licence Creative Commons Paternité Pas d’Utilisation Commerciale Partage des Co
licence Creative Commons Paternité Pas d’Utilisation Commerciale Partage des Conditions Initiales à l’Identique © 1 L’AUTRE MUSIQUE REVUE 4 BRUITS Les tactiques de choc du groupe SPK Nicolas Ballet - mars 2016 Musique industrielle et esthétisation de l’horreur Les tactiques de choc du groupe SPK Nicolas Ballet L’Angleterre des années 1970 assiste à la naissance de groupes de musique industrielle qui participent à l’émergence d’une contre-culture opérant comme une plateforme d’échange entre les arts. Ce phénomène, qui se comprend notamment dans le contexte du dialogue qu’il entretient avec l’héritage de la moder- nité, révèle une scène artistique polymorphe. Le bruit est investi par les artistes industriels à travers des enjeux visuels et sonores singuliers. Les tactiques de choc employées par la formation australienne SPK révèlent un détournement du domaine de la psychiatrie. Il s’agit notamment de montrer comment ce groupe « fait subir à l’image ce que le bruit fait subir au son ». L’Angleterre des années 1970 assiste à la naissance de groupes de musique industrielle qui participent à l’émergence d’une contre-culture opé- rant comme une plateforme d’échange entre les arts. Celle-ci engage une réflexion aboutie et élaborée entre le graphisme, la musique, la perfor- mance et la vidéo dans un cadre expérimental et sous l’emprise croissante des technologies. Ce phénomène, qui se com- prend notamment dans le contexte du dialogue qu’il entretient avec l’héritage de la modernité, révèle une culture visuelle foisonnante qui investit des pratiques artistiques singulières : il s’agit ici du copy art et du mail art impliquant la conception d’affiches, de fanzines, de pochettes de disque et de tracts. Certains acteurs de cette scène industrielle prennent conscience de l’importance du rôle des médias et de la nouvelle forme de pouvoir qui les accompagne dans la capacité à manipuler les masses. C’est le cas des membres du groupe australien SPK (fig. 1), qui participent à ce phé- nomène en s’appropriant dès 1978 les sons de l’industrie lourde, afin de mettre en avant les aspects les plus conflictuels de la société postindustrielle des années 1970 et 1980. L’em- ploi offensif du bruit dans le domaine du spectacle est ici amplifié par une esthétisation du domaine psychiatrique, en sélectionnant les images les plus saisissantes présentées sous la forme de collages photocopiés et de vidéos élaborées par le groupe. Ces stratégies de recyclage révèlent de nouvelles Fig. 1. SPK. Brick Works. 1982. licence Creative Commons Paternité Pas d’Utilisation Commerciale Partage des Conditions Initiales à l’Identique © 2 L’AUTRE MUSIQUE REVUE 4 BRUITS perspectives artistiques visant à malmener le public par des effets visuels et sonores : il s’agit ici des tactiques de choc propres au genre industriel. L’in- tention étant de réveiller les esprits en proie au contrôle mental appliqué quotidiennement par les médias de masse qui, selon les membres de SPK, neutralisent l’individualité par la mise en place de normes. Cet emploi répulsif de l’image se retrouve dans le phénomène de rejet qu’une certaine utilisation du bruit peut parfois provoquer. Les recherches du groupe australien s’appréhendent dès lors via le terme de « parasite » qui est, selon Vincent Ciciliato, porteur de bruit. Dans l’ouvrage collectif Parasite(s), une stratégie de création, il évoque ce phénomène : « Le para- site, comme le bruit, est le convive non désiré, gênant, car il induit le chaos dans tout système organisé. Dans le monde sonore, il sera le non musical, l’aberration dissonante. [...] Le visuel, quant à lui, fera du bruit l’élément opaque : poussière, déchirure, souillure de la trace indexée. » (Ciciliato, 2010, p. 59-60) Comme le souligne à juste titre Michel Serres (1982, p. 32), « il n’y a pas de système sans parasite. » SPK entend présenter une application polymorphe du parasite qu’il convient ici d’étudier pour ses enjeux visuels et sonores. L’em- ploi de stratégies antipsychiatriques par la surenchère d’une violence radicale indique un usage multiple du bruit déclinant les formes du parasite dans des aspects successivement conceptuels, visuels et comportementaux. Il s’agit dès lors de révéler, à travers l’étude des recherches plastiques de SPK, la façon dont le groupe « fait subir à l’image ce que le bruit peut faire subir au son1 ». Il est nécessaire d’évoquer dans un premier temps les concepts de la for- mation australienne autour du prisme de la psychiatrie avant d’étudier les parasites visuels élaborés par SPK à travers les exemples du livret Dokument One et de la vidéo Despair. Il s’agira enfin d’analyser les attitudes guerrières adoptées par le groupe lors de leurs performances scéniques, où le bruit visuel et sonore devient l’outil d’un « divertissement douloureux », pour reprendre l’idée du sous-titre de l’album Greatest Hits du groupe Throbbing Gristle : Entertainment Through Pain. Désinformation et perspectives antipsychiatriques Dès sa formation, SPK met en place un système de références extrêmement pointues afin d’élaborer des manifestes où le contrôle mental, la psychiatrie et les mécanismes de la société postindustrielle sont au cœur du propos de la formation, comme peut en témoigner la publi- cation de l’Industrial Culture Handbook (Juno & Vale) en 1983. L’artiste Graeme Revell, chef de file du groupe australien, découvre en 1979 les travaux de Baudrillard, Deleuze, Foucault et Lyotard, suite à un séjour d’un an à Paris. Les références présentées au sein de l’article « The Post-Industrial Strategy », publié dans le manuel de la culture industrielle, révèlent l’in- fluence de ces auteurs pour l’artiste, alors infir- mier de secteur psychiatrique dans un hôpital public de Sydney au début de sa carrière. Graeme Revell ouvre également un dialogue avec certaines figures emblématiques de la contre- culture américaine dont il intègre les apports dans ses recherches. C’est le cas de l’écrivain William Burroughs qui, à la suite d’une performance donnée par SPK à San Francisco en 1982, consi- dère la formation comme son groupe musical favori (fig. 2). La Révolution Les tactiques de choc du groupe SPK Nicolas Ballet - mars 2016 Fig. 2. William S. Burroughs avec le groupe SPK, 1982. licence Creative Commons Paternité Pas d’Utilisation Commerciale Partage des Conditions Initiales à l’Identique © 3 L’AUTRE MUSIQUE REVUE 4 BRUITS Les tactiques de choc du groupe SPK Nicolas Ballet - mars 2016 Electronique (Burroughs, 1971) de l’auteur américain est un repère pour ces artistes industriels fascinés par le phénomène de la désinformation, straté- gie adoptée rapidement par SPK. Eric Duboys évoque ce phénomène dans son ouvrage Industrial Musics - Volume 1 : « Les quelques entretiens accordés par SPK à la presse musicale de l’époque contiennent bien souvent des informations contradictoires entre elles, tant au niveau des dates que de la composition exacte du groupe, cette tactique (volontaire) de désinformation faisant partie de la stra- tégie de SPK pour construire toute une mythologie autour du groupe » (Duboys, 2009, p. 93). La formation Throbbing Gristle, qui initie le genre industriel dès le milieu des années 1970, est également sous l’influence des théories de Burroughs et annonce une « guerre de l’information » qui mobilisera le mouvement contre la manipulation des médias de masse. Là où Throbbing Gristle prend conscience d’une nouvelle forme de pouvoir s’exerçant sur la vie psychique des individus, SPK entend dénoncer les formes répressives des conditions de vie des patients en milieu psychiatrique. Cette fascination pour l’univers psychiatrique et mortuaire implique la notion de douleur, qui est au cœur de l’esthétique élaborée par SPK, le groupe ayant choisi son nom sous l’influence d’un collectif allemand marxiste radi- cal dénommé Sozialistisches Patientenkollektiv (S. P. K.) et dont les théories se développent dans l’ouvrage Faire de la maladie une arme (S.P.K., 1973). Le domaine psychiatrique est investi par Graeme Revell afin d’interroger le statut de parasite incarné par les patients en hôpitaux psychiatriques, en proie à des expériences scientifiques radicales (électrochocs, implants cérébraux, privation sensorielle, etc.). L’individu placé en établissement spécialisé n’est plus apte à vivre parmi les esprits « saints ». Ce système de dénonciation du nuisible mobilise les membres de SPK qui entendent révé- ler ce phénomène par des enjeux visuels référencés. C’est le cas de l’un des visuels conçu pour l’album Information Overload Unit, montrant un patient subissant une priva- tion sensorielle. Il s’agit ici d’une technique de manipulation mentale employée par la CIA dès les années 1950. Ces expé- riences portaient notamment sur des domaines tels que la stimulation électrique du cerveau, l’hypnose, les ultrasons et la bioélectricité. Ces techniques de « déprogrammation » du cerveau sont dévoilées au grand jour suite au scandale de l’Institut Allan Memorial à Montréal révélant le projet MK- Ultra par le témoignage de certains patients. Ce programme, mené à l’époque par le docteur Donald Ewen Cameron, visait à étudier les modifications du comportement humain par une privation sensorielle. Les scientifiques du MK-Ultra pouvaient plonger des patients dans des caissons pendant des jours en les privant de leurs sens par des casques et des gants et en les soumettant à un son diffusé constam- ment (fig. 3). La technique du psychic driving répétait par exemple une phrase comme « ma mère me déteste » afin d’étudier « les effets sur le comportement humain de uploads/s3/ musique-industrielle-et-esthetisation-de.pdf
Documents similaires
-
25
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 21, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 1.7325MB