Nico Muhly, compositeur hors genre Puisant dans la musique minimaliste, ce prod

Nico Muhly, compositeur hors genre Puisant dans la musique minimaliste, ce prodige de 31ans sort trois disques aux sonorités inclassables PAGE 2 Le «moi-isme», nouvelle pathologie des politiques La pipolisation des dirigeants a tué l’action publique, déplore le psychana- lyste Michel Schneider PAGE 3 Laura, entre réel et virtuel A Lille, des collégiens ont raconté leur vie à des étudiants de Sciences Po. Un projet piloté par l’écrivaine Marie Desplechin. PA GE 7 Judith Perrignon E lle est morte un dimanche. Elle rentrait de promenade. Elle a réponduauconciergeduRitzqui lui demandait si elle allait bien que ça allait, mais que dans une heure ou deux elle serait morte. Elle s’est étendue sur son lit simple avec une douleur dans la poitrine. «J’étouffe, Jeanne», a-t-elle dit à sa femme de chambre. Quelques gestes de panique, quelques mots encore. Et puis elle a déclaré: «C’est comme cela que l’on meurt.» Elle faisait mine d’orchestrer la mort comme elle l’avait fait avec la vie. Elle s’en allaitmaquillée,coifféeethabillée,sanslaisser à l’agonie le temps de chiffonner son teint, ses cheveuxetsonallure.C’étaitle10janvier1971. Le lendemain, LeMonde évoquait un style imposé et qui s’imposerait encore à plusieurs générations.Le NewYork Timesconsacraità sa disparitiontroiscolonnesàlaune.Etpourdire combien elle avait changé la mode, le journal américain concluait que son influence était «incalculable». Elle meurt seule. Ses amis, ses amours l’ont souvent précédée. Elle n’a pas eu d’en- fants. Ce jour-là, son sac à main et son coffre sont pillés par quelques vautours qui tour- naient en souriant autour de la vieille dame. Les derniers proches font ce qu’elle avait demandé: elle est enterrée à Lausanne dans une tombe qu’elle a elle-même dessinée – pas de pierre au-dessus, «au cas où je vou- drais ressortir». Le testament qu’on ouvre tient en quel- ques lignes. Daté du 11octobre 1965, il dési- gne comme héritière unique la Fondation COGA. Mi-Coco,mi-Gabrielle. Tout était prêt. En 1962, elle avait demandé à son avocat, René de Chambrun, de monter cette fonda- tion, dont le but était d’accomplir les désirs de Mademoiselle: servir une rente à un cer- tain nombre de personnes – famille, employés, amis –, soutenir de jeunes artistes et aider des malades. «De cette façon, tu ne seras pas ennuyée et sollicitée après ma mort, toutsera réglé»,a-t-elleglisséalorsà sanièce, Gabrielle Palasse-Labrunie, en lui précisant de faire ce qu’il faudrait le moment venu pour sa cuisinière, son maître d’hôtel, son comptable son chauffeur et ses femmes de chambre. Et tout fut réglé. Le siège de la fondationse trouvait à Vaduz, la capitale du Liechtenstein, un paradis où la fortune ne connaît pas l’impôt. Pour le reste, elle était un capitaine d’industrie sans navire, Chanel ne lui appartenait pas et n’avait rien à faire sur le testament. C’était depuis toujours la propriété de Pierre et Paul Wertheimer, bâtisseurs d’un empire commercial qui avait prospéré jusqu’auxEtats-Unis. Déjà sur le marché cosmétique avec leur marque Bourjois, ils avaient aidé Coco Chanel dans les années 1920 à lancer son parfum N o5 et ils ne l’avaient pas regretté. Pierre Werthei- mer était la force de frappe, elle était l’inven- teuse. Ils avaient un accord, qui connut des hautsetdestrèsbas,augrédeshumeursetdes soubresauts du siècle, mais qui tint jusqu’au bout: les Wertheimer et leurs associés déte- naient 90% de l’entreprise Chanel, Coco 10%, sonfastueuxtraindevieétantà l’entièrechar- ge des premiers. Si elle rédige son testament en 1965, c’est quePierre Wertheimervient de mourir.Il lais- se Chanel à son fils. L’allié des débuts s’en va, Coco se prépare également au départ. Lorsqu’ildevient l’avocatparisien de Made- moiselle Chanel, un an plus tard, en 1966, RobertBadinternes’occupedoncnidelastruc- turede l’entrepriseni dela fortunede sa clien- te, qui a pour cela de prestigieux conseils en Suisse. Il la représente pour des détails, des contrats avec ses différentes licences, ou bien il plaide le droit de la personne lorsqu’elle est attaquée.Illuienresteaujourd’huilesouvenir de déjeuners le samedi midi, rue Cambon. Il l’écoute mépriser le présent et sublimer ses souvenirs:«Ellevoulaitunspectateurattentif. Jel’étais:elleme fascinait,mebasculaitdansle passé.» Tout le reste est en ordre et à l’abri du fisc depuis un moment. Le testament ouvert le confirme. Il désigne comme exécuteurs testamentaires M e Guts- tein,avocatàZurich,ainsiquel’Uniondeban- ques suisses. La presse évalue alors la fortune de Coco Chanel à 15millions de dollars, soit à l’époque environ 75millions de francs. 16 RUE DE GRENELLE PARIS CocoChanel, possédéepar salégende H É R I T A G E S | 9 / 1 0 Jusqu’àsamorten1971,lastylisteatoutfait pourconstruireunmytheautourdesonnom etdesonœuvre.Lamaison,quis’inspire encoreaujourd’huidecettecréatricedegénie, neluiapourtantjamaisappartenu Elle meurt seule. Elle est enterrée à Lausanne dans une tombe qu’elle a elle-même dessinée – pas de pierre au-dessus, « au cas où je voudrais ressortir » Lire la suite pages 4 à 6 En 1936. STUDIO LIPNITZKI / ROGER-VIOLLET Cahier du « Monde » N˚ 21025 daté Samedi 25 août 2012 - Ne peut être vendu séparément V U D E B E L G I Q U E Jean-PierreStroobants Bruxelles, correspondant E ncoreinconnudebeaucoupde Bruxellois,le Muséedeslettreset desmanuscritsdelacapitalebelge organise,pourl’été,unévéne- mentdotéd’unedoublesignificationpour unpaysquirevendiqueetvitdemanière constantesonattachementaumouve- mentsurréaliste.Enexposantdesorigi- naux,dontles21pagesmanuscritesd’An- dréBretonquifurentàlabase ducélèbre Manifestedusurréalisme,lemuséelové danslaGalerieduroi,au cœurduquartier historico-touristiquedelaville,signeune premièreetuneréconciliation. Unepremièreparcequejamaisles Bel- gesn’avaientpudécouvrirl’intégraleorigi- nelledutextefondateurde l’undesplus influentstraitésd’esthétiqueduXX esiècle. Uneréconciliation,carsileManifestea inspirédiverscourantsenBelgique,ila aussiétéunfermentde divisionentre FranceetBelgique,lesdeuxpatriesdusur- réalisme.RenéMagritte,le chefde filenon revendiquéde l’écolebelge,eutdesrap- portsorageuxavecAndréBreton.Etles surréalistesbruxelloiset wallons,s’ilsse considéraientcommedesdemi-frèresde leurscongénèresparisiens,préféraient l’ombredelasociétéàlalumièredes salons.Leurintransigeancelespoussaità nepasconsidérerlalittératureetl’artcom- medesfinsensoietils enappelaientà uneprisede consciencerévolutionnaire, unedénonciationdesidéesreligieuseset unesubversion,violentes’illefallait,de l’ordrebourgeois. LesBelgesexerçaientaussileur humourprovocateuraudétrimentdeBre- tonetde sesdisciples.C’estd’ailleurslacri- tiquedes«Parisiens»quifavorisa,dans lesannées1930,lerapprochemententre lesdeuxprincipauxgroupesactifsà Bruxelles:celuidePaulNougé,adversaire del’écritureautomatiquechèreàBreton etfondateurdusurréalismebruxellois,et celuidupeintreRenéMagritte.DansleHai- naut,legroupeRuptureeutdesrapports plusaisésavecBreton,qu’ildécrivaitcom- mele «pèresupérieur»dumouvement. «Cousu de fil blanc» BruxelloisetParisiensseréunirentmal- grétouten1934pourl’exposition«Mino- taure», auPalaisdesbeaux-artsdelacapi- talebelge,premièremanifestationsurréa- listed’envergureinternationale.Cette année-là,le groupedeBruxellespubliaà sontouruntextecollectif,unmanifes- tequirefusade diresonnom:jamaisoffi- ciellementné,le surréalismefaçonbelge n’est,ducoup,jamaismort,alorsqu’en Franceilest officiellementpassédevieà trépasle4octobre1969,jourde laparu- tion,dansLeMonde,d’unarticledeJean Schustersignantsonactede décès. Auroyaumed’AlbertII,enrevanche,les thèmessurréalistesparaissenttoujours irriguerlaculture,laviequotidienneet mêmelapolitique.Etquandoninterroge lesBelgessurl’identitéde leurpays,ils le décriventvolontierscomme«surréalis- te»,termecertesassezéloignédusenspre- mierdonnéparsesfondateursmaissuffi- sammentparlantpourdécrireuneforme d’humour,dedistanceetde déconnexion duréelquisont, pourlesuns,desgagesde survieet,pourd’autres,les véritablesres- sortsd’uneincertaine«identitébelge». En 1946, la rupture entre Magritte et le surréalisme parisien fut consommée: LeSurréalismeen pleinsoleil,manifesteet expériencecontinuequ’ilcosignaavec MarcelMariën,fut condamnéparBreton, quilejugea«anti-dialectiqueet par ailleurscousudefil blanc».Répliquede Magritte:«Milleexcuses,le filblancest votrebobine.» Voilàdonclesfrèresennemisréconci- liésautourd’untextemythique.Etréunis parleursinterrogationscommunesdulan- gage,dusonetde l’image.C’estsurcette dernièrequel’expositionbruxelloisemet l’accentdanssa deuxièmepartieen pré- sentantlettres,manuscrits,dessinset pho- tographiesévoquant,àprofusion,l’apport dessurréalistesàl’imagecontemporaine. Françaiset Belgesàl’unisson…p CULTURE&IDÉES Renaud Machart N ico Muhly est un nom enco- re inconnu en France. Et pour cause: la musique du jeune compositeur améri- cain – il fête ses 31 ans le 26août – n’a pas été encore jouéeparnosorchestressymphoniquesetopé- ras, alors que ce créateur inclassable fait fureur aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il est vrai que les institutions musicales de ces deux pays ont plus d’audace et moins d’œillères que les nôtres en matière de nou- veau répertoire «savant». Deux opéras de sa plume, Two Boys et Dark Sisters, ont été créés coupsurcoup, en2011, à Philadelphieetà l’En- glish National Opera, à Londres, et seront reprisen2013àCoventGarden,toujoursàLon- dres, et au Metropolitan Opera de New York. Lescurieuxaurontpurepérersonnomàl’af- fichedela SallePleyel, le 6juillet, dansle cadre du festival parisien Days Off, où il donnait un concert partagé avec le guitariste et composi- teur Bryce Dressner et l’auteur, compositeur et interprète Sufjan Stevens, deux représen- tants de cette frange musicale américaine à laquelle Muhly est souvent associé. Du 23 au 25mai 2013, le Théâtre du Châtelet permettra d’entendreThemeandvariations,surunecho- régraphie de Benjamin Millepied – leur qua- trième collaboration, la dernière au New York City Ballet, en mai. Enfin, il faut rappeler que Muhly écrit des musiques de films : il est l’auteur de la partition de The Reader (2008), de Stephen Daldry, et de Margaret (2011), de Kenneth Lonergan. Collaborateur et protégé du compositeur Philip Glass – le grand représentant «populai- re»de lamusique minimalisteou répétitive–, Nico Muhly (prononcer «miouli») a une mine degarnementcharmantauvisagelégèrement poupin. Ce jeune homme bien de son époque n’hésite pas à parler de sa vie, de sa sexualité, dans les magazines et sur son site Internet, à poser dans des vêtements de marque, à brouillerlespistesdesoncheminementartisti- que. Car Muhly, avant de s’être fait connaître commecompositeur«classique», a fait parler de lui par ses collaborations avec des grandes figuresdelamusiqueactuelle.Ilaeneffetrédi- gé des arrangements et orchestrations pour Björk, Antony and the Johnsons, Grizzly Bear, Rufus Wainwright ou pour des représentants de la nouvelle scène américaine tels Dressner et Stevens, déjà évoqués, et Sam Amidon (Muhly joue du piano dans son excellent album All is Well). Valgeir Sigurdsson,le producteurd’Amidon et l’ingénieur du son de nombreux albums de Björk, avait fait connaître Muhly en publiant ses deux premiers enregistrements pour le label islandais Bedroom Community, fondé par lui en 2005. Les collaborations de Sigurds- son disent beaucoup de cette sphère des musi- ques nouvelles où la variété supérieure (Björk, Camille, CocoRosie) touche du doigt l’avant- garde savante (Muhly, Kronos Quartet). Ce qui n’estpasforcémentunechosetotalementnou- velle quand on se souvient qu’Apple, le label des Beatles, avait produit le disque The Whale, du compositeur d’avant-garde britannique JohnTavener,en1970,uneépoqueoùleséchan- ges entre jazz, musique extraeuropéenne et musique contemporaineétaient fréquents. Si les deux premiers albums de Muhly pour BedroomCommunity,SpeaksVolumes(2006) et Mothertongue (2008), n’avaient pas attiré lesfoulesdemélomanes,laparutionchezDec- ca, grand label classique du groupe Universal, de trois disques d’importance pourrait chan- ger les choses. L’ensemble donne une bonne idée du vaste spectre dans lequel Muhly fait évoluer son langage: la pièce instrumentale Motion, dans l’album Seeing is Believing, fait entendre clairement que, s’il utilise des élé- mentsdevocabulairemusicaldumouvement minimaliste, il n’en fait pas une constante mais un élément parmi d’autres. Il lui arrive d’être au bord de la parodie du style harmoni- que et rythmique de Steve Reich et John Adams (particulièrement dans la pièce chora- le Expecting The Main Things From You). Mais quel grand compositeur n’a pas emprunté et copié chez d’autres? Autre grande uploads/s3/ cocochanel-possedeepar-salegende 1 .pdf

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