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COLLECTION LA PHILOSOPHIE EN EFFET 1&1 \r{fî1flÀ~lII ~pJ~ \ \\1\\\\\1\ \\1\ \\i\ \\1\ \\1\\\1\ \\1\\\\ Jean -Lue N aney 3130068 La ensée 1 ee Accornpagné de « L'échappée d'elle» de François Martin Galilée L'ÉDITION ORIGINALE DE LA PENSÉE DÉROBÉE A ÉTÉ TIRÉE A 21 EXEMPLAIRES: 9 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 9, ACCOMPAGNÉS D'UN DESSIN ORIGINAL DE FRANÇOIS MARTIN, ET 12 EXEMPLAIRES HORS-COMMERCE MARQUÉS DE H.-C 1 À H.-C XII, REHAUSSÉS PAR CARTISTE. © 2001, ÉDITIONS GALILÉE, 9, rue Linné, 75005 Paris, En application de la loi du Il mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC) , 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. ISBN 2-7186-0552-9 ISSN 0768-2395 Je pense comme une fille enlève sa robe. GEORGES BATAILLE Nudité (ouverture) Le professeur dit la chute de ta robe est comme ma pensée ma pensée rombe avec ta robe la chure de ma pensée est ce à quoi je pense quand je pense au moment où ta robe tombe le professeur dit ma pensée est une tombe où penser se dérobe ma pensée se dérobe dans l'envie de toucher ce que ta robe tombée enrobe de pensée le professeur dit ma pensée touche au dérobé de la pensée il faudrait toucher ça dans la nudité de la pensée tombée dans le dérobé de la pensée il faudrait toucher ça dans la nudité de la pensée tombée dans le dérobé de la pensée il faudrait penser dans la pensée déshabillée de toute pensée. La libre variation de Christian Prigent l sur une phrase où Bataille s'efforça de capter l'élan de sa pensée lllodule la double tonalité de cette phrase, ou les deux aspects de sa fièvre: une gaieté, une allégresse, et une tension douloureuse. Ce double ton est celui du désir, en général, et il est donc aussi celui du désir de la pensée, ou plutôt de la pensée comme désir, autrerrlent dit de ce que depuis presque deux millénaires nous autres Occidentaux auront nommé «philosophie ». De la phrase de Bataille comme de sa rrlÏse en fugue par Prigent, il serait parfaitement possible de donner un commentaire platonicien à partir des textes du Banquet et du Phèdre qui décrivent le désir de l'âme et son emporte- lnent. Car la beauté que désire cette âme n'est pas seulement ce que la vulgate platonicienne représente corrlme forme ou essence intelligible vers laquelle il faudrait s'élever en quittant le monde. Elle est aussi bien, sinon plus, cela même qui fait tout d'abord désirer et s'élever ou s'enlever vers une « beauté en soi» qui n'est autre chose, pareille à la femme pour l'engendrement des enfants, que le lieu où engendrer sans 1. Le Professeur, Romainvilliers, Al Dante, 1999. 11 La pensée dérobée fin la pensée, l'art, la sagesse et la justice. Cet élan sans réserve - phi- losophia aphthonos 1, sans retenue, qui ne refuse rien - est à lui-lllêllle, plus que tout autre accornplissement, sa destination et son but d'ernblée situé au-delà des buts en général. En comparant sa pensée à une fille qui se dénude, Bataille déplace deux fois la posture que l'on attend de la pensée: une fois par une trans- sexualité philosophique qui décale les figures convenues de l'activité et de la passivité, donc de la pensée cornme maîtrise, intellection, ou au contraire comme sensibilité, épreuve, et une seconde fois en identifiant sa pensée à une façon de se présenter ou de s'offrir nue à un désir, d'être le désir d'un désir plutôt que le désir d'une fin - de lllême que la nudité n'est jamais une fin, une conclusion, mais au contraire l'accès à un infini. Car la robe enlevée ne livre pas un corps, elle le dérobe à l'instant dans le secret d'une intinlité qu'elle expose en tant qu'infinie: infini- ment proche et donnée à toucher au désir de l'autre, mais ainsi infini- ment reculée et toujours à atteindre. La robe tombée donne le signe de ce que atteindre la nudité est toujours plus et autre chose que l'atteindre: la nudité se retire toujours plus loin que toute mise à nu, et c'est ainsi qu'elle est nudité. Elle n'est pas un état, mais un mouve- ment, et le plus vif des mouvements - vif jusque dans la rnort, dernière nudité. La pensée n'est pas le sujet qui pose devant soi un objet qu'il examine et qu'il évalue. Elle est cela qui ne se trouve que dans ce qu'elle pense. Aussi est-elle, pour Descartes, tout ce qui a lieu de telle sorte que je m'y trouve ou que je m'y touche en même temps que j'y aborde quelque chose, une représentation, une sensation ou une affection. C'est ce qui fait que ego sum s'égalise à cogito: bien loin d'établir un sujet intellec- tuel, cette pensée du sum accède à un être qui se donne ou qui se trouve en tant que, infinÎlllent, il s'enrobe et se dérobe en toute chose du monde. C'est bien pourquoi, comme on le sait, l'évidence de cet ego est identique à son éclipse, et lui aussi - ou elle aussi, la res cogitans - se retire dans sa nudité. Ce que fait la pensée, dès lors, n'est pas une opération ni mêrne une action. C'est un geste et une expérience. Un geste: une conduite, une manière d'aller vers ou de laisser venir, une disposition, invite ou déro- bade, qui précède toute construction de signification. Une expérience: 1. Banquet, 210d. 12 Nudité un outrepassernent de toute signification donnée et l'abord d'un réel que le sens ne retient pas dans ses filets. Non pas le supposé réel d'une présence immédiate: mais précisément la nudité en tant qu'elle se dérobe et ne cesse pas, ainsi, de se dénuder. Linstant et le geste de la robe qui tombe forment l'expérience qui, dès qu'elle a lieu, ne cesse de se répéter, et dont la répétition est elle-même, identiquement, le désir et la vérité - vérité du désir et désir de la vérité, philosophie qui d'elle- rnêrne ne peut que passer outre elle-même, c'est-à-dire encore désirer et penser, désirer penser, penser comme désirer. Hors ce désir, et le mou- vement qui retire la robe, il n'y a pas de pensée. Il est parfaitement possible, et il est même nécessaire de commenter le mot de Bataille par les textes de l'érotique platonicienne. Lélan de l'âme philosophique - son philein mêrne - s'éveille et s'élève, se dresse ou se répand comme l'élan de la fièvre sensuelle, mais non pas seule- ment à son image: c'est comme agitation des sens qu'il commence, à même l'ardeur amoureuse et à travers elle. De l'ordre sensible à l'ordre intelligible, en ce lieu de levée de la philosophie, il n'y a pas seulement analogie et transposition: il y a enchaînement et entraînement. Si l'ordre intelligible s'évade du sensible et l'excède, c'est du sensible que vient l'élan de cette évasion et de cet excès. Lardeur sensuelle est déjà elle-même le désir de la pensée. Aussi n'y a-t-il pas de pensée qui ne soit aussi sexuelle. Qu'elle soit représentée, dans l'ordre du rnanifèste, par une « homo» ou par une « hétéro» sexualité, la pensée est en elle- même ouverture de cette différence aux termes incommensurables dont le « sexe» est à la fois le lieu et la figure, la forme et la force: la différence qui n'est pas rapport à un objet, mais touche et tension entre des êtres. On peut aller jusqu'à dire, en parlant argot, que la « baise» et la pensée ont partie liée, pour autant que l'une et l'autre ont à voir avec l'amour 1. Il faut tenir, en effet, qu'il n'y a pas un acte sexuel ni un acte de pensée qui ne confine au moins, l'espace d'un instant, avec l'amour, même lorsqu'il n'y est pas ernporté tout entier. Lamour, c'est-à-dire le rapport avec ce avec quoi il n'y a pas de rapport. * 1. Pierre Verstraten, dans Érotique du soi singulier (Paris, Belin, 2000), engage avec une belle ardeur « pomologique» à « sexualiser la philosophie à partir de la racine commune de la vie pensante et de la vie amoureuse» (4" de couverture). 13 La pensée dérobée Selon cette tension qui touche à la nudité pour en éprouver le recul, la dérobade toujours renouvelée, l'avenir est la dimension du nu. Là-venir est le temps nu : non pas un temps présent représenté comme « à-venir », mais le fait que le temps ne cesse de creuser un « venir» qui est d'abord, essentiellement, venir de lui-même, survenir de sa plus propre propriété qui est, précisément, de n'être ni présent, ni passé, ni futur, et d'être dessaisissement de soi dans sa propre instabilité (dans son instantanéité qui n'est jamais simultanée avec soi-même). Non pas le « temps à l'état pur» de Proust qui est une coulée, une durée modulée, modelée. Mais le temps nu : non coulée, mais plongée dans ce qui ne coule même pas encore, dans la béance d'un toujours possible uploads/s3/ la-pensee-derobee.pdf

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