FORMULES 20 - 2016 Ce que les formes veulent dire What forms mean Chris Andrews
FORMULES 20 - 2016 Ce que les formes veulent dire What forms mean Chris Andrews Presses Universitaires du Nouveau Monde Formules. Revue des créations formelles est une revue publiée par les Presses Universitaires du Nouveau Monde avec le soutien de la chaire Melodia E. Jones de la State University of New York. Formules est une revue traitant d’un domaine particulier, celui des créations formelles. Chaque numéro annuel est consacré à un aspect spécifique lié à cet intérêt principal ; on y trouve également des rubriques régulières concernant des sujets proches ou des créations plastiques qui correspondent aux préoccupations des rédacteurs et des lecteurs de la revue. Les envois spontanés sont encouragés, pourvu qu’ils soient en rapport avec ce domaine ; toutefois Formules ne maintiendra pas de correspondance avec les auteurs des textes refusés, qui ne seront pas retournés. Les auteurs publiant dans Formules proposent librement une spéculation critique ou une création qui n’engage pas la revue. Cependant, Formules se donne pour règle de ne jamais publier de textes antidémocratiques ou contraires à la dignité de la personne humaine. Les auteurs trouveront une feuille de style pour Formules à : http://www.ieeff.org/formulesstyle.html. Tout contact avec la rédaction doit se faire par courriel. Adresse électronique : revue.formules@gmail.com Site internet : http://www.ieeff.org/formulessitenewhome.html Facebook : https://www.facebook.com/revue.formules Adresse webzine Arcade / Formules : http://www.ieeff.org/formulesarcade.html Fondateurs : Jan Baetens et Bernardo Schiavetta Directeur-gérant : Jean-Jacques Thomas Éditeurs : Christelle Reggiani, Christophe Reig, Hermes Salceda Responsables du graphisme : # Assistant de rédaction : # Conseil de rédaction : Jan Baetens, Daniel Bilous, Philippe Bootz, Anne Garréta, Alison James, Warren Motte, Alain Schaffner. Comité de lecture : Chris Andrews, Camille Bloomfield, Cécile de Bary, Marc Lapprand, Astrid Poier-Bernhard, Mireille Ribière, Frank Wagner. Adresses de la rédaction en France : Christelle Reggiani Christophe Reig 90 rue de la Villette Lotissement Résidence Les Clauses 75019 Paris 1 rue du Grenache 11440 Peyriac de Mer Adresse de la rédaction en Espagne : Hermes Salceda Universidad de Vigo, Fac. de Filología y Traducción Campus Lagoas Marcosende 36310 Vigo © Revue Formules © Pour l’utilisation personnelle de leurs textes : les auteurs Formules 20 ISBN : 978-1-937030-69-8 Formules ISSN : 1275-77-13 Dépôt légal en France : # Cover image: Mark Rothko, No. 5 / No. 22, 1950© 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko. ARS, New York/Licensed by Viscopy, 2016 3 Présentation Chris Andrews La notion de forme continue à susciter des débats théoriques dans les études littéraires et dans l’esthétique. Qu’est-ce qu’une forme, au juste ? Le consensus sur une définition n’est pas près de s’imposer, d’autant plus que les théoriciens qui s’intéressent à cette notion ont des formations disciplinaires diverses (en linguistique, lettres ou philosophie) et peinent souvent à s’entendre. Comme l’a rappelé récemment Patrice Maniglier dans une défense vigoureuse du formalisme russe (et de Chklovski en particulier), la notion de forme se trouve prise dans des dialectiques qui l’opposent, initialement au moins, à une série de termes contraires : la signification, la matière, la fonction. Maniglier lui-même prend une position anti-fonctionnaliste : « la forme est ce qui se produit en se soustrayant à toute fonction ».1 Cependant, il paraît que la forme produite concourt à ce qui était, pour Chklovski, la fonction suprême de la littérature, celle de rendre étrange ce qui est devenu trop familier : « La forme n’est pas la partie de l’œuvre soustraite à la signification, mais celle qui arrête le processus de la reconnaissance, précisément parce qu’elle a un caractère différentiel. »2 La fonctionnalité tend à rattraper ce qui se produit en dehors d’une visée fonctionnelle. De même pour la signification : des formes employées de manière purement génératrices peuvent finir par revêtir des sens. Par ailleurs, le choix d’une forme est souvent motivé par son potentiel signifiant, que celui-ci soit en harmonie ou en dissonance avec les autres sens de l’œuvre. Et les options formelles ont une fonction superficielle mais socialement importante en ce qu’elles permettent à l’écrivain ou à l’artiste d’« afficher ses couleurs », de signaler son appartenance à un camp et, partant, de susciter des préjugés favorables et défavorables.3 Il est rare que les formes, telles que nous les identifions dans la pratique, se soustraient totalement aux effets de sens. Invités à réfléchir au sémantisme de la forme, les contributeurs à ce vingtième numéro de Formules sont partis à l’exploration de la diversité et de la mutabilité de ce que les formes veulent dire. Le numéro s’ouvre avec deux articles théoriques. À la suite de Monroe Beardsley, Antoine Constantin Caille plaide pour une distinction à l’intérieur de la forme, entre structure et texture. Mais à différence de Beardsley, il voit dans cette distinction beaucoup plus qu’une affaire d’échelle. Pour lui, la texture n’est pas une microstructure mais une infrastructure. Moins 4 maîtrisable que la structure, plus soumise aux aléas et aux résistances des matériaux, elle est aussi plus attentionnelle, et ne communique pas non plus de la même manière. Sa communication consiste à modifier notre perception ; elle procède d’un vouloir-faire-percevoir ou un vouloir-faire- expérimenter plutôt que d’un vouloir-dire. Et ce que les formes texturales veulent faire expérimenter est de l’ordre d’une force ou d’une émotion, plutôt que de l’ordre d’un message. Valeria de Luca et Antonino Bondì montrent pour leur part comment des travaux récents en sciences du langage, et particulièrement la théorie des formes sémantiques de Pierre Cadiot et Yves-Marie Visetti (qui puisent dans la tradition phénoménologique et la Gestalttheorie), peuvent renouveler notre compréhension de ce que c’est qu’une forme. Ils nous invitent à repenser les formes non pas comme des entités clairement isolables et indéfiniment stables mais comme des stabilisations provisoires, prises dans une tension entre l’intentionnalité du dire et les normes langagières. Dans cette perspective, la contrainte littéraire – et la contrainte oulipienne en particulier, de par sa formulation précise et explicite – serait une stabilisation efficace de la forme, qui ne fige pas pour autant l’instabilité constitutive des expériences de sens. Concevoir la forme comme activité dynamique peut nous aider à éviter les généralisations abusives à partir des sens qu’on attribue à une forme ici et maintenant. Comme les formes elles-mêmes, les sens formels ont une histoire, et les formes peuvent subir des reconfigurations sémantiques. C’est ce que montre, pour la forme très courte du fragment moraliste, Ingrid Riocreux, et pour la forme très longue du roman-fleuve, Augustin Voegele. Les historiens de la littérature ont souvent caractérisé l’évolution du fragment en disant que le genre est passé de l’universalisme au subjectivisme ou de la clôture formelle à l’ouverture. En lisant de près les fragments de La Rochefoucauld, Chamfort, Schlegel et Cioran, Ingrid Riocreux pointe les insuffisances de ces oppositions schématiques et propose de penser l’histoire du fragment en termes d’une négativité formelle qui s’exerce à la fois dans les textes et au-delà, sur le plan symbolique, en faisant signifier les blancs qui les séparent. Ingrid Riocreux fait voir comment la négativité chez La Rochefoucauld se rapproche de celle de la théologie apophatique – on ne peut dire que ce que Dieu n’est pas – tandis que chez Chamfort elle ne renvoie pas à une quelconque transcendance. De l’espace blanc comme lieu de l’indicible on passe à l’espace blanc comme signe du vide. Des reconfigurations sémantiques tout aussi profondes affectent le roman-fleuve. Selon la lecture d’Augustin Voegele, la profusion romanesque de L’Astrée (1607-1627) et L’Artamène (1649-1653) trahit 5 une angoisse et un désarroi qui sont des traits de l’époque baroque. C’est la forme comme symptôme. Quand le genre émerge de nouveau au dix- neuvième siècle avec Victor Hugo, Dumas, Balzac et Zola, l’ambition de maîtrise est assumée par des auteurs qui se démiurgisent en même temps qu’ils font entrer le peuple dans leurs œuvres et commencent à s’adresser à lui. La longueur a ici un sens mimétique : elle est proportionnelle à la totalité vaste et complexe que les sommes et les cycles visent à capter. Puis les enjeux formels du « roman interminable » se transforment de nouveau au début du vingtième siècle : la forme devient plus auto- réflexive et mime de manière plus variée des visions du monde particulières (la métaphysique du temps chez Proust, ou les « ondes historiques » de Romains). Si les relations entre forme et sens se modifient au cours de l’histoire, elles sont troublées aussi par des déplacements dans l’espace culturel et tout particulièrement par la traduction. Véronique Duché suit de près les fortunes et les avatars d’un corpus de poèmes courtois espagnols du moyen âge tardif qui ont beaucoup perdu en franchissant les Pyrénées, faute d’une forme adéquate dans la langue cible et du contexte ludique ou les originaux servaient de devinettes en faisant jouer ensemble texte et image. Finalement c’est l’inventivité même de la letra de invención qui s’évanouit dans le transfert. Mais de telles pertes ne sont ni universelles ni fatales. En analysant la traduction d’un poème d’Oskar Pastior par Frédéric Forte et Bénédicte Vilegrain, Alain Chevrier fournit un contre-exemple : même en traduisant des textes à contraintes fortes, garder la forme n’interdit pas de uploads/s3/ ce-que-les-formes-veulent-dire-what-form.pdf
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- Publié le Mai 21, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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