SOMMAIRE EDITORIAL À contre-courant Stéphen Bouquin 1 grand entretien Repenser

SOMMAIRE EDITORIAL À contre-courant Stéphen Bouquin 1 grand entretien Repenser la critique du capitalisme à partir de la domination sociale du temps et du travail Entretien avec Moïshe Postone réalisé par Stephen Bouquin 5 dossier Formes et dynamiques du travail informel Une introduction au dossier Stephen Bouquin et Isabelle Georges 17 Précarité, informalité : une perspective Nord-Sud pour penser les dynamiques des mondes du travail Paul Bouffartigue et Mariana Busso 27 Les réseaux invisibles de la surexploitation du travail : inégalité sociale, informalité et accumulation capitaliste Ludmila Costhek Abílio 41 Complexité de l’informel. Réflexions à partir des transformations de l’industrie textile en Inde. Djallal Gérard Heuzé 53 De l’éthique mouride au travail informel à Dakar Sadio Gning 69 Les coursiers en Argentine : l’économie informelle à plein gaz Guillaume De Gracia 83 Entre travail « formel » et « informel »: la législation du travail et sa mise en pratique dans le secteur de l’emploi domestique dans la ville de Buenos Aires Ania Tizziani 93 Le secteur informel au Mexique dans le contexte de l’Amérique latine entre 1980-2009 Lukasz Czarnecki 109 1 2 d’ici et d’ailleurs Le travail non standard comme outil comparatiste des frontières de la relation salariale : France et Etats-Unis Donna Kesselman 123 Les relations de travail en Chine aujourd’hui Heiko Khoo 128 thème Le stress au travail : un enjeu social ouvert L’exemple des soignantes hospitalières Paul Bouffartigue 137 Configurations de rémunérations et rapport aux temps de travail : le cas du champ de la santé mentale Lise Demailly 151 notes de lecture Bernard Friot – L’enjeu des retraites (Gaëtan Flocco) Michel Lallement – Le travail de l’utopie. Godin et le familistère de Guise (Alain Maillard) Hartmut ROSA – Accélération. Une critique sociale du temps (Alain Maillard) 3 4 5 165 1 DE L’ETHIQUE MOURIDE AU TRAVAIL « INFORMEL » À DAKAR Mlle Sadio Gning Post doctorante : Université Paris Descartes/ UMR CEPED- INED 133 Boulevard Davout Sadio.ba-gning@ined.fr 2 RÉSUMÉ Les commerçants mourides s’approprient de manière pragmatique les valeurs du travail rédempteur et s’organisent en réseaux confrériques. Ainsi ils ont généré le modèle de l’escalier dont les logiques sont considérées comme relevant d’un travail « informel ». En se soumettant à l’autorité des marabouts, ces commerçants utilisent l’identité confrérique comme une ressource, non seulement pour obtenir la grâce jugée indispensable à la bonne marche de leurs affaires, mais aussi comme un bouclier fiscal, en faisant intervenir les marabouts auprès de la direction des impôts et domaines. Dans cette logique, les contributions pieuses constituent des investissements socioéconomiques au même titre que les capitaux marchands et les moyens de la relation de clientèle qui unit les marabouts à leurs fidèles. La naissance de la confrérie mouride au lendemain de la colonisation, consacre une nouvelle ère dans l’islam populaire sénégalais (corps intermédiaires censés organiser le culte musulman). D’inspiration soufie, le mouridisme est fondé à Touba par Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké (1853- 1927) qui préconise la recherche du salut dans le détachement des jouissances terrestres et la méditation. Pour cela le musulman doit se soumettre à un intercesseur auprès de Dieu, un guide spirituel appelé marabout. Ce dernier a la responsabilité de former son disciple ou « talibé » sur ses obligations religieuses. 3 Aujourd’hui, les mourides se présentent comme les principaux acteurs de la « débrouillardise » que l’on a souvent assimilée à un travail « informel », une « économie souterraine » ou « périphérique » parallèle à « l’économie centrale », bureaucratique et administrative. Ils ont forgé un nouveau modèle : un comportement économique typique, en marge des pouvoirs publics et des procédures économiques formelles (Chavagneux, 2003). Ces derniers se livrent à un double paiement d’impôts : l’un, rebutant, pour l’État, l’autre, consenti, pour la confrérie. En effet, ils versent généreusement des contributions pieuses à leurs marabouts et rechignent à payer les impôts de l’État1. Mon dessein est de montrer comment la dialectique du mouride- commerçant, à l’interface de l’organisation commerciale et de la confrérie (Riccio, 2003) entretient la logique du travail « informel » : repli identitaire et ouverture sur le marché, rejet de la modernité sur le plan des mœurs et volonté d’y entrer sur le plan économique, communautaire et individualiste, culturellement conservateur et économiquement libéral. Les travailleurs mourides s’adonnent au commerce où ils combinent soumission à la domination charismatique d’un marabout et liberté d’entreprendre. Secret de leur ingéniosité dans les affaires, ou signe de grâce (« baraka »), ce processus témoigne d’une fine subtilité entrepreneuriale car ils laissent entrevoir tantôt une laïcité, tantôt une religiosité dans l’activité commerciale. Motivés par les vertus conférées au travail, ils s’investissent dans des réseaux socioéconomiques pour courtiser les marchés très prisés ou encore peu 1 Les données utilisées ici sont tirées de mon enquête socioanthropologique réalisée dans le cadre de ma thèse : « confréries, fiscalités et syndicats de commerçants dans le « secteur informel » à Dakar. 4 connus et répondent aux besoins immédiats du consommateur final. Dans cette logique, les associations urbaines religieuses appelées « dahira » jouent un rôle non négligeable, en tant que lieux privilégiés où s’entretiennent et se renouvellent leur capital social et leur capital religieux. Ces organisations organisent les versements des « charges privées domestiques » ou « extra- économiques » qui rendent à la fois leurs opérations d’échange envisageables et économiquement rentables au même titre que le capital mobilisé dans le commerce. (Grégoire et Labazée, 1993). Après avoir analysé la valeur du travail dans la confrérie mouride, nous montrerons comment la dynamique des réseaux confrériques contribue à renforcer le commerce « informel ». Ce dernier s’est longtemps déroulé dans la « clandestinité ». Il se manifeste aujourd’hui par une occupation anarchique de l’espace urbain dakarois, par un étalement tentaculaire suivant les rues, les avenues à forte fréquentation, mais aussi par le phénomène de « cantinisation ». C’est « l’informel » fixe, recensé et ostensible, avec des locaux d’opération, à caractère privé ou locatif et un point de distribution. L’intérêt porté aux commerçants qui se sont formalisés de manière partielle, nous a confrontés à une difficulté conceptuelle. Finalement nous avons pris le risque de circonscrire leurs activités dans ce qui est appelé le travail « informel ». Ce dernier terme sera mis entre guillemets à chaque fois que nous l’utiliserons. L’ambiguïté du concept de « travail informel » et la réalité complexe qu’il recouvre nous imposent la prudence. L’expression est utilisée pour la première fois en 1971 dans une communication sur le thème du « chômage urbain » en Afrique, présentée par l’économiste Keïth Hart. 5 L’auteur explique qu’à ses débuts, « l’économie informelle » était une stratégie de survie des populations face à l’échec macro-économique des États africains1. C’est par la suite que « l’économie informelle » a été considérée comme une alternative à la crise. Le terme a été repris en 1972 par le Bureau international du travail (BIT) dans un rapport sur le travail au Ghana. Depuis, il est devenu populaire. Cependant il ne fait pas l’unanimité. Beaucoup de définitions, qui n’ont pas toujours retenu les mêmes critères, ont été avancées. En effet, l’hétérogénéité que recouvre ce type de travail, allant des activités indépendantes de survie aux petites entreprises, rend sa définition complexe. D’ailleurs, certains chercheurs en sciences sociales contestent l’appellation d’économie souterraine, de travail informel, de secteur non structuré, occulte, caché, clandestin, parallèle ou invisible. Keith Hart a défini l’ « informel » comme un ensemble hétérogène d’activités qui se développent et se déploient en dehors des circuits officiels. Il désigne l’ensemble des activités occultes menées en marge des activités dites formelles. Depuis, ce qui est appelé travail « informel » a considérablement évolué. En faisant le choix de ne pas revenir sur le débat théorique, force est de souligner l’abondante littérature qui existe sur ce thème. Souvent c’est le cadre institutionnel des États qui est mis en cause. De ce fait deux tendances se sont dessinées : la thèse libérale et la thèse néolibérale. Dans les deux cas, l’instrument juridique est évoqué pour expliquer la genèse et la permanence 1 Cf. Hart, 1995. Dans une réflexion autobiographique, l’auteur est revenu sur les conditions qui l’ont amené à choisir la locution « économie informelle ». Il s’agissait d’établir un point de contact entre le monde théorique des bureaucrates intellectuels et les activités économiques auxquelles se livraient les Africains considérés comme sans emploi et qui travaillaient pour de faibles revenus irréguliers. Hart confesse dans cet article aussi son erreur d’avoir considéré le couple antinomique formel/informel comme étant statique. 6 de « l’informel ». Les premiers soutiennent que l’excès de déréglementation provoque le basculement dans la clandestinité des firmes (Lautier et al., 1991). Les seconds parlent d’« extra-légalité » (De Soto, 2002). Ce terme désigne une stratégie de survie face aux entraves bureaucratiques qui créent de la marginalité en rendant les coûts de la législation exorbitants. Dans ce contexte, le non-respect des lois devient le seul moyen de survivre. Dans la définition internationale retenue à la conférence internationale de statistique en 1993, le travail « informel » est considéré comme uploads/s3/gning-sadio-ba-2011-de-l-ethique-mouride.pdf

  • 17
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager