DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT - Chapitre 2 Sémantique véricondition

DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT - Chapitre 2 Sémantique vériconditionnelle et calcul des prédicats 2.1 Introduction à la sémantique vériconditionnelle 2.1.1 Sens, dénotation et référence Les phrases (ou énoncés) de la langue nous permettent de parler des choses, du monde, c’est-à-dire de la réalité. Elles nous permettent assurément d’exprimer et de faire d’autres choses, mais il semble très difficile d’écarter cette vocation à com- menter le réel. Par conséquent la sémantique doit être amenée à s’intéresser – entre autres – aux rapports entre les entités linguistiques (mots, syntagmes, phrases) et les entités du monde (choses). Il y a beaucoup de manières (philosophiques ou cognitives, pratiques ou théoriques) d’envisager ces rapports 1. Nous allons nous en tenir à une vision assez claire et très classique, initiée par Frege (1892b) 2 dans son célèbre article « Über Sinn und Bedeutung » (en français « Sens et dénotation »). Partant d’une démarche avant tout philosophique, en cherchant à asseoir so- lidement une théorie générale de la connaissance, Frege pose une distinction fon- damentale entre d’une part le sens et d’autre part la dénotation d’une expression linguistique – les termes originaux employés par Frege sont respectivement Sinn et Bedeutung. Notons tout de suite que Bedeutung est parfois traduit par référence 1. Il n’est pas de mise, dans cet ouvrage, de défendre, ni même de justifier un certain para- digme de théorie sémantique, en l’occurrence celui de la sémantique formelle vériconditionnelle. Ce paradigme est ici tenu pour admis – ne serait-ce que par hypothèse de travail – puisque le présent manuel se consacre à le présenter. C’est d’ailleurs à cet égard plus qu’une hypothèse, c’est un présupposé. Et cela inclut fondamentalement une incontournable relation entre la langue, en tant que système, et ce qui lui est, d’une manière ou d’une autre, extérieur et que nous appelle- rons ici la réalité. Sur ce point et en particulier sur ce qu’il convient de concevoir comme réalité extra-linguistique dans une perspective sémantique, je ne peux que recommander la lecture du premier chapitre de Kleiber (1999). 2. Frege (1892b), ainsi que Frege (1892a), sont des lectures très abordables et incontournables. Les travaux de Frege peuvent être tenus pour le point de départ de la sémantique formelle (ainsi que de la logique moderne). CC ⃝ by-nc-nd/2.0/fr 35 compilé le 11 octobre 2012 DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT - 36 Chapitre 2. Sémantique vériconditionnelle et calcul des prédicats (ou référent) 3, cela se présente parfois comme une variante terminologique libre ; cependant nous ferons ici (dans les pages qui suivent) une distinction subtile entre référence et dénotation. Définition 2.1 (Dénotation) La dénotation d’une expression linguistique est l’objet du monde que cette ex- pression désigne. Cette définition est une première approximation et nous la raffinerons plus tard. Regardons tout de suite l’exemple de Frege : « l’étoile du matin » et « l’étoile du soir ». Ces deux expressions ont la même dénotation car elles désignent le même objet céleste : la planète Vénus 4. La dénotation est donc cette notion qui incarne directement la relation entre les éléments linguistiques et les entités de la réalité. Cependant Frege montre que la dénotation ne peut pas suffire à décrire le rôle (qu’on appellera plus tard sémantique) d’une expression dans une phrase, et que ce qui importe c’est, finalement, le sens de l’expression. Et « l’étoile du matin » et « l’étoile du soir » n’ont pas le même sens. C’est ce que révèle, par exemple, le test de substitution suivant : (1) L’étoile du matin est l’étoile du soir. (2) L’étoile du matin est l’étoile du matin. La phrase (2) est obtenue en remplaçant dans la phrase (1) le second groupe nominal (l’étoile du soir) par un autre groupe nominal qui a la même dénotation (en l’occurrence l’étoile du matin). Cette phrase (2) est vraie par nécessité, elle le sera toujours, sa vérité est inscrite dans sa forme : c’est une tautologie. Et en tant que telle, elle n’apporte aucune information pertinente. En revanche, la phrase (1), elle, apporte de l’information, elle est intéressante, elle n’est pas une tautologie. Ces deux phrases sont loin d’être synonymes : elles ne disent pas la même chose. Puisque « l’étoile du matin » et « l’étoile du soir » ont la même dénotation, rien ne distingue (2) de (1) du strict point de vue dénotationnel. D’ailleurs on s’en tenait uniquement aux dénotations, les deux phrases reviendraient simplement à un schéma équatif de la forme : “vénus = vénus”. On voit bien que ce qui les distingue, c’est autre chose : c’est le sens des expressions qu’elles contiennent. Comment Frege définit-il le sens ? Si la dénotation est l’objet du monde désigné par l’expression, son sens est « le mode de donation » de cet objet. Par mode de donation, il faut comprendre ce qui nous donne la dénotation de l’expression. On 3. Il faut ajouter que dans le langage courant, c’est-à-dire hors du vocabulaire technique des linguistes, Bedeutung est aussi traduit par signification. Mais cette traduction n’est guère appro- priée pour nommer la notion identifiée par Frege ; de plus nous essaierons ici de ne pas retenir signification comme un terme technique, c’est-à-dire que nous ne lui attribuerons pas une définition précise et scientifique, et nous l’utiliserons dans son acception quotidienne. 4. À noter que le nom propre « Vénus » a ici, lui aussi, cette même dénotation. CC ⃝ by-nc-nd/2.0/fr compilé le 11 octobre 2012 DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT - 2.1. Introduction à la sémantique vériconditionnelle 37 peut voir le sens comme une construction linguistique 5, c’est-à-dire la fonction in- tellectuelle qui permet d’appréhender un objet du monde à partir d’une expression. Adoptons cette définition. Définition 2.2 (Sens) Le sens d’une expression est ce qui nous permet de connaître la dénotation de cette expression. Le sens n’est donc pas la dénotation, mais il est défini à partir d’elle. On peut le voir comme une sorte de mécanisme d’attribution d’objets à des expressions de la langue. Cela peut paraître un peu abstrait de prime abord (mais après tout, le sens est une notion relativement abstraite), mais nous verrons au fil des pages de ce manuel (jusqu’au chapitre 4) que la définition de Frege est suffisante pour développer notre théorie sémantique et pour recevoir une formalisation précise. Voici une autre paire d’expressions qui ont la même dénotation mais des sens différents : « le vainqueur d’Iéna » et « le vaincu de Waterloo » 6. Ici la différence de sens ne réside pas dans l’éventuel contraste de connotations « affectives » ou appréciatives qui pourraient venir se greffer sur les mots vainqueur et vaincu. Les sens de ces deux groupes nominaux diffèrent car pour en connaître les dénota- tions, il faut être au fait, d’une part, de l’issue de la bataille d’Iéna, savoir qui l’a remportée (et donc savoir ce qui signifie vainqueur), et d’autre part, savoir qui a perdu la bataille de Waterloo (en sachant donc ce que signifie vaincu). Il se trouve que dans les deux cas, la réponse est Napoléon, qui est la dénotation commune des deux expressions, mais on voit bien qu’on y a accédé par deux cheminements (c’est-à-dire deux sens) distincts. Frege souligne que différentes expressions de la langue peuvent avoir le même sens (la somme de 1 et 3 et la somme de 3 et 1 7), que des expressions de sens distincts peuvent avoir la même dénotation (par exemple l’étoile du matin et l’étoile du soir), et des expressions peuvent avoir un sens mais pas de dénotation (par exemple on peut concevoir le sens de la suite qui converge le moins rapidement bien qu’elle n’existe pas ; de même pour le plus grand nombre premier ou un cercle carré ; et c’est précisément parce que l’on perçoit leurs sens que l’on sait que ces expressions n’ont pas de dénotation). Référence et référent Avant de poursuivre, ouvrons une petite parenthèse termi- nologique et notionnelle qui pourra s’avérer utile par la suite. Le terme de référence 5. Frege insiste sur la distinction entre le sens et la représentation mentale (et donc subjective) que le locuteur peut se faire d’un objet. Le sens est conventionnel, consensuel dans la mesure où il est ancré au code de la langue. 6. Exemple tiré de Lyons (1977), qui l’emprunte à Husserl. 7. Cet exemple est loin d’être trivial. On le sait, une simple modification de l’ordre des mots peut avoir des répercussions sémantiques non négligeables, y compris dans les expressions qui parlent d’opérations mathématiques. Comparez le produit de 3 par 2 vs. le produit de 2 par 3 avec la division de 3 par 2 vs. la division de 2 par 3. CC ⃝ by-nc-nd/2.0/fr compilé le 11 octobre 2012 DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT -- DRAFT - 38 Chapitre 2. Sémantique vériconditionnelle et calcul des prédicats est souvent employé comme synonyme de dénotation, et ce en vertu de la définition qu’on lui assigne couramment. En effet on appelle référence la uploads/s3/ semantique-vericonditionnelle.pdf

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