4 l a l et tre de l’ ocim n°96, novembre-décembre 2004 À partir de l’histoire d

4 l a l et tre de l’ ocim n°96, novembre-décembre 2004 À partir de l’histoire de la scénographie et à travers quelques exemples de réalisations récentes, l’auteur s’interroge sur la réalité de la profession de scénographe d’exposition, un métier complexe par la diversité des compétences qu’il synthétise et par le nombre de savoir-faire qu’il mobilise. Contexte et histoire d’une discipline émerg e n t e La scénographie d’exposition, une nouveauté ? « La scénographie des musées est une affaire d’intelli- gence mais aussi de cœur et d’imagination. C’est une cha- leur qu’il convient de faire partager. » J.-P. Laurent (1) Sans doute est-il en effet plus que temps de faire enfin partager cette chaleur. Pourtant, les réalités de ce métier sont, et contre toute attente, assez mal connues d’une partie des professionnels des musées. Quand la scénographie d’exposition a-t-elle vu le jour et sous l’ef- fet de quel contexte ? Qui sont les scénographes d’ex- position et pourquoi ont-ils choisi cette voie ? Quel est leur mode d’exercice ? Sont-ils artisans ou artistes ? Quelle est leur conception du musée, de l’objet, de la matière ? Voilà une pléthore d’interrogations à laquelle bien peu de gens sont en mesure de répondre aujour- d’hui, tant le sujet a été négligé par le passé. Autant le média exposition a fait couler beaucoup d’encre dans la presse spécialisée, autant sa mise en espace a-t-elle toujours été survolée. Et même s’il est parfois arrivé de trouver un article traitant d’une exposition particulière – dont quelques lignes ont été consacrées à sa mise en espace – le sujet de la scénographie d’exposition a très La scénographie d’exposition, une médiation par l’espace Kinga Grzech * Exposition Soulages (Paris, Bibliothèque nationale de France, site Tolbiac, 2003) © Véronique Dollfus * Kinga Grzech, assistante-scénographe pour l’exposition Au temps des mammouths au Muséum national d’Histoire naturelle, est titulaire du DEFA et diplômée en Muséologie et en Recherche appliquée en scénographie d’exposition téléphone + 33 6 63 53 74 69 kinga@club-internet.fr l a l et tre de l’ ocim n°96, novembre-décembre 2004 5 rarement été abordé en profondeur dans sa globalité, hormis peut-être par Marcel Freydefont, il y a plus de 10 ans, dans un dossier spécial de la revue Actualités de la Scénographie. Pour palier ce déficit, commençons par nous poser la question de la définition des termes. Et d’abord, qu’est- ce que la scénographie ? Selon Marcel Freydefont, le mot est ancien, puisqu’il remonte aux Grecs, pour les- quels la s k ê n ê g r a p h i a était la décoration – au moyen de panneaux peints représentants des architectures ou des paysages naturalistes – du fond de la scène théâtrale ( 2 ). À la Renaissance, la scénographie fut assimilée à la représentation de la perspective. Puis, à partir du XVIe siècle, on adopta le terme de décor pour qualifier la représentation du lieu au théâtre. Mais c’est à partir du début du XXe siècle que le terme de scénographe refit son apparition pour désigner le concepteur de l’espace théâtral. Pendant les années 1980, la pratique scéno- graphique se diversifia pour aborder de nouveaux riva- ges dont celui de l’exposition. La scénographie d’expo- sition est aujourd’hui une forme de médiation spatiale, un moyen de divulgation d’un propos, d’un concept, d’une émotion, à l’interface entre l’émetteur-objet et le récepteur-public. Son vecteur n’est pas le verbe mais l’espace tridimensionnel dans lequel elle prend la forme de langages multiples. Pour dépasser ces quelques affirmations, une nécessité est devenue incontournable : celle de donner enfin la parole à ceux que l’on n’entend jamais dans le monde de l’exposition. Les artistes s’expriment à travers leurs œuvres, les commissaires éditent panneaux pédago- giques et catalogues, et contribuent à la notoriété des artistes. Les institutions communiquent au travers de leur programmation. Seuls les scénographes demeu- rent muets, privés de parole, alors que pourtant ils sont des médiateurs à part entière. Une enquête de terrain sous la forme d’une série d’entretiens semi-directifs a donc permis d’éclaircir les nombreuses questions qu’une lecture approfondie d’articles et d’ouvrages spé- cialisés avait fait germer sans pour autant y répondre. Au fil de l’histoire, l’héritage de la muséographie La scénographie d’exposition – en tant que métier à part entière – a vu le jour dans les années 1980, en relation avec les transformations opérées dans le monde des musées. La faible profondeur historique de cette discipline s’est conjuguée à un total manque de reconnaissance. C’est la raison pour laquelle a été créée l’Union des Scénographes en 1987, afin de cer- ner les domaines d’applications de la scénographie que sont le théâtre, l’équipement et l’exposition. Il s’a- gissait alors, et avant tout, de permettre au scéno- graphe d’être reconnu sinon comme artiste, du moins comme auteur, et d’affirmer que la scénographie d’ex- position découlait de nouvelles pratiques issues de la prise de conscience du visiteur en tant que spectateur. Mais pour comprendre la filiation de la scénographie d’exposition temporaire à son ancêtre, la muséographie permanente, il faut en tout premier lieu remonter le fil de l’Histoire. La mise en espace des collections trouve son origine dans la prise de conscience de la notion de patrimoine culturel et la nécessité de sa préservation puis de sa conservation. À l’orée de la Renaissance, les érudits de la péninsule Italienne commencent à s’inté- resser à l’héritage légué par les païens de l’Antiquité. Les ruines deviennent sources de savoir, objets de délectation, sujets à imitation. Puis les Papes se met- tent à collectionner des œuvres d’art, à l’instar des riches familles issues de la finance. Le premier musée public, le Palais des Conservateurs, ouvre ses portes à Rome. Galeries privées et cabinets de curiosités se multiplient au sein de palais aristocratiques. C’est alors l’accumulation qui prime au détriment d’un quel- conque souci de présentation des collections. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le collectionnisme se déve- loppe, le marché de l’art s’épanouit et la fièvreuse pas- sion de l’Archéologie enflamme toute l’Europe. Les premières Académies artistiques sont fondées. En France, la vitrine de l’Académie devient le Salon, véri- table ancêtre de l’exposition temporaire. Une première réflexion sur les lieux, les classements, la conservation et les collections allemandes est synthétisée en 1727 avec la parution de l’ouvrage Museografia de Heckl. En Angleterre, les collections sont mises en scène dans des écrins néoclassiques contextualisants à l’instar du museo Lapidario de Vérone, où son créateur, le mar- quis Maffei, met en place une véritable galerie pro- gressive avec un accrochage chronologique par écoles. La fin du XVIIIe siècle voit l’ouverture du musée Pio Clementino à Rome, dont les espaces spécifiques et la lumière naturelle, à chaque fois particulière, deviennent un modèle pour nombre de musées posté- rieurs. En France, on critique l’état lamentable du Louvre, pour lequel Hubert Robert propose un découpage par salles de la Grande Galerie ainsi qu’un éclairage zénithal. Au même moment est créé, dans un dépôt révolutionnaire, le musée des Monuments Français. Alexandre Lenoir, son fondateur, aménage un cloître circulaire autour d’un jardin élyséen par un classement chronologique de sculptures et de plâtres. Sa volonté didactique se manifeste par le souci de 6 l a l et tre de l’ ocim n°96, novembre-décembre 2004 rendre la lumière signifiante. Il s’attache à faire passer le visiteur des salles obscures du Moyen-Âge aux salles des Lumières, baignées de clarté, où triomphe la rai- son. Malheureusement, cette expérience novatrice tourne court très rapidement et demeure sans suite pendant de nombreuses années. Les musées qui voient alors le jour, depuis ceux con- sacrés aux Beaux-Arts jusqu’aux musées de Sciences, ne dérogent alors pas à la tradition héritée des siècles pas- sés. L’environnement se limite à un décor ornemental, d’un goût historiciste et décadent, faire-valoir de la bour- geoisie triomphante où le marbre coloré le dispute aux brocards pourpres. Toutefois, d’autres courants de pen- sées apportent de nouvelles solutions. Ainsi, la Glyptothèque de Munich est ramenée par son archi- tecte Leo von Klenze, à « un pur dispositif d’exposition » comportant un parcours circulaire composé d’espaces différenciés aux murs aveugles ( 3 ). Cette notion de par- cours devient l’élément clef d’une réflexion nouvelle. C’est ainsi le cas du muséum d’Histoire naturelle de Londres, où le candide ne croise plus l’érudit pour lequel sont aménagées spécialement des galeries d’étude. De la mise en espace : la révolution des artistes Mais la nouvelle voie est montrée par les artistes. Ainsi Courbet présente ses œuvres en marge du Salon de 1867 dans son propre pavillon. La mise en exposition se doit alors de coller à l’évolution personnelle d’un artiste, rendue explicite par un accrochage personnel. Ce ne sont alors toutefois encore que les balbu- tiements de la mise en espace, qui explose vérita- blement au tout début du XXe siècle. Les avant-gardes artistiques rejettent le musée et sa permanence. Elles entrent en scène pour révolutionner, de façon irréver- sible, la mise en exposition. Cette opposition virulente des artistes prend la forme d’un mouvement sécessionniste européen, qui vise à rétablir l’artiste et son œuvre dans un environnement choisi uploads/s3/ scenographie-exposition.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager