Le laboratoire 1 27 avril 2006 COURS A : Véracité et raison LEÇONS APRÈS PÂQUES

Le laboratoire 1 27 avril 2006 COURS A : Véracité et raison LEÇONS APRÈS PÂQUES 1 : LE LABORATOIRE Penser le laboratoire, penser au laboratoire Récapitulation L’exploration et la mesure La modélisation analogique La combinaison des styles 2 et 3 chez Crombie La méthode hypothético-déductive Le style galiléen Une analyse moins empiriste Le laboratoire L’icône du laboratoire Le vide comme entité théorique, non observable Le Laboratoire comme forme de vie Des formes de vie Le rôle des appareils « Qu’est-ce qu’une expérience ? » Des phénomènes artificiels Des sociétés scientifiques – pour l’élite La pompe comme icône du laboratoire Retour au vide La création des phénomènes La fourmi, l’araignée et l’abeille 1 (i). PENSER LE LABORATOIRE, PENSER AU LABORATOIRE Récapitulation Je rappelle la liste des six styles de raisonnement scientifique chez Crombie : 1. La méthode par postulats et dérivation des conséquences en mathématiques. 2. L’exploration et la mesure expérimentale de relations observables plus complexes. 3. La construction par hypothèse de modèles analogiques. 4. La mise en ordre du divers par la comparaison et la taxonomie. 5. L’analyse statistique des régularités dans les populations et le calcul des probabilités. 6. La dérivation historique propre au développement génétique. J’ai parlé du « dynamisme » des styles de pensée. Chaque style connaît des évolutions qui se déroulent sur plusieurs siècles. Au cours de la vie de Descartes, les mathématiques sont devenues une combinaison du style démonstratif de la géométrie et du style algorithmique de l’algèbre. Les « icônes » qui incarnent l’origine de ces deux sous-styles sont Thalès et Al- Kwarizmi, dont on sait peu de choses. Ce sont des icônes à demi mythique et à demi historique. Le laboratoire 2 27 avril 2006 Aujourd’hui je parlerai d’une évolution des styles 2 et 3, qui mène à ce que j’appelle le style du laboratoire. Dans la troisième leçon, qui portait sur les méthodes de raisonnement, j’ai indiqué que l’institution du laboratoire a changé la conception de ce que c’est de dire la vérité, à la fois pour les expériences et pour les modèles analogiques. Le laboratoire est un lieu consacré à la véracité. La vérité, pour Williams, pour moi, est un concept formel, dépourvu d’histoire. L’idée de véracité concerne quelqu’un qui dit la vérité. Il n’est possible de dire la vérité qu’en un point défini dans l’espace et le temps. C’est à dire dans une société, dans l’histoire (ou dans le présent). La véracité d’un sujet donné a une histoire, et donc une généalogie. Ici, je m’inspire du livre de Bernard Williams. Truth and Truthfulness. La traduction française, Vérité et véracité : Essai de généalogie, est annoncée chez Gallimard. J’ai soutenu depuis le début du cours que l’introduction de chacun des styles de Crombie a créé la possibilité de dire des vérités nouvelles. J’ai adapté cette idée et je l’ai étendue à partir des thèses de Bernard Williams. J’ai proposé trois schémas : (*) Un changement de conception de ce que c’est que dire la vérité sur X (**) Ce changement significatif s’est produit au Yème siècle et son icône est Z. (***) Ceux qui opèrent selon le nouveau style ne sont pas plus rationnels ou mieux informés que leurs prédécesseurs. Ceux qui en restaient à la pratique traditionnelle n’avaient ni les idées confuses ni des convictions contraires (à cet égard) à celles de leurs successeurs. Williams a proposé deux illustrations que je trouve convaincantes. La première est tirée de l’histoire. L’icône qu’il se choisit est Thucydide, parce qu’il soutient qu’au temps de Thucydide, il s’est produit un changement essentiel des conceptions de ce que c’est que dire la vérité sur le passé – voilà le schéma (*). Avec X = le passé. Pourquoi Thucydide ? Parce que l’œuvre de Thucydide est un récit dans laquelle chaque incident a lieu avant, après, ou en même temps que chaque autre événement qu’il décrit. Une chronologie raisonnée, pour ainsi dire, et qui implique que les événements antérieurs sont en quelque façon les causes des événements postérieurs. Williams soutient que dans la tradition occidentale, on ne trouve pas trace de cette conception du passé avant Thucydide. La question qui m’occupe n’est pas de savoir si Williams a raison. Je m’en sers comme d’un modèle pour l’usage des schémas en étoile. L’exploration et la mesure Je voudrais rappeler un point que j’ai évoqué dans la leçon 3 sur les méthodes de raisonnement. Il concerne le style (2), l’exploration : 2. L’exploration et la mesure expérimentale de relations observables plus complexes. Je crois que l’exploration est aussi vieille que l’homme lui-même. Quant à la mesure, elle doit avoir commencé à la préhistoire ou en tout cas très tôt dans l’histoire. L’idée courante est qu’il doit exister une histoire continue de progrès et de découvertes, en ce qui concerne les manières de mesurer. On imagine que les hommes ont très vite utilisé leur corps pour mesurer les choses. D’où ces unités de mesure empruntées au corps. La coudée, qui mesure la distance qui va du coude au majeur, et qu’on évalue à 50 cm. Le pied. Le pouce comme mesure de longueur. Par convention, il valait un douzième de pied. Le laboratoire 3 27 avril 2006 J’accepte, avec un peu d’ironie, la naissance de l’histoire, qui apparaît avec Thucydide, selon Williams. J’ai proposé d’autres actes de naissance : celui de la preuve géométrique, avec Thalès ou un autre personnage emblématique, comme chez Kant. Pour l’invention du raisonnement algébrique, mon icône est Al-Kwarizmi. Mais je trouve absurde l’idée d’un début ou d’une invention de l’exploration expérimentale et de la mesure. Par conséquent, je n’applique pas les trois schémas à l’exploration ou à la mesure. La modélisation analogique J’ai été plus audacieux – ou peut-être moins avisé – dans le cas du style 3 : 3. La construction par hypothèse de modèles analogiques. Pour la modélisation hypothétique, le point essentiel est qu’il y a dans les modèles des objets et des structures en principe inaccessibles à l’observation. C’est toute la force de cette formule : « par hypothèse ». On pense aux atomes de Démocrite et de Leucippe. J’ai trouvé dans un aphorisme de Héraclite la devise de ce type de raisonnement : « La Nature aime à se voiler ». J’ai fait la suggestion – pas absolument sérieuse – que le troisième style aurait commencé à l’époque des philosophes présocratiques, et j’ai pris pour icône Héraclite. Quand X = les objets et les structures en principe inaccessibles à l’observation, Y = le cinquième siècle av. JC, et Z = Héraclite. (**) Ce changement significatif s’est produit au cinquième siècle av. J.C., et son icône est Héraclite. Karl Popper considère que les modèles présocratiques relèvent de la métaphysique, pas de la science : en effet, il n’est possible ni de les prouver ni de les réfuter. Pour les positivistes, c’est une critique, voire une condamnation. Pas dans la philosophie de Popper. Pour lui, des propositions métaphysiques, pleines d’imagination et d’innovation, peuvent représenter des ouvertures pour la science, qui suppose le jeu des conjectures et des réfutations. Pour un poppérien d’aujourd’hui, la théorie des cordes relève de la métaphysique. Parce qu’il n’existe aucun test empirique permettant de la mettre à l’épreuve. Ce n’est pas une mauvaise chose, selon Popper, dans la mesure où l’on a toujours besoin de théories « métaphysiques ». Mais on a aussi l’obligation de les traduire en des propositions susceptibles d’être soumises à des épreuves empiriques. Les atomes sont nés dans la métaphysique des présocratiques, mais ils ont évolué et sont entrés dans des propositions qu’on a pu mettre à l’épreuve. Aujourd'hui, on les manipule utilisant par exemple la microscopie électronique à effet tunnel. Ou bien on les refroidit jusqu’à des températures très basses, l’ultrafroid, où leur énergie atteint des valeurs très basses et où ils deviennent très lents, ce qui permet de les manipuler plus facilement. Dans cette perspective, nous n’avions pas la possibilité à l’époque présocratique de dire la vérité sur ces objets et ces structures en principe inaccessibles à l’observation. Il n’y avait aucune possibilité de mise à l’épreuve ou de réfutation. Nous ne pouvons pas dire qu’il y a eu dans l’antiquité, (*) Un changement de conception de ce que c’est que dire la vérité sur les objets et les structures en principe inaccessibles à l’observation. Peut-être y a-t-il un changement de conception de ce que c’est qu’affirmer des propositions sur les objets et les structures en principe inaccessibles à l’observation. Mais on manque de critères pour dire si ces spéculations sur la nature fondamentale du monde, de la réalité elle- même, sont vraies ou fausses. Ce ne sont que de puissantes images du monde, que nous Le laboratoire 4 27 avril 2006 n’avons pas les moyens d’établir solidement sur des critères indépendants de la rhétorique et de la séduction de l’imagination. La combinaison des styles 2 et 3 chez Crombie Notre première tentative de trouver un commencement au style 3 est donc un faux départ. Crombie lui-même, dans le deuxième tome de son ouvrage (p. 1087 !), écrit que : L'ambiance intellectuelle uploads/s3/ ian-hacking-laboratoire.pdf

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