SATAN Ouvrage collectif des - ÉTUDES CARMÉLITAINES – (Parte 3) FORMES GERMAIN B

SATAN Ouvrage collectif des - ÉTUDES CARMÉLITAINES – (Parte 3) FORMES GERMAIN BAZIN. Formes démoniaques. AUGUSTE VALENSIN, S. J. Le diable dans la Divine Comédie. PIERRE MESSIAEN. Satan dans le Paradis perdu. ALBERT BÉGUIN. Balzac et la fin de Satan. PAUL ZUMTHOR. Le Tournant romantique (1850-1870). JACQUES MADAULE. Le diable chez Gogol et chez Dostoïevski. CLAUDE-EDMONDE MAGNY. La part du diable dans la littérature contemporaine. DÉICIDE PAULUS LENZ-MEDOC. La mort de Dieu. DOM ALOÏS MAGER. Satan de nos jours. BIBLIOGRAPHIE ROLAND VILLENEUVE. Bibliographie démoniaque. 6. Formes Formes démoniaques Plus peut-être que Celui dont il est la contre-épreuve, le Diable est insaisissable. Dieu est Un; pour incommensurable qu'il soit, l'unité étant la raison profonde de l'âme humaine, celle-ci vers son principe tend naturellement, comme à l'être elle aspire. Mais le Diable est légion; à cette totalité dans l'unité il ne peut atteindre et l'infernale condition du Maudit réside dans cet éloignement indéfini de son principe; là est l'anathème qui précipite son âme incohérente et lacunaire dans l'abîme du chaos, faisant du Seigneur des Enfers le souverain de la Discorde. Partout où règne la contradiction s'assouvit le Prince du Difforme et de l'Hétérogène. Aucun livre sacré n'a exprimé avec plus de force ce caractère du Démon que le Lalitavistara décrivant l'assaut de Mara, le démon du boudhisme tantrique, contre le Bodhisattva rédempteur: « Le démon Papiyan (Mara), n'ayant pas fait ce qu'avait fait Sârthavana, fit préparer sa grande armée de quatre corps de troupe, très forte et très vaillante dans le combat, formidable, faisant dresser les cheveux, comme les dieux et les hommes n'en avaient pas vu auparavant ni entendu parler; douée de la faculté de changer diversement de visage et de se transformer de cent millions de manières (Souligné par l'auteur); ayant les mains et les pieds et le corps enveloppés dans les replis de cent mille serpents; tenant des épées, des arcs, des flèches, des piques, des masses, des haches, des fusées, des pilons, des bâtons, des chaînes, des massues, des disques, des foudres; ayant le corps protégé par d'excellentes cuirasses; ayant des têtes, des mains et des pieds contournés; des yeux et des visages flamboyants; des ventres, des pieds et des mains difformes; des visages étincelants d'une splendeur terrible; des visages et des dents difformes; des dents canines énormes et effroyables; des langues rugueuses comme des nattes, des yeux rouges et étincelants comme ceux du serpent noir rempli de venin. Quelques-uns vomissaient du venin de serpent, et quelques-uns, après avoir pris avec leurs mains du venin de serpent, le mangeaient. Quelques-uns comme des garourdas, ayant retiré de la mer de la chair humaine, du sang, des mains, des pieds, des têtes, des foies, des entrailles, des ossements, etc. les mangeaient. Quelques-uns avaient des corps flamboyants, livides, noirs, bleuâtres, rouges et jaunes; quelques-uns avaient les yeux déformés, creux comme des puits enflammés, arrachés, ou regardant de travers; quelques-uns avaient des yeux contournés, étincelants et difformes; quelques-uns portant des montagnes enflammées, s'approchaient fièrement, montés sur d'autres montagnes enflammées. Quelques-uns, après avoir arraché un arbre avec ses racines, accouraient vers le Bodhisattva. Quelques-uns avaient des oreilles de bouc, des oreilles de porc, des oreilles d'éléphant, des oreilles pendantes de sanglier. Quelques-uns n'avaient pas d'oreilles. Quelques- uns ayant le ventre comme des montagnes, avec des corps débiles, formés d'un amas d'ossements, avaient le nez cassé; d'autres avaient le ventre comme une cruche, les pieds pareils à des crânes, la peau, la chair et le sang des séchés, les oreilles, le nez, les mains et les pieds, les yeux et la tête coupés... « Quelques-uns ayant des poils de boeuf, d'âne, de sanglier, d'ichneumon, de bouc, de bélier, de carabha, de chat, de singe, de loup, de chacal, vomissaient du venin de serpent, avalant des boules de feu, exhalant des flammes, répandant une pluie de cuivre et de fer brûlant, faisant naître des nuages noirs, produisant une nuit noire, faisant du bruit, couraient vers le Bodhisattva... » Ce long extrait d'un texte, qui fut illustré avec tant de couleur et de verve par les peintres du Turkestan (fig. 1, cf. p. 461), méritait d'être cité en préface, comme un exemple remarquable du « style démoniaque ». Cette accumulation fantastique de métamorphose monstrueuses, n'aboutira jamais qu'à un total partiel; somme de fragments qui ne peut se résoudre à l'unité. Difformité, pluralité et chaos, tels seront à travers les civilisations et les plus éloignés dans le temps et l'espace, les caractères de la plastique diabolique. Incapable de créer, l'Impur, qui fut déchu pour s'être cru un instant l'égal du démiurge, donne le change en se faisant le singe de Dieu; aussi les artistes ne seront-ils point embarrassés de représenter le Prince des Ténèbres, car plus que Dieu il est figure, vivant d'emprunts aux visages des créatures, que dans sa rage impuissante il associe d'une façon absurde; des débris de la créature lacérée, Satan compose des monstres. Ce n'est point l'art d'Occident qui nous montrera les expressions les plus fortes de la plastique démoniaque. Nous attarder sur ce terrain risquerait d'ailleurs de nous entraîner à la redire de ce qu'a si vigoureusement défini René Huyghe dans le fascicule « Amour et Violence » des Études Carmélitaines. Le style haché, saccadé, discontinu qu'il décèle dans l'art allemand, nous pourrions y voir une vérité démoniaque, encore qu'il doive être envisagé comme une compensation de l'angélisme à quoi cet art aspirait; et peut-être ne doit-on pas trop sous-estimer ce dernier aspect; cette oscillation entre les extrêmes, sans que jamais elle puisse trouver un point d'équilibre, est le vrai fond de l'âme germanique. La recherche de l'unité, et donc du divin, en lui-même et par delà lui-même, est de le destin de l'homme d'Occident; on ne sera point surpris qu'il ait peu excellé dans l'imagerie diabolique. Pour nous en tenir à la figure de l'Antagoniste, nous verrions que seul l'art roman, d'ailleurs profondément imprégné d'Orient, en a conçu des images valables. La douceur angélique apportée par saint Bernard et saint François porta un coup fatal à Satan; l'art gothique trop humain pour avoir su faire bonne figure au Diable; les Mystères contribueront à le muer en un personnage comique, pourvu d'accessoires enfantins, qu'on emprunte à la batterie de cuisine: fourchette, chaudière, gril, cuiller à pot. Il faut attendre la Renaissance, pour retrouver le triste Sire sous des aspects vraiment démoniaques. Car, plus qu'au Moyen Age, Jérôme Bosch appartient, quoiqu'on en ait dit, aux temps nouveaux. Dans une étude psychanalytique des civilisations, ce brusque débordement de satanisme apparaîtrait comme un symbole des premières atteintes portées à la foi. Les exégètes catholiques sans doute pourraient y voir la prémonition de l'hérésie qui fondre sur le siècle suivant. Pour l'historien des idées, Jérôme Bosch appartient à cette crise d'irréalisme qui affecte le Xvè siècle, pris entre la foi médiévale et le rationalisme naissant. M. Huizinga, dans une thèse célèbre, a montré comment le Moyen Age a fini dans le merveilleux du rêve, irréalisant tous ses idéaux, courtois, chevaleresque, divin; il en fut de même pour ce contretype de l'idéal: Satan; et du songe ténébreux Jérôme Bosch se fit l'illustrateur, comme Fra Angelico l'avait été du rêve de lumière. Ce sont bien les dérisoires créations du singe de Dieu, dont les infernales légions accablent les humains dans les tableaux du peintre néerlandais. Dans l'univers des formes inertes ou vivantes et parmi même les objets inventés par l'homme, le Prince de l'Hétéroclite a puisé à pleines mains, jetant par le monde les produits absurdes de son infernal bazar (fig. 2, cf. p. 462). Par le principe de désordre dont ils sont nés, ces monstres portent en eux une puissance maléfique; ils sont l'anticréation, acharnée à dégrader l'oeuvre divine; mais il suffit du nom de l'Unique prononcé par saint Antoine, pour que tombent en poussière ces chefs-d'oeuvre des artifices du Malin, éphémères négations des divines structures. Au second plan d'une gravure de Dürer (fig. 4, cf. p. 463), le Maudit fait une lugubre apparition. Conformément à la tradition allemande, il est représenté sous la forme porcine; il est peu d'image aussi saisissante du Malin que ce hideux groin qui suit le chevalier; précédé par la Mort, il est tout prêt à se jeter sur sa proie, si celle-ci montre une défaillance; on se plaît à imaginer ainsi le Très-Bas qui hantait les cauchemars de Luther. La tradition faustienne a prêté aussi au Démon l'incarnation d'un chien; il passe et repasse sous les fenêtres du Docteur Faust, le sinistre barbet dans l'oeuvre de Goethe; est-ce lui qui est couché aux pieds de la Mélancolie de Dürer? Puis, le Diable disparaîtra, pendant plusieurs siècles, d'un art apuré par la Contre- Réforme et qu'imprégnera l'idéalisme raphaélesque. Les Malheurs de la Guerre le font renaître dans l'imagination de Goya; c'est encore la bête qui fait ici les frais des terreurs démoniaques de l'homme; mais cette fois c'est un bouc, l'animal du Sabbat des sorcières (fig. 3, cf. p. 463). Delacroix, lecteur de Faust, tentera de se colleter avec le Diable, mais son imagination, trop lettrée, ne saura que recréer le pantin uploads/s3/ satan-etudes-carmelitaines-3-pdf.pdf

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