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HAL Id: hal-00769893 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00769893 Submitted on 3 Mar 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. De la musique au son. L’émergence du son dans la musique des XXe-XXIe siècles Makis Solomos To cite this version: Makis Solomos. De la musique au son. L’émergence du son dans la musique des XXe-XXIe siècles. Presses universitaire de Rennes, 2013, Aesthetica, Pierre-Henry Frangne, Roger Pouivet, 978-2-7535- 2638-9. ￿hal-00769893￿ Makis Solomos De la musique au son. L’émergence du son dans la musique des XXe-XXIe siècles Presses universitaires de Rennes, 2013, 545 p. Le présent document est le manuscrit d’auteur de la publication. Il ne comprend pas les exemples (seule leur légende est donnée). À Ειρήνη, qui aura toujours l’âge de ce livre INTRODUCTION Le son et la culture audio Le son accompagne aujourd’hui la vie des hommes comme il ne l’a jamais fait auparavant : tout se passe comme si l’on avait procédé à une sonorisation géante des espaces dans lesquels nous vivons, provoquant une hypertrophie de notre environnement sonore. De la pollution sonore subie à la musique soigneusement choisie pour l’écouter au casque, de la musique de supermarché aux plus beaux moments d’un concert, d’une sonnerie intempestive de portable à une plage de silence sciemment aménagée comme possibilité sonore parmi d’autres…, les sons se déversent en continu, se mixant les uns aux autres, provoquant des effets de masque ou se décuplant, devenant assourdissants ou, au contraire, agréablement mystérieux, tissant une polyphonie tentaculaire que nul compositeur n’aurait osé préméditer. La musique, en particulier, s’est transformée en immense flot sonore, tsunami planétaire dévastateur pour les uns, liquide amniotique universel et nourrissant pour les autres. Grâce à l’enregistrement et aux progrès technologiques, il est devenu possible et inévitable de l’écouter où que l’on soit, en permanence ; et grâce à la globalisation, on peut, en théorie, écouter tout ce que l’on veut – ou ne veut pas. Nous vivons ainsi dans une ubiquité musicale et sonore qui sollicite une écoute en continu1. Qu’il soit question de musique ou de bruits environnants, l’une des raisons qui conduisent à parler de son est que ce phénomène – avant tout auditif –, dont on vient de souligner l’omniprésence, jouit d’une certaine autonomie. Ainsi, dans l’industrie multimédia, le design sonore adjoint des sons aux appareils électroniques qui, autrement, ne produiraient aucun ou très peu de son : si l’utilisateur finit par les associer à l’objet ou à l’action, il pourrait aussi les entendre pour eux-mêmes. Quant à la musique, dans les exemples précédents, elle devient flot sonore parce qu’elle semble n’être la conséquence d’aucun événement, sinon de l’appui d’un bouton play : tout se passe comme si personne n’en jouait et qu’elle devait s’interrompre tout aussi brusquement. L’enregistrement, se substituant à la mémoire, a rendu possible quelque chose qui n’était pas imaginable par le passé : capter un son, le figer, le restituer, le répéter. Pierre Schaeffer, l’inventeur de la musique concrète – l’un des premiers courants musicaux résolument centré sur le son –, aimait dire que celle-ci devint possible grâce à l’accident du « sillon fermé »2 : répété, un bruit cesse d’être entendu comme le « son-de » (renvoi à sa cause) pour être ausculté en soi, pour être apprécié comme tel, en raison de sa morphologie intrinsèque. Le même Schaeffer, dans un texte antérieur à la naissance de la musique concrète, souligne l’« effet du microphone » : 1 Sur la notion d’« écoute en continu », cf. Carmen Pardo Salgado, « L’oreille globale », in Jacques Bouët, Makis Solomos (éd.), Musique et globalisation : musicologie-ethnomusicologie, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 253-268. 2 Cf. Pierre Schaeffer, À la recherche d’une musique concrète, Paris, Seuil, 1952, p. 41-42. « Le micro donne des événements – qu’ils soient concert, comédie, émeute ou défilé – une version purement sonore. Sans transformer le son, il transforme l’écoute. […] Le micro peut conférer la même importance puis, s’il pousse plus loin le grossissement, la même dimension d’étrangeté à un chuchotement, au battement d’un cœur, au tic-tac d’une montre. Entre plusieurs plans, sonores ou visuels, il devient possible d’aménager des rapports arbitraires, de renverser les proportions, de contredire l’expérience quotidienne »3. Est ainsi née une nouvelle culture, que l’on peut qualifier d’audio, centrée sur le son – plus précisément, sur les sons « fixés », pour reprendre la terminologie de Michel Chion4 – et l’écoute5. Dans la culture musicale traditionnelle, le son n’est qu’un résultat, parfois moins important que la musique même. Les musiciens doivent toujours s’accommoder de conditions acoustiques qui ne peuvent être qu’imparfaites, ils sont parfois obligés de composer avec des bruits environnants. Ils peuvent produire la plus belle musique avec le son le plus laid, que ce soit en raison de la qualité des instruments ou de l’espace avec lesquels ils jouent, ou encore, de la qualité de l’enregistrement ou de la reproduction qui les diffuse. La musique ne réside pas dans le son, dit-on ; elle se trouve dans le geste des musiciens et dans ses structures internes, voire dans la pure intention musicale. Les musiciens classiques ont développé, grâce à la partition, la fameuse « audition intérieure », avec laquelle on peut entendre la musique sans qu’aucun son ne soit émis. En ce qui concerne l’auditeur, l’« écoute structurelle » théorisée par Theodor W. Adorno6 – une écoute qui vise à cerner l’organisation interne de l’œuvre, dont les caractéristiques ne sont parfois pas présentes en tant qu’événements sonores – représente, en un sens, l’idéal de cette culture. L’importance de la culture audio se mesure au développement foisonnant d’un ensemble de pratiques centrées sur le son, allant du fonctionnel à l’artistique. Dans le domaine purement fonctionnel, on citera les musiques d’ambiance, dites aussi musiques « d’ascenseur », les musiques de publicité, les logos sonores, le design sonore industriel dont il était question précédemment… La « muzak », du nom de la firme américaine homonyme fondée en 1922, reste emblématique : « La plupart de nos clients sont des bureaux et des usines qui utilisent Muzak comme un élément de leur environnement de travail, au même titre que l’éclairage et l’air 3 Pierre Schaeffer, « Notes sur l’expression radiophonique » (1946) in Pierre Schaeffer, De la musique concrète à la musique même, Paris, Mémoire du Livre, 2002, p. 82-84. 4 À la différence de l’expression son « enregistré », celle son « fixé » « invite à ne pas prendre un son fixé pour seulement une trace, par définition incomplète, de quelque chose d’enfui, ce qu’il est assurément dans le cas des enregistrements de représentations d’opéras et de grandes voix, mais non pour des formes de création comme le cinéma sonore, l’art radiophonique ou la musique concrète, reposant sur la phono-fixation elle-même. Tout comme d’ailleurs avec beaucoup d’enregistrements de rock, de pop et de jazz, conçus et construits pour et sur le support » (Michel Chion, Le Son, Paris, Nathan/HER, 2000, p. 203). 5 La notion d’audio culture ou auditory culture est récemment entrée dans le vocabulaire académique anglo-saxon. Cf., entre autres, Michael Bull, Les Back (éd.). The Auditory Culture Reader, Oxford-New York, Berg Publishers, 2003 ; Christoph Cox, Daniel Warne (éd.), Audio Culture. Readings in Modern Music, Londres, Continuum, 2006 ; Jonathan Sterne (éd.), The Audible Past: Cultural Origins of Sound Reproduction, Durham, Duke University Press, 2003. 6 Cf. Theodor W. Adorno, Der getreue Korrepetitor. Lehrschriften zum Hören neue Musik (1963), in Gesammelte Schriften, volume 15, Francfort, Suhrkamp, 1976, p. 157ss et « Types d’attitude musicale » (1962 – esquissé en 1939), in Introduction à la sociologie de la musique, traduction Vincent Barras et Carlo Russi, Genève, Contrechamps, 1994, p. 7ss. conditionné. L’important, c’est d’arriver à ce que ceux qui travaillent se sentent mieux parce que, s’ils se sentent mieux, il y a des chances pour qu’ils travaillent mieux », écrivait l’un des présidents de la société7. Si la muzak – dont Érik Satie avait pressenti l’utilisation du son avec ses fameuses « musiques d’ameublement »8 – reste, fort heureusement, un repoussoir pour nombre de personnes aujourd’hui, les autres pratiques fonctionnelles du son tendent à se développer, leur limite naturelle étant le fait que le son est plus présent, et donc plus encombrant, que l’image9. Quant aux pratiques artistiques centrées sur le son, elles sont multiples, hétérogènes, variées et évoluent à grande vitesse. Évolue également très rapidement leur catégorisation. À l’heure actuelle, l’expression la plus générale qui puisse les regrouper semble être celle d’« arts sonores »10. Une partie des artistes qui les incarnent provient de la sphère du visuel et produit des œuvres sonores souvent en relation avec des images, des objets plastiques ou des espaces. uploads/s3/ m-solomos-de-la-musique-au-son-pdf 1 .pdf

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