117 Nelson Garrido : identité et hybridation dans la photographie vénézuélienne

117 Nelson Garrido : identité et hybridation dans la photographie vénézuélienne Fabiola Velasco Garipoli Résumé : L’œuvre du photographe vénézuélien Nelson Garrido reproduit un jeu de miroirs qui reflète les représentations collectives vénézuéliennes. A la croisée de la modernité et de la postmodernité, le corpus proposé par le photographe reprend les débats contemporains sur la grammaire visuelle de l’art latino-américain dans un contexte d’hybridation culturelle. Le passé colonial, l’influence des mass médias et leur irruption dans la dévotion populaire ont permis l’essor d’une iconographie nationale hybride, où les binômes du culte et du populaire s’estompent dans des frontières poreuses. L’idée d’une identité nationale autonome et monolithique est questionnée ici par le biais de la transgression de l’iconographie judéo-chrétienne, la mise en scène de la religiosité populaire et la présence de l’Industrie Culturelle de masse. Ainsi, l’esthétique dérangeante de Garrido dévoile le caractère polyphonique de l’identité nationale sous le paradigme de l’hybridation. Mots-clés : Nelson Garrido, photographie, hybridation, Venezuela, identité. Resumen: La obra del fotógrafo venezolano Nelson Garrido reproduce un juego de espejos que refleja las representaciones colectivas venezolanas. En el cruce de la modernidad y de la postmodernidad, el corpus propuesto por el fotógrafo retoma los debates contemporáneos sobre la gramática visual del arte latinoamericano, en un contexto de hibridación cultural. El pasado colonial, la influencia de los medios de comunicación masivos y su irrupción en la devoción popular han permitido el auge de una iconografía nacional híbrida, donde los binomios de lo culto y de lo popular se difuminan en fronteras porosas. La idea de una identidad nacional autocontenida y monolítica es aquí cuestionada a través de la transgresión de la iconografía judeo-cristiana, la puesta en escena de la religiosidad popular y la presencia de la Industria cultural de masas. De esta manera, la estética perturbadora de Garrido revela el carácter polifónico de la identidad nacional bajo el paradigma de la hibridación. Palabras claves: Nelson Garrido, fotografía, hibridación, Venezuela, identidad. Notes préliminaires En 1991, le photographe vénézuélien Nelson Garrido remporta le Prix National d’Arts Plastiques. Cet événement signifia la pulvérisation des frontières entre l’art et la photographie. Le pays ouvrait tardivement ses portes à la légitimation de la pratique photographique comme consubstantielle à l’art contemporain. Garrido a été choisi pour la cohésion de son discours visuel et pour le bouleversement des codes de représentation sociale que son œuvre reproduisait. Malgré son épithète d’iconoclaste1, ce photographe pourrait aussi être considéré comme un iconodoule qui cannibalise les imaginaires nationaux pour les insérer dans une esthétique du dissensus2. Associé à l’ébranlement des valeurs consacrées par la tradition judéo-chrétienne, du catholicisme populaire et du dogmatisme politique, l’œuvre de Garrido 1. Von Dangel, Miguel de, « Miedo no », El Universal, 24/01/1993, p. 4-3 (page unique) 2. Rancière, Jacques, Le partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La Fabrique-éditions, 2000, p. 71. Nelson Garrido Iberic@l - Numéro 6 118 a semé un florilège de questionnements sur l’identité nationale, le poids de la religion et l’hybridation comme paradigme sociohistorique dans le contexte vénézuélien. Depuis les années 90, son travail a été internationalisé avec sa participation à la Biennale de la Havane en 1994 et à de nombreuses expositions collectives partout dans le monde. Né à Caracas en 1952, Garrido a passé sa jeunesse en Italie, en France et au Chili. À la fin des années 1960, il commence ses études de photographie à Paris avec l’artiste cinétique vénézuélien Carlos Cruz-Diez (1923)3. Dans les années 1980 il rentre au Venezuela. À partir de là, il se consacre à deux travaux en parallèle : la photographie documentaire et la photographie artistique. Le travail documentaire développé lui permet une approche de la culture populaire vénézuélienne qui deviendra un point de départ iconographique pour la réalisation de son œuvre artistique proprement dite. L’œuvre artistique de Garrido se caractérise par l’hybridation de symboles et de procédés techniques. Le rapprochement du photographe avec le monde du théâtre, de la danse, du cinéma et de la photo publicitaire, donnera un sens d’ensemble à son œuvre. Garrido a réalisé une grande quantité de mises en scène, parmi lesquelles nous devons plus particulièrement citer la série Todos los Santos son muertos (1989-1993), les œuvres El Nacimiento del Niño Jesús (1993), El asesinato del Niño Jesús (1993), La Autocrucifixión (1993), La Nave de los Locos (1999), la série Pensamiento Único (2008) et la série La Gruta de la Virgen (2009)4. Ces séries constituent le corpus de notre étude car elles affichent une démarche de transgression des symboles de l’identité nationale, mises au service du langage de l’hybridation culturelle en tant que processus continu qui se façonne dans la contradiction. Les axes thématiques de Garrido alternent entre la violence, la mort, la sexualité, la société de consommation, les symboles de l’identité nationale et les croyances populaires. Dans ce sens, le photographe utilise un répertoire symbolique hétérogène et essaie d’embrasser un vaste spectre de croyances et de valeurs qui unissent la société dans son hétérogénéité. L’œuvre garridienne est alors composée d’images vernaculaires ou idiotes – au sens rimbaldien –, fixées dans la trame historique vénézuélienne. Ces particularités font de son œuvre un chantier iconographique qui pourrait apporter une nouvelle cartographie pour comprendre comment l’hybridation culturelle s’exprime au Venezuela, et comment elle est réinterprétée et transgressée par le langage photographique garridien. A une époque où l’art latino-américain ne cesse de s’interroger sur son Histoire et sur ses mythes nationalistes, le travail de Garrido est une voie, parmi tant d’autres, pour explorer les enjeux d’une iconographie hybride qui cherche à donner une voix aux divers capitaux symboliques qui circulent dans ces sociétés. Les années 80 : la préparation de la scène Le corpus visuel de Garrido est inextricablement lié à l’iconographie judéo-chrétienne et aux transgressions symboliques qui s’opèrent dans les dynamiques de l’hybridation culturelle au Venezuela. Par le biais de quelles voix s’exprime alors cette hybridation ? Quels enjeux historiques et esthétiques posent la ré-articulation de l’imaginaire national dans les prises de vue de Nelson Garrido ? La piste à suivre se trouve dans les premiers travaux photographiques de Garrido dans les années 80. Au cours des années 80, Nelson Garrido réactualisa l’esprit du mouvement avant-gardiste vénézuélien de El Techo de la Ballena (1961 — 1964)5. Sa série Muertos en Vía (1985-1988) utilise un 3. Nelson Garrido Sánchez. Curriculum [1966-1989]/Centro de Documentación del Museo de Bellas Artes, Ficha Biográfica de Nelson Garrido, Caracas, Centro de Documentación del Museo de Bellas Artes, Document isolé mécanographié, 5 p. 4. Pour connaître les dernières séries de Garrido, nous vous conseillons d’aller sur son site Flickr. Garrido, Nelson, « Galerie des photos de Nelson Garrido », [En ligne] : http://www.flickr.com/photos/nelsongarrido/, [20/03/2013]. 5. Cf. Rama, Ángel, Antología de “El Techo de la Ballena”, Caracas, Fundarte, 1987, 224 p. A la fin des années 80, Mariana Figarella, critique et commissaire d’exposition du Musée de Beaux Arts à Caracas, exprimait son mécontentement envers 119 vocabulaire visuel pictural, très proche de l’informalisme. Constituée de photographies d’animaux morts sur les autoroutes de Caracas, Muertos en Vía dramatise la mort et cristallise le retour à la condition magmatique de la matière biologique. Cependant, le théâtre macabre est banalisé par la transgression du verbe. Les intitulés des photographies désubliment la solennité de la mort et du sacrifice. Cette moquerie s’illustre notamment dans les œuvres « Rumba qué rica rumba jajajaja » ou « Rintintín después del ataque de Comanche » (voir Fig. 1). Ici, le premier indice de la syntaxe de l’hybridation est esthétique et culturel. Cette partie de l’œuvre garridienne reprend l’esthétique de la laideur6 et du grotesque en l’articulant dans l’humour créole. Dans cette série, Garrido se met à la place du personnage du raconteur de blagues dans les veillées funèbres, très présent dans la culture populaire vénézuélienne. Lui, l’artiste, incarne l’archétype du bouffon de la cour qui, face à l’imminence de la mort, ose se révolter contre elle par le biais de l’humour. Fig.1 Nelson Garrido, Rintintín después del ataque de Comanche, 1985. Image sans copyright7 Nelson Garrido revisite l’orbite de El Techo de la Ballena, en provoquant le scandale avec la mise à nu de ce que la société cache pudiquement : les viscères, les pulsions sexuelles, l’angoisse face à la mort ; en fin de compte, le côté obscur et inavouable qui vibre dans les entrailles de toute société, comme l’avait déjà fait Carlos Contramaestre dans Homenaje a la Necrofilia (1962). Cette dernière exposition était pensée comme un acte d’agression contre la société endormie par les conquêtes politiques (la démocratie) et économiques (la manne pétrolière)8. Toute la production de Garrido pendant les années 80 dévoile, dans les mots de María Luz Cárdenas, un « ritual invocatorio de visos francamente exorcistas, como acto transformador y transformista […]9 ». Après ces premiers scherzos photographiques, les enquêtes de Garrido l’amèneront à la restructuration de son propre discours visuel. Dans les années qui suivront, le photographe glissera vers un langage plus iconique, en privilégiant l’iconographie nationale et son les travaux de Nelson Garrido, Antolín Sánchez et d’autres photographes qui, d’après elle, étaient une sorte de mauvaise copie du uploads/s3/ nelson-garrido-identite-et-hybridation-dans-la-photographie-venezuelienne.pdf

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