Vibrations Bernard Lortat-Jacob (dir.), « L’improvisation dans les musiques de
Vibrations Bernard Lortat-Jacob (dir.), « L’improvisation dans les musiques de tradition orale », Ethnomusicologie, 1987 Jean-Michel Beaudet Citer ce document / Cite this document : Beaudet Jean-Michel. Bernard Lortat-Jacob (dir.), « L’improvisation dans les musiques de tradition orale », Ethnomusicologie, 1987. In: Vibrations, N. 6, 1988. Apprendre la musique. pp. 323-325; https://www.persee.fr/doc/vibra_0295-6063_1988_num_6_1_1088_t1_0323_0000_2 Fichier pdf généré le 28/03/2018 Apprendre la musique 323 Bibliographie 1. Dennison Sam, Scandalize my name : Black imagery in american popular music. New York, Garland Publishing, 1982, 594 p. 2. Evans David, Tradition and creativity in the folk blues. PhD diss. , u.c. l.a., 1976, 620 p. 3. Dundes Alan, éd., Mother wit from the laughing barrel : readings in the interprétation of afro-american folklore. New York, Garland Publishing, 1981, 674 p. Bernard Lortat-Jacob, sous la dir. de, l'Improvisation dans les musiques de tradition orale, 1987, Paris, s. E. l.a. F. (Ethnomusicologie 4). Les musiciens mitsogho du Gabon emploient la racine verbonominale simba , qui signifie « tenir, s'arrêter, localiser, mais également combiner, se concerter et enfin accorder un instrument », pour désigner le prélude improvisé qui permet d'accorder la harpe. Au Moyen-Orient, « le terme de taqsim , qui désigne le genre d'improvisation individuelle du rythme non-mesuré, évoque l'idée de division, de morcellement et suggère que l'artiste procède par fragmentation d'un modèle en ses éléments constitutifs, afin de les réorganiser à son goût ». En Irlande, le processus qui permet la composition de nouveaux airs et la création de nouvelles variantes d'airs en cours de danse, est nommé « tourner », turning. Les chanteuses tchokwe (Angola-Zaïre) associent trois outils conceptuels pour désigner Improvisation : yikuma, « nouvelles, événe¬ ments, choses », mianda , « le fait de susciter », yishima, « le fait de dire ». Enfin, au Viêt-nam, l'improvisation se nomme tùy hûng, littérale¬ ment « selon l'inspiration ». Rares sont les peuples du monde qui nomment l'improvisation, mais ces cinq cellules conceptuelles extraites de quelques-unes des études qui composent l'Improvisation dans les musiques de tradition orale nous en offrent une image panoramique : le geste, le toucher, les combinatoires modulaires, le jeu de la nouveauté, l'intention créatrice. Cet axe de recherche, nourri ici par une réflexion collective et éclairé par des points de vue multiples, nous propose la première véritable tentative de synthèse pour comprendre l'acte d'improviser. « Avant toute définition, l'improvisation se présente comme la manifes¬ tation d'une individualité dans un contexte collectif (groupe d'auditeurs et/ou modèle musical)... Dans l'improvisation, le musicien est au centre d'une dialectique permanente entre l'effet de reconnaissance et l'effet de surprise produit sur le public ». Les premières études de cet ouvrage nous montrent comment les statuts de l'improvisateur et de 324 Notes de lecture l'improvisation diffèrent selon les sociétés, comment au sein d'un même peuple, le taux de nouveauté tolérée ou encouragée varie selon les types musicaux et les lieux de la musique, comment ce jeu avec les frontières du modèle peut suivre aussi les transformations sociohis- toriques. « Dans le folklore musical, il est non seulement impossible de faire la distinction entre interprétation et reproduction, mais encore, comme chacun sait, toute nouvelle exécution d'un texte traditionnel est un acte créatif et se présente comme variante d'un modèle-mère... A ce propos, Paul Zumthor parle justement de « fausse ré-itérabilité » de la tradition orale. La célèbre dichotomie de Bogatyrev et Jakobson, création collective/variation individuelle (sur le modèle de celle de Saussure, langue/parole) rend bien l'idée de ces mécanismes de production du folklore. » Et, au fil de ces études, l'improvisation apparait bien comme le principal mode de régénération des formes dans les musiques de tradition orale. Au cœur de ce livre, 14 définitions de l'improvisation, proposées chacune par un des auteurs, donnent plus d'épaisseur et d'ouverture au concept bien sûr, et offrent aussi une image dynamique de la recherche en cours. Ces définitions sont organisées en un « jeu » qui les ordonne selon l'axe (1) émetteur (niveau poïétique), (2) message (niveau neutre), (3) récepteur (niveau esthésique). On peut tenter ici d'en donner un résumé diagonal nécessairement simplificateur : l'im¬ provisation est (1)une attitude musicale qui, par la conjugaison de règles de variations et d'une stratégie créatrice (2), met en œuvre au moment de leur conception des rapports inédits (3) à l'intérieur de cadres temporels socialement définis. Les concepts opératoires tels que module ou modèle nous sont présentés avec une grande précision par une investigation intensive de leurs relations à une production de tradition orale et par la définition de leur fonction génératrice : « l'imprévu n'est lui-même perçu comme tel que grâce à l'existence d'une référence stable et permanente qui est de l'ordre du modèle... Selon une conception statique, le modèle est lui-même doté de substance et de forme ; selon une conception dynamique, il joue le rôle d'une matrice qui permet l'existence de différentes formes. » Enfin, on trouvera une typologie de l'improvisation, ou plutôt, au fil des études, des typologies croisées : - Le premier axe distingue l'improvisation stratégique, simple choix dans un stock de figures, et l'improvisation créatrice génératrice de nouvelles formes. - Cette gradation, de la redondance à l'information, s'applique aux différents type d'éléments manipulés : mélodie, tonalité, mode, rythme, style (phrasé, ornementation...) ; une improvisation pouvant combiner la variation de plusieurs de ces éléments. Apprendre la musique 325 - Le 3e axe définit la dimension, le calibre des modules interchan¬ geables, depuis les plus petites unités temporelles jusqu'aux seg¬ ments, épisodes et ordre des épisodes. - Le dernier axe concerne la forme des transformations : s'inscrivent- elles dans un parcours obligé à l'image du domino, ou dans un cycle aux récurrences repérables ? Procèdent-elles graduellement ou par seuil ? Combinent-elles plusieurs de ces possibilités, plusieurs dimen¬ sions de modules ? Bien entendu, ces différents types d'improvisation s'accordent plus ou moins bien avec les caractéristiques d'une musique donnée : musique mesurée/non mesurée, la première étant plus favorable aux variations modulaires ; danse, qui valorise souvent l'improvisation rythmique ; esthétique essentiellement répétitive, comme par exemple celle du jeu de la sanza de Centrafrique où la nouveauté se loge dans les attaques et le phrasé, comme pour dire, il y a toujours une place pour l'inouï... Cette musicologie tend à nous présenter l'improvisation essentiellement comme génératrice de nouvelles formes par une dialectique interne à ces formes (variations modulaires, parcours modaux...), mais, et cela est peut-être dû à la nouveauté d'une telle recherche, comme le souligne l'un des auteurs, les ouvertures d'un système musical sont rarement présentées dans l'intention poïétique du musicien. On peut se demander alors si le concept de « système » musical permet de comprendre complètement une action aussi fondamentale que l'impro¬ visation : des analyses organisées sous forme de système permettent de décrire les lois d'une musique et de localiser la variabilité. Reste à intégrer ces données dans le jeu de la création entre un apport individuel et une écoute collective. Selon des perspectives très diverses, allant d'une préoccupation plutôt formaliste à des approches plus anthropologiques, plus « music in culture», 19 chercheurs européens nous offrent dans cette œuvre collective 27 articles, courts pour la plupart, et coordonnés en deux parties : la première situe l'improvisation dans son contexte social et présente les outils conceptuels, la seconde rassemble des études régionales (musiques tribales d'Afrique, musiques savantes d'Orient, musiques populaires d'Europe). Enfin, une cassette d'exemples musi¬ caux (commentés si on le souhaite) illustre ces textes et nous propose une promenade dans les improvisations du monde. Cet ensemble d'études, grâce à la finesse des analyses musicales, donne à comprendre d'abord la variété des manières d'improviser, et, à travers ces différences, ouvre la question des relations entre création, apprentissage, virtuosité et geste musical. Soigneuse et riche ethnomusicologie de l'improvisation : les naissances de l'au-delà, les questions de l'imprévu. Jean-Michel Beaudet uploads/s3/ l-x27-improvisation-dans-les-musiques-de-tradition-orale.pdf
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- Publié le Mai 16, 2022
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