NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE ... C harlie Hebdo, le mili- tant du rire san
NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE ... C harlie Hebdo, le mili- tant du rire sans limites avait ses adeptes, qui l’accueillaient chaque mercredi avec jubilation. Dans les salles de rédaction, ils s’en emparaient, pour se bidonner. D’autres, beau- coup plus nombreux, jetaient un coup d’œil distrait ou bien délais- saient carrément l’hebdo. Le rire sarcastique de Charlie demeu- rait sans pareil. Cependant, dans l’art de la déglingue systémati- que, avec le Web et le tweet, il se heurtait à une concurrence qui occupait l’espace en permanen- ce. Charlie était de moins en moins lu. Mais l’assassinat a gran- di ses dessinateurs – journalistes. Dès la connaissance du massa- cre, le chagrin et l’élan de solida- rité ont dépassé les limites de no- tre métier. Les sourires de Wolins- ki et de Cabu, à l’éternel visage d’ado, étaient connus de tous. Ils accentuaient l’impact de la tue- rie. La sauvagerie de la situation apparaissait dans sa monstruosi- té. Les balles des tueurs avaient abattu des hommes et des fem- mes qui dessinaient. Charlie vou- lait, "dénoncer la connerie". Il n’était pas possible de laisser les cons remporter la victoire. Char- lie continuera à paraître. Et dans le monde entier a retenti le cri "Je suis Charlie". L’histoire de Charlie Hebdo est chaotique. Il est le fruit d’amitiés et de discordes. Il s’est d’abord appelé Hara Kiri. Il a ces- sé de paraître, puis a reparu. Cin- quante ans d’histoire émaillés, comme chacune des conféren- ces de rédaction du mercredi, par des engueulades et des récon- ciliations, le tout guidé par une exigence constante : le refus de la moindre limite à la liberté, le droit de rire de tout. Journal à part — la satire n’est pas de l’info, c’est un édito, une opinion — Charlie Hebdo ne faisait pas l’unanimité dans les rangs de la presse, loin s’en faut. Pour ma part, je n’ai jamais apprécié le re- cours à la représentation de la so- domie pour caricaturer Maho- met ou la Sainte Trinité des chré- tiens. Il me semble y voir l’expression d’un humour gros- sier qui attente à l’intime des autres, de l’humour beauf que Cabu, préci- sément, ne cessait de dénoncer. Mais du moins, avais-je le droit de le dire. Ma désap- probation, je pouvais la manifester par le refus d’acheter. Il ne me serait pas venu à l’idée de deman- der d’interdire les caricatu- res. L’équipe de Charlie Hebdo est habitée par la tournure d’esprit anarcho – libertaire qui bouscule toutes les hiérarchies et bouffe de la religion au moindre prétexte. Elle ne tolère aucune li- mite, sauf celles tracées par les tribunaux, à son rire caustique et corrosif. C’est bien son droit. Je n’apprécie pas tout ce qu’elle pu- blie, loin s’en faut. Mais je l’admire. Car tous, ceux qui ont été assassinés bien sûr, mais les vivants aussi, ont assumé en plei- ne conscience le risque de la mort pour la défense de leurs principes. Ils en riaient. Parce que c’était leur façon d’être. Ce qui ne veut pas dire qu’ils en ignoraient les conséquences pos- sibles. Leurs dessins ne lançaient pas des appels à la haine, encore moins à la violence. En déstabili- sant, ils espéraient faire réfléchir. P a c i f i q u e m e n t . À c o u r t d’arguments, des tueurs se sont saisis d’armes de guerre pour les faire taire. Ils ont échoué. La tra- gédie nous a remis en tête l’importance de l’outrance, incar- née par Charlie. La provocation 17 morts, 66 millions de blessés. La France la peur au ventre pendant trois jours et debout le quatrième. Avec son hashtag devenu cocarde, son florilège de symboles et sa foison de jeux de mots dressés contre les maux. Mais que reste- ra-t-il de tout cela dans une semaine, un mois, un an, avec cette actualité schi- zophrène et un monde qui perd halei- ne? Des questions. Sur l’ordre du mon- de, justement, les carences de notre ar- senal contre la terreur, le sens de la reli- gion, la folie des hommes. Des certitu- des surtout. Que la liberté d’expression est bien une valeur indestructible. Que la presse, Charlie et les autres, en porte par essence la part la plus lisible. Que cette liberté-là est le socle de nos socié- tés et qu’elle peut, encore, faire lever d’incroyables foules. Mais le temps n’est plus à se rassurer. Il est à convertir l’émotion en intention, l’attitude en ha- bitude et tout ce que le drame a nourri d’inspirations en actions. La Provence -la rédaction et l’ensemble de ses salariés, nos diffu- seurs aussi-, a décidé à travers cette édi- tion spéciale de laisser un témoignage au-delà de son rythme quotidien. Com- me vous qui avez été traversés par cet ir- répressible besoin de "faire quelque cho- se", jusqu’à allumer des bougies en plein jour. Ne sachant pas dessiner, nous avons donc écrit aux auteurs du festival de BD d’Aix pour leur demander s’ils souhaitaient, dans nos colonnes, rendre hommage à Charlie. 50 cour- riels. 50 réponses. Ceux à qui nous n’avions pas pensé se sont manifestés. Même unanimité de réponse de la part du festival des caricaturistes de Mar- seille qui a mobilisé, lui, des auteurs du monde entier. Des anonymes ont aussi glissé leurs témoignages sur nos boîtes mail ou à l’accueil du journal. Le dessein par le dessin, c’est ce qui nous a motivés à les compiler dans ce numéro. Pour lui donner plus de chair et de sens, nous y avons joint les images de la mobilisation dans toute la région. Et essentiellement des visages pour in- carner la colère et la solidarité des gens de Provence. Comme on poserait un en- gagement et une garantie sur l’après. Avec votre complicité de lecteurs, les recettes seront reversées à nos confrè- res de Charlie Hebdo, complétées par la collecte spontanée organisée par notre comité d’entreprise. Nous espérons ain- si faire œuvre utile sur la forme et dans l’instant mais surtout sur le fond et pour l’avenir ; militer avec ce numéro pour que le 7 janvier 2015 ne soit plus jamais une journée de vœux comme les autres mais l’expression du "je veux" posé par toute une nation face à la barbarie. Alors peut-être pourra-t-on vérifier si "les époques dégueulasses sont propices aux chefs-d’œuvre". Celui de réussir à vi- vre ensemble surtout. La phrase est de Wolinski. Jean-Michel MARCOUL #A dessein... P L’économiste Bernard Maris dit "Oncle Bernard", les dessinateurs Philippe Honoré dit "Honoré", Georges Wolinski, Stéphane Charbonnier dit "Charb", Jean Cabut dit "Cabu", Bernard Verlhac dit "Tignous". Par Olivier Mazerolle ... L'outrance est provocation. Celle-ci peut indigner. Mais, pour un journaliste, elle est une remise en question. Piqûre de l'esprit, el- le bouscule le confort routinier. El- le traque l'autocensure, la plus pernicieuse de toutes, tapie dans le cerveau de chacun. La provoca- tion n'est pas un appel à la suivre. Mais elle contraint à se poser la question du pourquoi des limites que l'on met à ses écrits. Se res- treint-on par conviction, ou par peur de déplaire? Plus ou moins lâche. Question qui devrait han- ter la conscience de celui qui prend la plume ou le micro. La consternation, l'émotion, la solidarité planétaires qui se sont manifestées après l'attentat de la rue Appert ont répondu à un 11 septembre culturel. Les journa- listes de Charlie Hebdo ne sont pas les premiers à être tombés, victimes de dictatures et de l'into- lérance islamique. Mais cette fois-ci, l'attentat contre la li- berté de penser, de dire et d'écrire, a été perpé- tré à Paris. La capitale de la France qui reste dans le monde, mal- gré ses imperfec- tions, le pays de la li- berté et des droits de l'Homme. Le pays des Lumières et de Voltaire, le pionnier, qui écrivait: "La poli- tique est impuis- sante contre le fa- natisme. La seule arme contre ce monstre, c'est la raison. La seule manière d'em- pêcher les hommes d'être absurdes et méchants, c'est de les éclairer." * Parce que la mort a été implantée à Paris, tous ceux qui luttent avec un courage inouï dans des pays entravés ont compris qu'il s'agis- sait, cette fois, d'une attaque uni- verselle contre la liberté. Fidèles à eux-mêmes, ils ont eu le cran de le dire et de l'écrire. Parce que ce- la s'est produit à Paris, dans une Amérique très attachée au fait reli- gieux et souvent hermétique à la laïcité à la française, les journalis- tes, s'ils se sont divisés sur l'oppor- tunité de publier les caricatures de Mahomet, n'ont pas hésité un instant à manifester leur solidari- té. Comme l'a écrit en Gran- de-Bretagne le Guar- dian, si l'on n'est pas obligé d'adhérer à une ligne éditoriale, le droit à pu- blier est inaliénable. Le 11 janvier, on a marché derrière des chefs d'État et de gou- vernement, on a chanté la Mar- seillaise, on a applaudi les poli- ciers, on a cherché à parler les uns avec les uploads/s3/ supplement-charlie-hebdo-15-01-2015.pdf
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- Publié le Dec 01, 2022
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