Séquence 3 : Théâtre et représentation. Double jeu et faux semblants. LA 1 : «
Séquence 3 : Théâtre et représentation. Double jeu et faux semblants. LA 1 : « On ne badine pas avec l’amour » Alfred de MUSSET, Acte I, Scène 1. Question 1 : Comment Musset renouvelle-t-il la scène d’exposition ? Introduction : L’exposition est un moment clé de toute pièce de théâtre : à la représentation, le lever de rideau amène le silence dans la salle et les spectateurs voient leurs attentes comblées ou déçues. Le lecteur, lui, fait la même découverte quoique sur un autre mode. C’est un début surprenant qu’offre la comédie de Musset, On ne badine pas avec l’amour, avec l’entrée en scène de deux personnages grotesques pour une pièce dont le titre indiquait un thème sentimental, sinon léger. Sans pour autant sacrifier la fonction essentielle d’information, Musset s’écarte de la tradition en matière d’exposition : comment a-t-il renouvelé l’écriture de ce moment obligé ? Pour répondre à cette question, on examinera tout d’abord l’originalité du dispositif, puis le mode de présentation des personnages et enfin, puisqu’il s’agit d’une comédie, la forme particulière de comique. I- L’originalité du dispositif 1- La présence du Chœur (paragraphe rédigé) Le Chœur renvoie traditionnellement à la tragédie antique : il est donc ici doublement inhabituel puisqu’il s’agit d’une comédie « moderne ». Dans la tragédie, le Chœur exprime ses émotions devant le drame qui se joue ; il est en quelque sorte un intermédiaire entre les protagonistes et le public ; ici, le Chœur est formé de paysans et un seul, sorte de coryphée, prend la parole. C’est lui qui ouvre la scène pour annoncer et commenter de manière ironique l’arrivée successive des personnages : il joue donc un rôle de narrateur, et son ironie crée d’emblée un ton particulier, une distance par rapport aux personnages et à leur discours. Sous les commentaires du brave paysan qui s’exprime au nom de ses compagnons, n’est-cepas l’esprit caustique et satirique de Musset qui pointe ? 2- La construction symétrique de la scène À la différence du théâtre classique, la scène n’est pas délimitée par les entrées et sorties des personnages ; ainsi au milieu de la scène, Blazius sort, laissant la place à Dame Pluche, ce qui permet la duplication exacte de la première partie : - une réplique du Chœur construite rigoureusement sur le même modèle (syntaxe, rythme) présente chacun des personnages (Blazius, Dame Pluche) ; - un jeu de scène identique, la descente de la monture (une mule, un âne), puis une demande symétrique de boisson (du vin, de l’eau), enfin un commentaire, une fois la soif étanchée ; - un dialogue s’instaure ensuite entre le Chœur et chacun des deux personnages, qui annoncent l’arrivée, l’un de Perdican, l’autre, de Camille et en tracent un portrait sur le mode de l’éloge. La scène se termine par une phrase de conclusion du Chœur. La symétrie parfaite, avec ses variantes, tantôt adaptées aux personnages (le vin, l’eau), tantôt à contre-emploi (« la mule fringante » pour un homme placide, « un âne essoufflé » pour une femme énervée) souligne l’artificialité théâtrale. 3- Cependant, la fonction informative est remplie Malgré la fantaisie, tous les éléments d’information sont donnés. lieu : une place devant le château, temps : le « temps de la vendange », action : l’annonce de l’arrivée de Perdican et de Camille, respectivement fils et nièce du baron ; leur éducation est terminée, l’un a été reçu docteur, l’autre est sortie du couvent : on suppose qu’un mariage se prépare, comme le laisse entendre l’attente d’une « joyeuse bombance » dans la dernière réplique du Chœur. II- Une présentation décalée des personnages Enchâssement des présentations : le Chœur présente successivement Blazius et Dame Pluche, et chacun d’eux présente à son tour un des deux personnages principaux. Cet enchaînement symétrique et contrasté déréalise l’ensemble pour mettre en valeur le contraste entre les deux fantoches. 1- Présentation par le Chœur Art du croquis dans la description des personnages : images cocasses, bienveillantes pour Blazius, comparé à un nourrisson « comme un poupon » ou « pareil à une amphore antique », plus acerbes pour Dame Pluche « vous arrivez comme la fièvre ». Toute la présentation est orientée : pour Blazius, rondeur (« doucement bercé », « ventre rebondi », « triple menton ») et bonhomie (« il se ballotte », « il marmotte ») ; pour Dame Pluche, maigreur (« durement cahotée », « longues jambes maigres », « mains osseuses ») et acrimonie (« colère », « trépignent », « elle égratigne »). 2- Dévoilement du grotesque et du ridicule - Dès leur prise de parole, les personnages se révèlent : y pour Blazius, une demande un peu contournée mais sans méchanceté : « Que ceux qui veulent apprendre… » ; au contraire Dame Pluche exige et ne s’embarrasse pas de formules de politesse : « Un verre d’eau, canaille que vous êtes ! » ; y même opposition dans l’apostrophe au Chœur : « mes enfants », « mes bons amis » (Blazius) « canaille », « manants » (Pluche), - les portraits hyperboliques qu’ils tracent de leurs élèves respectifs montrent qu’on a affaire à un pédant et à une bigote : - pédantisme de Blazius dans son éloge de Perdican, désigné par des métaphores « diamant fin », « livre d’or », admiré pour « ses façons de parler si belles et si fleuries » ; surenchère sur le savoir supposé du jeune homme qui « ne voit pas un brin d’herbe » sans lui donner son nom en latin ; le personnage est écrasé sous l’entassement des hyperboles et des métaphores. - éloquence plus nerveuse de Pluche dans l’évocation de Camille ; tout tourne autour de la bigoterie : « une glorieuse fleur de sagesse et de dévotion », « ange, agneau, colombe », termes qui renvoient à un idéal de la pureté. Ces portraits sur le mode de l’éloge, flatteurs mais peu crédibles venant de personnages aussi caricaturaux, n’annoncent-ils pas une symétrie entre les héros dont les bouffons constitueraient par avance la parodie ? 2- Décalage entre apparence et réalité - des précepteurs bouffons : dès l’apparition sur scène, décalage entre la noblesse de la fonction et ceux qui l’incarnent ; insistance sur l’ivrognerie de Blazius, sur le côté Séquence 3 : Théâtre et représentation. Double jeu et faux semblants. mégère vindicative de Dame Pluche ; - des portraits qui trahissent leurs auteurs : ignorance de Blazius qui éclate à toutes les lignes, qu’il parle des « parchemins coloriés d’encre de toutes les couleurs » ou énumère le bric-à-brac des connaissances supposées de Perdican ; obsession de la pureté et de la douceur dans les termes choisis pour désigner Camille par une Dame Pluche acariâtre et méchante. III- Liberté et fantaisie 1- Le renouvellement du comique - Le comique de répétition est classique, mais ici, il est volontairement souligné à outrance par les jeux d’opposition et de rigoureuse symétrie ; les personnages deviennent des mécaniques qui tournent à vide (cf. formule de Bergson sur le rire provoqué par « du mécanique plaqué sur du vivant »). - Le comique traditionnel est mis à distance : les personnages de Blazius et de Dame Pluche reposent sur des stéréotypes (le vieux prêtre ivrogne et pédant mais débonnaire, la vieille fille frustrée, bigote et acariâtre) mais les commentaires du Chœur désamorcent les stéréotypes : par l’humour (« voilà notre plus grande écuelle ; buvez, vous parlerez après ») ou par l’ironie (« Pluche, ma mie » ; « chaste robe, vénérables jarretières » « honnête Pluche »). 2- Le parti pris de l’artifice - Le choix d’une langue artificielle : la description des personnages par le Chœur fait la part belle aux termes rares ou vieillis, imagés et contrastant avec la trivialité des personnages, ce qui confère à ces expressions une charge ironique : « mule fringante », « poupon », « se balotte » pour Blazius ; « écuyer transi », « gourdine » pour Dame Pluche. - Le ton burlesque dans la présentation des personnages par le Chœur et héroï- comique dans les éloges hyperboliques de Blazius et de Dame Pluche : le mélange des deux registres crée un excès d’artificialité qui fait éclater le grotesque ridicule des personnages et supprime tout réalisme. 3- un genre inclassable - Le proverbe : genre mondain, divertissement imité du XVIIIe siècle, pièce légère, amusante, courte et facile puisque la morale était contenue dans le proverbe ; mais ici le « proverbe » en question fournit un titre un peu menaçant, négatif en tout cas. - La comédie dramatique : les termes forment une antithèse qui illustre la théorie romantique du mélange des genres ; en apparence, ce début est entièrement comique, pourtant après l’éloge dithyrambique de Perdican par Blazius, on peut déceler une légère touche d’inquiétude dans un souhait du Chœur qui ne se fait guère d’illusions : « Puissions-nous retrouver l’enfant dans le cœur de l’homme ! » Conclusion : Ce qui frappe dans cette scène d’exposition, c’est la liberté que s’accorde uploads/s3/ la1-musset.pdf
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- Publié le Jan 06, 2021
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