A paraître en 2003 dans Langages, Paris!: Larousse. 1 Supplétion et classes fle
A paraître en 2003 dans Langages, Paris!: Larousse. 1 Supplétion et classes flexionnelles dans la conjugaison du français* Olivier Bonami Gilles Boyé Université Rennes 2 & UMR 7110 (LLF) olivier.bonami@uhb.fr Université Nancy 2 & UMR 7118 (ATILF) gilles.boye@univ-nancy2.fr Cet article présente une analyse de la conjugaison du français qui donne un rôle central à la notion de régularité. Après une mise en place de la problématique adoptée, nous proposons une analyse détaillée des phénomènes de supplétion dans la conjugaison du français. L'analyse est basée sur un réseau de relations de dépendance entre les différents thèmes d'un lexème verbal. Nous évaluons ensuite la pertinence de la notion de classe flexionnelle dans la description de la conjugaison du français. Nous montrons que là aussi la question de la régularité est cruciale!: la distinction de classes flexionnelles n’est réellement pertinente que pour distinguer des classes de verbes réguliers. Dans la mesure où les données sur la régularité supposée des verbes du 2e groupe sont insuffisantes pour trancher, la nécessité de classes flexionnelles dans la conjugaison du français n’est pas établie. 1 Problématique 1.1 Deux sources de complexité dans la flexion Nous adoptons le vocabulaire suivant, largement emprunté à Matthews!(1974). Dans les catégories syntaxiques qui connaissent la flexion, les mots concrets (par exemple!: petit, petite) qui apparraissent dans les énoncés s’organisent en familles d’instances d’un même objet lexical abstrait, un lexème (ex!: PETIT). Chaque mot qui instancie un lexème remplit une case du paradigme de ce lexème (par exemple!: petit remplit la case Masculin-Singulier de PETIT)!; il est désigné comme la forme fléchie de ce lexème remplissant cette case. Chaque case du paradigme d’un lexème exprime, en plus de l’identité du lexème, un paquet de propriétés morphosyntaxiques qui la caractérise (par exemple!: petit exprime le paquet [GENRE masc, NOMBRE sing]). En première analyse, tous les lexèmes appartenant à la même catégorie admettent la même structure de paradigme. Ces définitions étant admises, la question centrale sur la flexion est de savoir comment chaque forme fléchie est obtenue sur la base de l’information lexicale associée à son lexème. (1) est une réponse relativement naïve à cette question. (1) Pour chaque case c du paradigme de la catégorie g, il existe une unique fonction fc telle que pour tout lexème L de catégorie g, la case c du paradigme de L s’obtient en appliquant fc à l’unique représentation phonologique associée à L. * L’analyse de la conjugaison du français présentée dans la section 2 a fait l’objet de présentations au GDR de Morphologie (GDR 2220), au colloque HPSG 2001 (Trondheim), ainsi que dans des séminaires des Universités de Bilbao, Nancy 2, Paris 7, Paris 8, Paris 10, Reims, et au LEAPLE (CNRS UMR 8606). Nous remercions les auditoires de ces présentations pour leurs commentaires et suggestions, et spécialement A.!Abeillé, D.!Apothéloz, P.!Cabredo Hofherr, B.!Fradin, D.!Godard, F.!Kerleroux, J.-P.!Kœnig, J.!Lowenstamm, J.- M.!Marandin, P.!Monachesi, Y.-C.!Morin, M.!Plénat, I.!A.!Sag, J.!Tseng et F.!Villoing. Enfin, merci à P.!Bonami pour son assistance mathématique. 2 (1) ne prend pas parti quant à la nature de l’opération mise en jeu dans la construction de la forme fléchie!: elle laisse la possibilité que fc soit une opération concaténative (une affixation) ou non (par exemple, l’altération de la qualité d’une voyelle)1. Par contre elle encode deux hypothèses essentielles sur la forme de la flexion, explicitées en (2). (2) a. Il existe une unique fonction fc permettant de déterminer la forme fléchie occupant la case c pour tous les lexèmes. b. Il existe une unique représentation phonologique associée à chaque lexème, qui sert de base à la formation de toutes les formes fléchies de ce lexème. Il est clair que les systèmes flexionnels des langues naturelles violent régulièrement l’une ou l’autre des hypothèses (2). Les violations de (2a) sont patentes dans les systèmes flexionnels qui font appel à la notion de classe flexionnelle, et dont l’exemple canonique est le système de la déclinaison en latin!: comme le rappelle le tableau 1, ce système viole (2a) puisque la manière de remplir une case du paradigme d’un lexème varie suivant l’appartenance de ce lexème à telle ou telle déclinaison. II IIIa IIIb IV NOM. bell-um corpus mar-e corn-u VOC. bell-um corpus mar-e corn-u ACC. bell-um corpus mar-e corn-u GEN. bell-i corpor-is mar-is corn-us DAT. bell-o corpor-i mar-i corn-ui ABL. bell-o corpor-e mar-i corn-u TAB. 1 — Portion des déclinaisons des noms du latin (NEUTRE SG) Les phénomènes de supplétion sont des violations claires de (2b). La flexion des noms en français donne un exemple simple!: le pluriel des lexèmes BOUCHE et OEIL manifestent l’application d’une même fonction fpluriel (qui suffixe un z latent)!; (2a) est donc respecté. Cependant la particularité de OEIL est que la représentation phonologique associée au lexème utilisée au singulier est distincte de celle qui est utilisée au pluriel (alors qu’une même représentation est utilisée pour la plupart des noms). BOUCHE MAIN OEIL SING. buS mE) øj PLUR. buS(z) mE)(z) jO(z) TAB. 2 — Portion de la flexion des noms du français Ce type d’alternance peut être décrit en postulant l’existence de plusieurs formes phonologiques associées à un même lexème!; nous désignerons chacune de ces représentations comme un des thèmes2 du lexème. Les phénomènes de classe flexionnelle et les phénomènes de supplétion sont deux sources de complexité indépendantes, qui méritent la même attention. La prise en compte simultanée 1 (1) se comprend naturellement comme une famille de règles de réalisation (Zwicky, 1985)!: pour chaque paquet de propriétés morphosyntaxiques, (1) spécifie comment ce paquet de propriétés se réalise. 2 Le choix de thème plutôt que radical n’a pas de motivation profonde. 3 des deux phénomènes est essentielle!: dans de nombreux cas, une différence entre deux lexèmes peut être attribuée soit à leur appartenance à des classes flexionnelles différentes, soit à l’existence d’une supplétion pour l’un ou l’autre. En ce qui concerne la conjugaison en français, l’accent a très longtemps été mis sur l’analyse des paradigmes de conjugaison en termes de classes flexionnelles. Cette orientation est explicite dans le classement traditionnel en trois conjugaisons!; elle est reprise, quoi que sous d’autres formes, par des travaux contemporains comme Plénat!(1987), Swiggers & Van den Eynde!(1987), ou Paradis & El Fenne!(1995). Boyé!(2000), à la suite de Morin!(1987) et Fradin!(1993), prend le contrepoint de cette tradition en présentant une analyse de la conjugaison qui nie par hypothèse l’existence des classes flexionnelles, et fait un usage massif de la supplétion3. Dans cet article, nous soutenons qu’il est inutile de postuler des classes flexionnelles dans l’analyse de la conjugaison du français. Notre argumentation consiste à proposer une analyse des cas relevant indiscutablement de la supplétion, puis à montrer que les phénomènes qui pourraient amener à supposer des classes flexionnelles s’analysent plus naturellement à l’aide d’autres outils. Pour les besoins de l’argumentation, nous devons laisser de côté dans un premier temps les zones de la conjugaison pour lesquelles l’hypothèse de classes flexionnelles est attirante. Nous laissons donc de côté, dans la section 2, six des temps du français!: l’INFINITIF, le PARTICIPE PASSE, le PASSE SIMPLE, l’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF, le FUTUR et le CONDITIONNEL. Nous reviendrons sur temps cas dans la section 3. 1.2 Deux visions de l’irrégularité flexionnelle Les phénomènes de supplétion sont clairement des phénomènes d’irrégularité flexionnelle!: un verbe qui possède des formes supplétives est un verbe irrégulier4. A ce titre, il est essentiel pour notre propos d’avoir une position claire sur les irrégularités de flexion. Trois positions majeures se rencontrent dans la littérature à propos des irrégularités de flexion. La première position, tient que toutes les irrégularités ne sont qu’apparentes, et doivent être réduites par la phonologie. Cette position est illustrée magistralement par les analyses morphophonologiques dans la tradition de Chomsky et Halle!(1968), et reste une tendance importante dans beaucoup de travaux sur la flexion — voir par exemple Ségéral et Scheer!(1998) sur l’allemand. La seconde position consiste à reconnaître les irrégularités comme telles, mais à se baser sur un critère purement formel pour identifier les lexèmes irréguliers!: un lexème est irrégulier si on ne voit pas comment formuler les règles de flexion de manière à ce qu’elles dérivent certaines des formes de ce lexème. Cette position est tenue plus ou moins explicitement dans un grand nombre de travaux contemporains, et en particulier à propos de la conjugaison en français, dans Plénat!(1987) ou Paradis et El Fenne!(1995)5. La troisième position reconnaît également les irrégularités comme telles, mais se base sur un critère externe: un lexème est irrégulier si les locuteurs manifestent un comportement à 3 L’analyse de Fradin diffère de celles de Morin et Boyé sur un point important!: dans l’analyse de Fradin, la sélection des formes supplétives est intégrée à un système global de règles morphophonologiques, alors que dans celles de Morin et de Boyé, elle est gérée localement par les entrées lexicales des verbes. 4 Nous laissons ouverte la question de savoir si la supplétion est la seule source d’irrégularité!; dans cet article, toutes les irrégularités considérées sont dues à des supplétions ou des défections. 5 Paradis et El Fenne!(1995) déclarent à plusieurs reprises que les verbes réguliers sont les verbes non- supplétifs et non-défectifs, uploads/s3/ suppletion-et-classes-flexionnelles-dans-la-conjugaison-du-francais 1 .pdf
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- Publié le Mai 18, 2021
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