1 L’ICONOGRAPHIE MUSICALE : DEFINITION, CONSTITUTION DE CORPUS ET OUTILS D’EXPL

1 L’ICONOGRAPHIE MUSICALE : DEFINITION, CONSTITUTION DE CORPUS ET OUTILS D’EXPLOITATION Florence Gétreau Conservateur du patrimoine, directeur de l’Institut de recherche sur le patrimoine musical en France (UMR 200 CNRS/Culture/BnF) I. DEFINITION On entend par iconographie musicale, l’étude des représentations figurées de la musique dans les arts visuels, quelle qu’en soit la technique. Si l’on se tourne du côté de l’histoire de l’art, un premier texte doit être pris en considération : l’Iconologia de Cesare Ripa, publié en 1593 à Rome et dont une édition française de 1643 porte pour sous-titre : « Explication de plusieurs images, emblèmes, et autres figures ... des Vertus, des Vices, des Arts, des Sciences, des Causes naturelles, des Humeurs différentes et des Passions Humaines [...] nécessaires aux Orateurs, poètes, sculpteurs, peintres, ingénieurs, auteurs de médailles, de devises, de ballets et de poèmes dramatiques »1. Ce recueil de figures emblématiques donne la clef de nombreux personnages et objets symboliques présents dans la peinture d’histoire et dans les arts du spectacle jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le deuxième texte fondamental est constitué par les Essais d’iconologie (Studies in Iconogology) publiés en 1939 par Erwin Panofsky2. Sa méthode d’analyse comporte en effet trois niveaux de signification qui pourront s’appliquer à l’iconographie musicale : 1. La signification primaire ou naturelle : celle des formes comme représentations d’objets, celle d’êtres humains (mais j’ajouterais, d’instruments de musique et de musiciens), et celle des motifs qui permettent une description pré- iconographique de l’œuvre. 1 Cesare Ripa, Iconologie où les principales choses qui peuvent tomber dans la pensée touchant les vices et les vertus, sont représentés sous diverses figures, A Paris, 1743, Reprint Paris, Aux Amateurs de Livres/Bibliothèque Inter-universitaire de Lille, 1989. 2 Erwin Panofsky, Essais d’iconologie. Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance, Paris, Gallimard, 1967. halshs-00009496, version 1 - 15 Mar 2006 Manuscrit auteur, publié dans "A portée de notes. Musique et mémoire. Colloque de Grenoble. 14-15 octobre 2003. Mois du patrimoine écrit 2003., Grenoble : France (2004)" 2 2. La signification secondaire ou conventionnelle : les motifs sont reconnus porteurs d’une signification correspondant à des invenzioni, c’est-à-dire à des histoires et allégories. C’est l’analyse iconographique proprement dite. 3. La signification intrinsèque, ou contenu. C’est celle des valeurs « symboliques », des symptômes culturels : en diverses conditions historiques, les tendances essentielles de l’esprit humain ont été exprimées par des thèmes et concepts spécifiques. Ce stade est celui de l’interprétation iconologique. L’iconographie musicale constitue donc une source importante pour témoigner - d’objets musicaux tangibles : instruments de musique (dans leur morphologie et leur tenue de jeu), notations musicales manuscrites ou imprimées, - d’acteurs faisant ou écoutant la musique : ensembles musicaux et groupements témoignant de pratiques musicales, musiciens anonymes ou identifiés, conditions de la musique dans la société - du rôle de la musique dans les sociétés, les thèmes musicaux étant porteurs de symboliques spécifiques tout en étant symptômes de cultures données. L’iconographie musicale en tant que discipline sœur de la musicologie, mais aussi de l’histoire de l’art, est relativement récente. Tilman Seebass3 a montré que sa pratique remonte à G. A. Villoteau, puisque dans sa Description de l’Egypte (1810-1828)4, il utilise aussi bien les instruments réels collectés sur place, les textes littéraires que les monuments portant des traces figurées. Lorsque Bottée de Toulmon5 et Charles-Henri de Coussemaker6 s’intéressent plus tard aux figurations du Moyen Age, ils restent en général à un stade descriptif et organologique, la morphologie et la tenue des instruments étant leurs principales préoccupations. Même si Georges Kastner et Henri Lavoix7 proposent une conception plus large d’une histoire musicale par l’image, une réflexion conceptualisée n’apparaît que dans les premières années du XXe siècle, de 3 Tilman Seebass, « La contribution des chercheurs français à l’histoire de l’iconographie musicale », Musique-Images-Instruments, 1, 1995, p. 8-21. 4 Guillaume André Villoteau, "Dissertation sur les divers espèces d'instruments de musique que l'on remarque parmi les sculptures", Description de l'Egypte, Paris, Panckoucke, 1822, 2e éd, texte vol. VI, p. 413-460, pl. I. 5 Auguste Bottée de Toulmon, « Dissertation sur les instruments de musique employés au Moyen Age », Annales Archéologiques, 1844. 6 Charles-Henri de Coussemaker, « Essai sur les instruments de musique au Moyen Age », Annales archéologiques, 1845-1856. 13 livraisons. 7 Jean Georges Kastner, Les danses des morts, Paris,Brandus, 1852 ; Henri Lavoix fils, La musique dans l'ymagerie du Moyen Age, Paris, 1875. halshs-00009496, version 1 - 15 Mar 2006 3 même que les premières tentatives de corpus. On pourra citer la réunion d’estampes à sujets musicaux entreprise dès 1880 par D.F. Scheurleer à La Haye (elle deviendra publique au sein du Gemeentemuseum en 1935)8. On mentionnera un autre corpus, théorique cette fois : celui que Georg Kinsky propose dans sa Geschichte der Musik in Bildern, monument de documentation visuelle paru en 1929, immédiatement traduit en plusieurs langues dont le français9, comportant 2 000 documents (reproductions de partitions, instruments de musique, portraits de musiciens, décors de théâtre). Ce corpus ne comporte aucune réflexion interprétative, mais il préfigure les travaux d’inventaire systématique entrepris par le Répertoire international d’Iconographie Musicale (RIdIM), quelque quarante ans plus tard et donne l’esquisse des grands thèmes de l’iconographie musicale : La représentation des instruments de musique L’histoire de l’interprétation Les portraits de musiciens La musique comme symptôme de l’histoire culturelle II. CONSTITUTION DE CORPUS Je n’aborderai pas ici les oeuvres à sujet musical conservées dans des collections publiques sans que leur thématique ait été le mobile de leur rassemblement. Je me concentrerais sur les deux types de fonds rassemblés dans un but musical. Le premier est constitué de collections d’œuvres visuelles originales (peintures, dessins, estampes, sculptures, etc.). Elles sont principalement le fait de musées et bibliothèques. Lorsque le Padre Martini, à Bologne, constitua au XVIIIe siècle sa galerie de portraits de grands musiciens, il n’hésita pas à faire peindre les portraits des musiciens des périodes révolues qu’il considérait comme devoir figurer dans son Panthéon musical. L’œuvre originale comptait moins que la présence symbolique. Ces peintures au statut 8 Daniel François Scheurleer, Iconographie des instruments de musique, La Haye, D.F. Scheurleer, 1914 ; Clememns von Gleich, Haags Gemeentemuseum. Over het Onststaan van de Musiekafdeling. Portret van de Verzameling-Scheurleer, La Haye, 1988 ; Michael Latcham, « Music in the museum », in Muziek voor het oog. De collectie van het Gemeentemuseum Den Haag. Music for the eye. The Collection of the Gemeentemuseum Den Haag, Zwolle, Waanders Uitgevers, Gemeentemuseum Den Haag, 2003, p. 6-17. 9 Georg Kinsky, Album musical, Paris, 1930. halshs-00009496, version 1 - 15 Mar 2006 4 varié constituent aujourd’hui un pan important du Museo civico bibliographico musicale. On voit bien aussi comment les nombreux portraits provenant du Conservatoire de Paris, aujourd’hui rassemblés au musée de la Musique à Paris, ont pour origine la collection à vocation « historique » de cette institution d’enseignement : la galerie des directeurs et des musiciens célèbres de la maison. De nombreuses institutions ont ainsi des fonds aux caractéristiques liées à leur mission et à leur histoire. Par exemple les dessins liés à la mise en scène d’œuvres lyriques conservées à la Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris10. On peut rapprocher de ces exemples la collection déjà citée formée par le Dr. Scheurleer à La Haye11 dans les premières années du XXe siècle. Auprès de partitions rares et d’instruments de musique, cet amateur fortuné rassembla aussi une collection d’œuvres originales dans le but de reconstituer leur contexte d’utilisation. L’autre type de corpus est constitué par des collections documentaires, autant dire des reproductions photographiques d’œuvres conservées dans d’autres institutions ou dans des collections privées. Leur rassemblement est en général raisonné, systématique. Il est presque toujours le fruit du travail de musicologues chevronnés et d’instituts de recherche en musicologie. La documentation visuelle rassemblée peu à peu par Geneviève Thibault de Chambure sur la musique aux XIVe et XVe siècles, était ainsi destinée à étayer ses travaux personnels. Elle constitue aujourd’hui encore le premier noyau du Centre d’iconographie de l’Institut de recherche sur le patrimoine musical en France, au sein de la Bibliothèque nationale de France (Unité mixte de Recherche du CNRS)12. Lorsque le Répertoire international d’iconographie musicale (RIdIM) est fondé en 1971 par Barry Brook13 à New York et placé sous les auspices de l’IMS (International 10 Jérôme de La Gorce, catalogue d’exposition Féérie d’opéra. Décors, machines et costumes en France. 1645-1765, Paris, Editions du patrimoine, 1997. 11 Clemens von Gleich, Haags Gemeentemuseum. Over Het Ontstaan van de Musiekafdeling. Portret van de Verzameling-Scheurleer, Haags Gemeentemuseum, 1985. 12 Florence Gétreau, « Le laboratoire d’organologie et d’iconographie musicale du CNRS », Musique- Impages-Instruments, n° 1, p. 191-192. 13 Zdravko Blazekovic, « Remembering Barry S. Brook. 1 November 1918 – 7 December 1997 », RIdIM Newsletter, Volume 22, Number 1 (Spring 1997), p. 3 ; Florence Gétreau, « Barry S. Brook. 1er novembre 1918 – 7 décembre 1997 », Musique-Images-Instruments, n° 3, 1997, p. 227-228. halshs-00009496, version 1 - 15 Mar 2006 5 Musicological Society), de l’AIBM (Association internationale des bibliothèques musicales) et de l’ICOM (Conseil international des musées), il se fixe comme mission « uploads/s3/ iconografia-musical.pdf

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