Naissance du sonimage selon Jean-Luc Godard : quatre minutes d'A bout de souffl

Naissance du sonimage selon Jean-Luc Godard : quatre minutes d'A bout de souffle (1959) Gilles Mouellic --_.........-"­ . =7$ ¿A-n­ •.../ . . Lors de la sortie, en 1990, du film Nouvelle Vague, lean-Luc . ( Godard affirmait, avec un brin de provocation : « ... mon film, si vous ., entendez la bande-son sans les images, ce sera encore meilleur ». Sept ( 1. années plus tard, en 1997, Manfred Eicher, producteur de disques spécialisé dans la musique de jazz, exauce le vreu de Godard. 11 fait paraitre en CD la bande-son intégrale de Nouvelle Vague. Cette publication en compact disque, qui sera renouvelée pour les Hisloire(s) du cinéma (1998), est I'aboutissement d'un long processus. Godard a défendu depuis longtemps un cinéma audiovisuel, et I'ordre des mots a ici son importance : audiovisuel, les oreilles avant les yeux. En appelant Sonimage la maison de ~ ~ production qu'il fonde au début des anné-es 70, il affirme cet ordre comme une hiérarchie : I~son av'!nt l'im'!&e. Godard a continué de creuser le meme sillon, il est revenu sans cesse sur les rapports entre le visuel et le sonore, jusqu'a en maitriser parfaitement les interstic!;<S, l'en1re-,g"'~Jn.;a.u~rer ce qui les unit, le ~note"'~s k.xisuel (Passion, 1981) et 1~.~ueLd!.ns.~ sonore (renom armen, 1982 ou Soigne la droite, 1987). Avec \ Nouvelle Vague, une autre étape est franchie, la demiere, I'ultime chantier, celui de la réconciliation, annoncée avec les longues plages musicales de Prénom Carmen ou Godard ne coupait plus les quatuors de Beethoven, ou il laissait pour la premiere fois du lemps a la musique. Nouvelle Vague est le moment ou le son et I'image se tendent la main, comme I'homme et la femme du film. Si l'on peut désormais écouter le son seul, c'est parce qu' il contient toutes les 17 images. Le cinéma de Godard est parvenu, enfin, a approcher la beauté de la musique : le geste est devenu chant. Le CD de Nouvelle Vague est accompagné d'un magnifique livret dont l'auteur est Claire Bartoli, devenue aveugle a 23 ans. Son texte commence par ces quelques mots : « J'ai écouté Nouvelle Vague, oui, le film Nouvelle Vague. le l'ai entendu. le ne vois pas )), et s'acheve ainsi : « Film écouté, film revé, film réinventé ... JI me laisse un petit , 1 gout subversIÍ d'mviSffifé" et cr6temer)):~'~ñ'; écoutant le film apres la \ I lecture du livret et en découvrant les Histoire(s) du cinéma, j'ai eu \1 envie de revenir a la Nouvelle Vague historique, au premier long métrage de lean-Luc Godard : envie d'écouter About de soufJle. le ne fus pas vraiment surpris de constater que le son était déja d'une réelle complexité, mais je ne m'attendais pas a trouver de fa<;on aussi évidente les premieres traces des « compositions )) a venir. Et le mot trace est faible tant le cinéaste invente une conception radicalement nouvelle des liens entre le son et l'image. Pour essayer "",,,,,",,.t""<o.o4<I:... t,""J:lT"'~'''-I''<·''J..!'''''''''··''',,¡,r-,,,-~ ..,···~,,,,,,-~ de montrer comment Godard, tel un musicien de jazz, impose des ses premieres n?~es un.~2! .n~eau, je concentrerai mon analyse sur les quatre premleres mmutes. En guise de générique, Godard se contente de deux cartons : le premier « Ce film est dédié a la Monogram Pictures )) est accompagné par un petit motif joué au piano, motif répété a la trompette, par le souffle donc, sur le second carton qui annonce le titre : A bout de soujjle. Nous sommes immédiatement pris dans une pulsation donnée par la composition de Martial Solal, relayée par une voix dont on ne voit pas la source, la bouche étant cachée par un joumal: « Apres tout, j'chuis con. Apres tout, si... il faut. II faut!)). Ce n'est qu'ensuite que le spectateur découvre en gros plan le visage de PoiccardlBelmondo qui semble scruter lentement l'horizon avant de retirer une cigarette de sa boucbe el de passer son index sur soo l"vres. La question du rythme est immédiatement posée, rythme de la musique sur fond presque noir, puis rythme de la parole, succession ~ tres percussive de breves syllabes, et enfin rythme du geste tres « bogardien)) de Poiccard. Godard nous force a écouter d'abord la musique puis la voix avant de montrer le corps. Écouter avant de 18 d v~~Q1Plent peut-etre, il annonce, dans ces quelques secondes inaugurales, les enjeux de ses films a venir. Apres cette introduction tres syncopée, la musique demeure en fond, avant de s'arreter brutalement pour laisser place a une sirene de bateau. Comme lacques Tati, Godard n~..~_~.2~~~~~~!~,,,,9~~,~~,~:~,,une a~~j~te: seuls quelques g~~~,".P,~~.~,.,...~?!!2!~.~".P~P.:~,~~L la scene. La distance entre la caméra et la source sonore est l'objet d'un meme désintéret : les voix semblent étrangement proches de l'écran. Tout a été dit sur l'importance des faux raccords dans la succession d'images chez Godard, et le premier d'entre eux dans A bout de soujjle intervient entre le onzieme et le douzieme plan. Poiccard vient de démarrer la voiture. Plan sur la jeune femme, veste de tailleur sur les épaules, qui se précipite vers lui. Quand, au plan suivant, elle arrive pres de la portiere, sa veste est posée sur son bras. Ce faux raccord, inacceptable a priori, ne compromet en rien la lecture du spectateur: le mouvement du corps suffit a assurer la continuité de la séquence, voire du film tout entier. L'enjeu d'A bout de soujjle, la seule histoire que le film raconte, c'est cene du corps de lean-Paul Belmondo. La parole n'explique rien: « Il faut... )), « le fonce Alphonse... )). Elle ne fait qu'obéir aux désirs du corps. Cette confiance dans le mouvement des corps permet a Godard de remettre en question la « transparence )), sans pourtant y renoncer. Il associe les plans selon une logique qui n'est pas encore celle de la « différentiation1 )), mais qui n'est déja plus celle de la continuité. Dans le premier échange du film, Godard fait subir le meme traitement aux dialogues : La jeune femme : « Michel, emmene-moi )) Poiccard : « Il est quelle heure ? )) La jeune femme : « Onze heures moins dix )) Poiccard : « Non, tchao ! Maintenant, je fonce, Alphonse ! )) Les propos de Poiccard ne raccordent pas avec ceux de la jeune femme. Entre les bribes de dialogues et la succession des plans, on retrouve la meme apparence de discontinuité, les memes brisures. 1 Gilles Deleuze, Cinéma2. L 'image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, p. 234. 19 ! Apres cette séquence inaugurale, séquence qui n'informe guere le spectateur sur le film a venir, la musique refait son apparition pour accompagner sans surprise un fondu enchainé qui marque une ellipse temporelle : Michel Poiccard quitte seul le port de Marseille. Sur la route, il se met achanter (faux) « Buenas noches me amor. .. », avant de scander un prénom : « Pa papapapa Patricia Pa-tri-cia ». La voix laisse place ala musique sur le tempo de Pa-tri-cia, puis on entend un klaxon de voiture qui introduit anouveau le monologue de Poiccard. Ce klaxon, par la précision métronomique de son apparition et par sa tonalité, fait partie de la composition musicale. Quelques secondes plus tard, la musique disparait sans crier gare dans un rapide decrescendo. Cette courte séquence est la premiere dans laquelle Godard, consciemment ou non, fait reuvre de compositeur. Ce sont les images qui accompagnent le son et non l'inverse. Le rythme du montage dépend de la parole de Poiccard puis de la musique et des bruits. Aucun souci de réalisme sonore ici : voix, bruits et musi~ue ne sont que les différentes notes d'une meme partItÍon musicale dans laqüerre--g'liítegre'par le rythme la bande image. Des cette seconde séquence d'About de souffle, Godard met en scene la primauté du son sur l'image, image qui devient ici, pour un court moment certesmais párfaitement identifiable, la basse continue d'une composition musicale. Cette hiérarchie nouvelle entre image et son, que GiBes Deleuze théorisera brillamment dans L 'image-temps, est, pour la premiere fois dans un long métrage de fiction, parfaitement visible et ;, '¡ maitrisée. La suite de l' extrait confirme les Iibertés prisent par Godard dans le traitement de la matiere sonore. Poiccard met en marche la radio de sa voiture. On entend un mot d'une chanson de George Brassens, suivi d'une musique douce et guillerette. Cette musique est, selon la terminologie de Michel Chion, une mustgue d'écran. Poiccan' entame alors, dans un regard caméra de~~~ ~'61~'bre, son monologue a l' intention du spectateur : « Si vous n'aimez pas la mer (silence), si vous n'aimez la montagne (silence), si vous n'aimez pas la ville (silence), allez vous faire foutre ! ». Le souci de musicalité de ces quelques phrases est a nouveau évident. La scansion de l' acteur est accompagnée d'une musique tres fonctionnelle qui prend en compte 20 la tonalité de la voix et le rythme de la parole. Une note tenue aux cordes suivie d'un espiegle petit motif ala flfite confirme le caractere interrogatif des trois premieres phrases, avant de concIure joyeusement sur uploads/s3/ naissance-du-sonimage-selon-jean-luc-godard-gilles-mouellic.pdf

  • 61
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager