dojo » est un espace organisé, avec ses convenances, ses hiérarchies, ses symbolismes et ses savoirs. C'est à ce titre que la connaissance de l'organisation matérielle et sociale du « dojo » est une clé pour expliquer en quoi consiste l'apprentissage d'un « art martial ». Elle permet également 9- Les annuaires « Judo International » de 1948 et 1950, les revues « Judo Kodokan » et « Budo Magazine-judo Kodokan», publiées entre 1951 et 1972 offrent un panorama détaillé de cette question. 58 La notion d'art dans les « arts martiaux » d'expliquer comment les modalités d'expression individuelles verbales ou corporelles sont étroitement liées à un projet de formation collectif. Ainsi, en premier lieu, il convient de mentionner qu'une prescription implicite ordonne l'espace du « dojo ». Tous ses côtés ne possèdent pas la même signification. En règle générale, le côté le plus éloigné de la porte principale d'accès au « dojo » se nomme le côté « face » et signifie le côté supérieur évoquant uploads/s3/ la-notion-d-x27-art-dans-les-arts-martiaux.pdf

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