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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=CJ&ID_NUMPUBLIE=CJ_163&ID_ARTICLE=CJ_163_0033 Entre science et culture. L’Encyclopédie française dans l’Œuvre de Lucien Febvre par Bertrand MULLER | Société d’études jaurésiennes | Cahiers Jaurès 2002/1-2 - N° 163-164 ISSN 1268-5399 | pages 33 à 63 Pour citer cet article : — Muller B., Entre science et culture. L’Encyclopédie française dans l’Œuvre de Lucien Febvre, Cahiers Jaurès 2002/1- 2, N° 163-164, p. 33-63. Distribution électronique Cairn pour Société d’études jaurésiennes. © Société d’études jaurésiennes. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. à Jean-François Bergier « Certes, 10 000 pages et 65 millions de caractères pour tant de matières et de problèmes : peu de chose évidemment 1. » LUCIEN FEBVRE. L’Outillage mental. Le maître-ouvrier, si, au lieu de faire lui-même toute la montre, et d’abord de construire ses outils, et ensuite de fabriquer ses pièces, et finalement de les ajuster et de les faire fonctionner – s’il se contentait du dernier rôle, si, ayant choisi pour des raisons valables un sujet d’étude, l’ayant délimité avec soin, ayant marqué ce qu’avant tout il importait d’arriver à établir, à préciser et à fixer sans cause d’erreur et en quelque sorte définitivement, il organisait les recherches d’une équipe ; si, se réservant le rôle, entre tous difficile, de dresser les questionnaires préa- lables, de rapprocher les réponses fournies, d’en dégager les éléments de solution, d’ordonner des suppléments d’enquête et, surtout, de marquer les rapports du problème posé avec l’ensemble des problèmes historiques qui préoccupent les contemporains ; s’il parvenait, par cette voie longue – beaucoup plus courte finalement que les vieux chemins sinueux d’au- trefois – à faire enfin de l’Histoire une « Science de problèmes » son rôle, je le crois, serait singulièrement plus grand et plus en vue que celui d’un simple fabricant de livres « personnels » ; et nul sans doute ne se deman- derait plus si l’Histoire est une science, ou bien un art 2. Peut-être à mon propos convenait-il de fixer d’emblée une tonalité singulière. L’intention paraît bien de situer l’entreprise encyclopédique dans un cursus intellectuel, une trajectoire scientifique, un parcours de vie : ainsi, le titre annonce une promesse, celle d’un rétablissement, le comblement d’une lacune : dans la plupart des travaux, rares, il est vrai, consacrés à L. Febvre, l’Encyclopédie française fait figure absente, elle demeure comme le blanc de l’œuvre 3. Tout se passe comme si précisé- ment, entreprise plurielle, irréductible à la signature singulière, elle ne pouvait elle-même se concevoir sous le sceau de l’œuvre. Parlerait-on 33 BERTRAND MULLER Entre science et culture L’Encyclopédie française dans l’Œuvre de Lucien Febvre d’œuvre encyclopédique, qu’alors sans doute le terme ne désignerait pas le livre, mais autre chose, une action, une marque comme l’on parle d’œuvre civilisatrice. L. Febvre voulait une « œuvre vivante et mobile » qui « pensera l’humanité vivante et agissante ». Mais précisément cette aporie ne nous autorise-t-elle pas à questionner la notion même d’œuvre ? Qu’est-ce qu’une œuvre ? qu’est-ce que l’œuvre d’un histo- rien ? qu’est-ce que l’œuvre de Lucien Febvre ? L’œuvre suppose sans doute outre la signature, l’idée d’une cohérence, d’une singularité, d’une élaboration dans la durée. Gérard Leclerc rappelait que « L’œuvre textuelle est un projet individuel autonome, indépendant de la tradition culturelle, conçu par un sujet qui se veut porteur de capacités créatrices propres. Elle suppose un programme visant à construire une totalité symbolique (esthétique et/ou signifiante), et menée à bien, du début à la fin, par celui qui en a conçu le projet initial 4. » Mais quelle œuvre pourrait ainsi se définir avec autant de vanité, car, en fait, n’est-ce pas la mort qui tranche ? Et encore ! N’est-ce pas la mort qui clôt et constitue l’œuvre a posteriori en fondant rétrospectivement le projet ? Je ne suivrai pas G. Leclerc et je ne chercherai pas à intégrer dans une cohérence problématique une entreprise qui s’y dérobe et qui en illustre plutôt les limites et la dispersion. L’œuvre encyclopédique, dans cette perspective, n’est pas l’autre de l’œuvre de Febvre ; elle en est, à l’inverse, la véritable mais inattendue effectuation. Elle permet en effet d’interroger d’une autre manière ce qui, en fait, s’est organisé dans son travail, ce qui s’est élaboré, ce qui s’est finalement développé « virtuel- lement », je veux dire l’œuvre elle-même. L’idée de l’œuvre fondée sur des livres, du moins des textes, organisée par un projet intellectuel n’a pas eu véritablement de consistance chez L. Febvre. Ou plus exacte- ment, c’est une intention qui n’a pas eu d’avenir. En prêtant attention non seulement aux livres publiés, mais aussi aux desseins inachevés ou demeurés dans leur potentialité, on pourrait retrouver des traces plus ou moins consistantes de plusieurs projets dont le plus important demeure l’histoire religieuse du XVIe siècle, autour de laquelle ont convergé de nombreuses recherches, mais aussi finalement une grande partie des livres de L. Febvre, sans jamais trouver pourtant un point d’achèvement dans le grand livre projeté précisément sur ce sujet. Mais à côté du travail encyclopédique, qui jalonne ses publications à partir de 1933 jusque dans les années 1950, prolifère une autre caté- gorie textuelle elle aussi généralement soustraite de la catégorie de l’œuvre : les comptes rendus 5. Inutile d’insister : travail encyclopé- L U C I E N F E B V R E E T L ’ E N C Y C L O P É D I E F R A N Ç A I S E 34 dique, travail critique témoignent des limites d’une classification tradi- tionnelle essentiellement littéraire des œuvres qui élit d’abord le livre et l’ensemble des livres comme espace et clôture de l’œuvre. Michel Foucault liait la notion d’œuvre à celle d’auteur et pour lui « œuvre » et « auteur » constituaient des principes de limitation du dis- cours 6. À s’en tenir à cette définition, le travail encyclopédique échappe encore à cette désignation. Car l’Encyclopédie ne peut être attribuée au seul directeur général que fut Lucien Febvre. Impossible d’ignorer ni de masquer le rôle de son initiateur et fondateur, Anatole de Monzie qui en lança l’idée. Il en formula le projet alors qu’il était encore ministre de l’Éducation nationale, en prenant soin pourtant de ne pas le subordonner aux contraintes politiques. Bien qu’indépen- dante de l’État, fondée sous le statut de Fondation d’utilité publique – à la différence d’autres projets développés au même moment ailleurs, l’Encyclopédie ne pouvait s’affranchir complètement de sa tutelle ministérielle et administrative. Elle cristallisa la perception du projet dans certains milieux et aiguisa également les polémiques. Mais il ne m’appartient pas de développer ici cette dimension politique. Febvre partageait également la direction de l’ensemble avec les responsables des volumes qu’il avait sollicités. Si la conception d’ensemble du projet lui revenait, l’organisation de chacun des volumes et son contenu demeuraient une prérogative du directeur du volume qui soumettait son plan au Comité de l’Encyclopédie. De son activité encyclopédique, les traces textuelles demeurent pourtant nombreuses. Febvre n’a pas seulement été directeur d’une entreprise intellectuelle, il en a été aussi l’un des auteurs. C’est le 31 juillet 1932 lors du VIe Congrès international de la Ligue internationale de l’éducation nouvelle qu’Anatole de Monzie, à la tête d’un ministère qu’il venait de rebaptiser ministère de l’Éducation natio- nale, annonçait publiquement son intention de lancer la réalisation d’une Encyclopédie française 7. C’est Julien Cain qui propose L. Febvre comme l’un des responsables possibles du projet 8 ; celui-ci est convo- qué au ministère à la fin du mois d’octobre. Il est encore à ce moment-là professeur d’histoire moderne à Strasbourg, mais, candidat au Collège de France depuis 1928, il y est élu le 13 novembre 1932. Le surlende- main, se tient à la Sorbonne la première réunion d’une commission chargée de fixer la forme institutionnelle et juridique de l’organisation qui sera en charge de réaliser l’Encyclopédie. Au printemps 1933, le Conseil d’État avalise la création du Comité de l’Encyclopédie et de la B . M U L L E R : E N T R E S C I E N C E E T C U L T U R E 35 Société de gestion qui confère à l’Encyclopédie son autonomie par rapport à l’État sous la forme d’une Fondation. Cette situation juri- dique n’est pas sans importance : A. de Monzie avait dans un premier temps imaginé de faire de l’Encyclopédie une entreprise gouvernemen- tale à l’instar des autres projets en cours dans le monde, mais avait opté – sage uploads/s3/ b-muller-l-x27-encyclopedie-francaise-dans-l-x27-oeuvre-de-febvre.pdf

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