Le corps ENTRE CONTRAINTE ET LIBERTÉ Diplôme National Supérieur d’Expression Pl

Le corps ENTRE CONTRAINTE ET LIBERTÉ Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique École Supérieure des Arts Désoratifs de Strasbourg Haute École des Arts du Rhin Dominiczak Marine - atelier bijou Tuteur : Pierre Doze Sommaire INTRODUCTION I - QUOTIDIENNETÉ ET HABITUDES 1 - Habiter la contrainte : adaptation du corps • Des objets et des espaces qui nous domestiquent • L ’ascèse : contrainte quotidienne • Habitude sacrée et pratique rituelle 2 - Vivre la contrainte : le travail, utile besogne • La discipline et le dressage du corps • L ’esthétique de la répétition du geste 3 - Jouer avec le quotidien et conditionner le mouvement : l’expression du corps par la tâche et l’activation de l’œuvre • Le geste quotidien dansé, ou comment l’habitude quotidienne prend part à la création • Détournement d’objets quotidiens et d’habitudes quotidiennes condition tripartite de l’activation de l’œuvre : objet, corps, directive II - AU-DELÀ DE LA NÉCESSITÉ 1 - Fantasme, fétiche et masochisme : un plaisir étrangement inquiétant 2 - L ’attrait pour l’incommodité • Déstabiliser • Marquer, modifier, souffrir • Dominer un corps autrement rebel 3 - L ’esthétique de la souffrance • Terriblement beau • Élégante contrainte CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE 9 - 21 23 - 139 30 - 73 30 - 39 41 - 63 65 - 73 75 - 97 75 - 85 87 - 97 99 - 141 100 - 107 109 - 141 143 - 303 149 - 165 167 -241 168 - 203 205 - 229 231 - 241 243 - 301 243 - 275 277 - 301 303 - 311 315 - 318 INTRODUCTION 11 « Touch-bracelet esclave pierres » et « Collier style esclave » : le 4 mars 2013, la marque de prêt-à-porter espagnole Mango suscite l’indignation en proposant à la vente des « bracelets esclave tressés », selon le quotidien Le Monde1. Le groupe Mango s’excuse en donnant pour cause une « erreur de traduction » de l’espagnol, « esclava » signifiant « esclave » mais également un style de bijou – de même d’ailleurs qu’en français. « Ces bijoux formés de chaînes sont censés faire de l’es- clavage un objet de fantaisie et de mode », s’indignaient les auteurs2 d’une pétition lancée peu de temps après le début de la polémique. « En réduisant ce crime contre l’humanité à un ornement décoratif, Mango manque gravement à l’éthique qu’une telle marque devrait défendre. » ajoutent les initiateurs de la pétition. Dans quelle mesure est-il raison- nablement envisageable de lire un crime contre l’humanité dans la proposition d’un bracelet faisant référence à l’escla- vage ? Sachant qu’il s’agit d’une terminologie professionnelle, il serait possible d’évacuer la question très rapidement, et mettre cette émotion sur le compte d’une méconnaissance de l’histoire du bijou. Une telle polémique a-t-elle réellement lieu d’être ? S’agit-il d’une opération de publicité à caractère volontai- rement scandaleux ? Ou le scandale est-il dans la démagogie de dénonciation de ce qui ne mériterait pas la stigmatisation, ou en tout cas pas à un tel degré ? quelles sont ces limites éthiques dont le groupe Mango est accusé de franchir les repères ? Le style esclave du bijou vendu par Mango connote évidem- ment l’esclavage, pour peu que la chaîne archaïque puisse y être 1. article du journal Le Monde datant du 4 mars 2013 2. Aissa Maiga, Sonia Rolland et Rokhaya Diallo sur le site Internet http://www.change.org 12 désormais associée par le type de clients auquel s’adresse cette entreprise ­ – public très jeune, souvent adolescent. De manière certaine, il signifie initialement une esthétique de domination et de la contrainte. Il est communément entendu qu’il s’agit, en soi, d’un état fâcheux que l’on redoute et fuit, et qui va surtout à l’encontre des principes moraux les plus élémentaires de res- pect de la dignité humaine dans le contexte d’un État de droit, celui de la société démocratique contemporaine. Cette histoire pose, avec une nouvelle manifestation d’une attitude politi- quement correcte, la question du statut du terme « esclavage ». On pourrait étendre cette réflexion à toutes les oeuvres d’art classiques qui mettent en scène l’esclavage, sans que la position de l’artiste ne signale clairement la dénonciation de la situation décrite, si l’on pense par exemple à un tableau de Delacroix : devrait-on en évacuer l’accrochage public parce que la condi- tion féminine qu’il traduit est celle de créatures privées de leur libre arbitre dans le contexte d’une société inégalitaire ? Ou voir dans les ‘Demoiselles d’Avignon’ de Picasso une représentation de la prostitution qui tendrait à en rendre digne d’intérêt la pra- tique, considérer comme prosélytisme toute mention d’un état qui serait une atteinte aux droits élémentaires de l’Homme dans le cadre d’une oeuvre relevant d’un processus de création ? Au delà de cette situation devenue bizarre ­ – à la fois infiniment respectable dans ses intentions, autant que ridicule dans les dangers qu’elle signale le plus souvent – le propos de notre travail voudrait nous conduire à considérer le rapport entre- tenu à un certain nombre de valeurs généralement considé- rées comme contraires aux désirs, aux espoirs, aux rêves que devraient formuler les individus nés libres et égaux en droit, aspirant à une vie individuelle et sociale, fertile et sereine. À différents degrés et nuances, d’un point de vue symbolique ou physiquement sensible, vont nous intéresser la traduc- 13 tion des valeurs de la contrainte, de la gêne et de l’inconfort, de l’embarras, de l’entrave, de la violence et de la cruauté. Il s’agira d’une étude concentrée sur ces atteintes, diverses, volontaire- ment portées sur son corps par un sujet qui en est lui-même l’objet et le destinataire, ou s’exprimant à travers l’expression de son corps, par sa gestuelle et ses attitudes. Cette étude exclue donc les mesures coercitives, punitions et châtiments, tortures et humiliations qui ne résulteraient pas d’un choix délibéré et conscient, accompli par une personne libre, en possession de tous ses moyens. Le bijou, la parure, l’ensemble des dispositifs à caractère décoratif auquel le corps est susceptible de servir de support, ainsi que la gestuelle de son corps participant à son apparence et résultant d’habitudes pouvant relever de la coer- cition de la quotidienneté, constituent la perspective de notre interrogation, dans le cadre de cet examen spécifique. Que porte en lui cet objet porté sur le corps, dont on sait les puissances de signification ? Quelle est cette dimension de la contrainte, propre à l’asservissement mais également beau- coup plus vaste, qui suscite des réactions aussi enflammées ? Est-ce un phénomène nouveau, témoignant d’un état de nos sociétés? Réfléchir à la contrainte – nous résumerons à ce mot unique notre préoccupation qui couvre un ensemble plus large, évoqué un peu plus tôt – conduit à lire une situation dont on constate la mise en oeuvre régulière dans notre société démocratique. Il devient très rapidement clair qu’elle n’est pas toujours imposée, malgré soi et contre sa volonté mais choi- sie délibérément. Il serait alors bien rapide de n’y voir qu’une nuance de déviance confinant au dérèglement psychique, la marque de son assentiment à des systèmes indignes tel que l’esclavage, une volonté d’écrasement de la personne exercée par autrui. Face à cette perspective d’ordre politique et moral, économique et philosophique peut-être aussi, se pose pour 14 nous plus précisément la question du statut et de la finalité de l’objet porté par le corps. La question de la portée physique, symbolique et sémiotique de sa nature, en regard de celui qui porte l’objet comme de celui qui le regarde. Est-ce provocant, voire même indigne, de porter un bijou se référant à de telles significations, évocations et mémoire sur son corps ? Devrait-on en décider l’illégalité, la condamnation, au même titre que le sont désormais certains signes d’apparte- nance religieuse témoignant d’un comportement incompatible avec des principes fondateurs de la République ? Est-il, plus simplement, contre-nature de porter sur soi la marque de la contrainte de manière ostensible ? La dépendance totale d’un individu soumis à un maître, définissant le statut de l’esclave3 , sous-entend un lien direct à l’application d’une contrainte sur le corps humain par un indi- vidu qui lui est supérieur en autorité. L ’esclavage, ayant été aboli en France en 1794 est qualifié, d’ « attentat contre la dignité humaine » par le décret Schoeler, le 27 avril 18484. Il va donc à l’encontre des principes juridiques de la société démocra- tique. Porter la marque de l’esclavage et de la contrainte sur son corps, est donc mal perçu par une partie du corps social – sinon par celui qui la choisit de façon délibérée consciemment ou non. Entendu comme signe démonstratif de l’esclavagisme, le collier esclave proposé par Mango serait indigne, offensif et irrespec- tueux envers tous les peuples ayant connu ce traitement, dan- gereux aux yeux de tous ceux qui en redouteraient l’exploitation à des fins décoratives ou marchandes. 3. article Servitude du Dictionnaire du corps, dirigé par Michela Marzano, éditions Puf, 2007 4. ibid. article Dignité 15 Dans une société qui prône la liberté comme l’une des uploads/s3/ mep-me-moire-dnsep-corrige-pdf.pdf

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