CHAPITRE XXVII La notion de (( rythme » dans son expression linguish'que 1 Ce p
CHAPITRE XXVII La notion de (( rythme » dans son expression linguish'que 1 Ce pourrait être la tAche d'une psychologie des mouvements et des gestes d'étudier parallèlement les tennes qui les dénotent et les psychismes qu'ils commandent, le sens inhérent aux tennes et les représentations souvent très différentes qu'ils éveillent. La notion de " rythme Il est de celles qui intéressent une large portion des activités humaines. Peut-être même servirait-elle à caractériser distinctivement les comportements humains, individuels et collectifs, dans la mesure où nous prenons conscience des durées et des sucœasions qui les règlent, et aussi quand, par-delà l'ordre humain, nous projetons un rythme dans les choses et dans les événements, Cette vaste unification de l'homme et de la nature sous une considération de" temps Il, d'intervalles et de retours pareils, a eu pour condition l'emploi du mot même, la généra- lisation, dans le vocabulaire de la pensée occidentale moderne, du terme rythme qui, à travers le latin, nous vient du grec. En grec même, où ~u6!L6C; désigne en effet le rythme, d'où dérive la notion et que signifie-t-elle proprement? La réponse est donnée identiquement par tous les dictionnaires : ~u6!L6, est l'abstrait de ~&iv, " couler 1), le sens du mot, dit Boisacq, ayant été emprunté aux mouvements réguliers des flots, C'est là ce qu'on enseignait voici ,Plus d'un siècle, aux débuts dela grammaire comparée, et c est ce qu'on répète encore. Et quoi, en effet, de plus simple et de plus satisfaisant?' L'homme a appris de la nature les principes des choses, le mouvement des flots a (ait naitre dans son esprit l'idée de rythme, et cette découverte primordiale est inscrite dans le terme même. Il n'y a pas de difficulté morphologique à rattacher ~u61L6C; ~l(i), par une dérivation dont nous aurons à considérer le détail. Mais la liaison sémantique qu'on établit entre ~ rythme» et u couler Il par l'intermédiaire du u mouvement régulier des flots JI se révèle comme impossible au premier examen. Il suffit d'observer que ~~lJl et tous ses dérivés nominaux (~EÜ!U', ~o~, ~6o.;, ~u~, ~U'r6.;, etc.) indiquent exclusivement la notion de c couler ll, mais que la mer ne «coule II pas. J am.ais ~tiv ne se dit de la mer, et d'ailleurs jamais ~u61l6~ n'est employé pour le mouvement des flots. Ce sont des termes tout autres qui dépeignent ce mouvement : !V-1tliJ'rLC;, ~rz;JJtl., 1tÀljjLupL.;, aClÙ6"v. Inversement, ce qui coule (~I'i:), c'est le fleuve, la rivière; or, un courant d'eau n'a pas de «rythme D. Si ~UeIl6~ signifie q flux, écoulement D, on ne voit pas comment il aurait pris la valeur propre au mot <1 rythme D. Il y a contra- diction entre le sens de ~e'i:v et celui de ~u6116ç, et l'on ne se tire pas de difficulté en imaginant - ce qui est pure inven- tion - que ~u61l6ç a pu décrire le mouvement des flots. Bien mieux : ~u6116.;, dans ses plus anciens emplois, ne se dit pas de l'eau qui coule, et il ne signifie même pas « rythme Il. Toute cette' interprétation repose sur des données inexactes. Il faut bien, pour restaurer une histoire qui a été moins simple, et qui est aussi plus instructive, commencer par fonder la signification authentique du mot ~u61l6.;, et en décrire l'emploi dans ses débuts, qui remontent haut. Il est absent des poèmes homériques. On le trouve surtout chez les auteurs ioniens et dans la poésie lyrique et tragique, puis dans la prose attique, surtout chez les philosophes 1. C'est dans le vocabulaire de l'ancienne philosophie ionienne que nous saisissons la valeur spécifique de ~u6!L6ç, et tout particulièrement chez les créateurs de l'atomisme, 'Leucippe et Démocrite. Ces philosophes ont fait de ~UeIl6~ (~ua!L6ç) a. un terme technique, un des mots clés de leur doctrine, et Aristote, grâce à qui nous sont parvenues plusieurs citations de Démocrite, nous en a transmis la signification exacte. Selon lui, les relations fondamentales entre les corps s'établis- sent par leurs différences mutuelles, et ces différences se ramènent à trois, pua!L6.;, 8tct6tyl), 'l'po'lt'lj, qu'Aristote inter- prète ainsi : 8ta:ip~petv ,\,,xp ipQtat 'l'b ~v puajLéji xctl 8ta.6trij )(a:~ 1. Le Diction1lL1Îre de LiddeU-Scott-Jones, $. v. ~uef'6c, fournit la plupart des références qui oni été utilisées. Mais les diHérentes acceptions de ~uel'6c y IKInt tBDgées à peu près au hasard, en procé- dant du 8e08 de c rythme " et 8IIIlB qu'on discerne le prinCIpe du classement. 2. Entre ~uef'6c et puaf'6c, la diHérence est seulement dialectale; c'esi ~uaf'6c qui p~domine en ionien. Il y a bien d'autres exemple. de la coexistence de -6110C; et -O}LQÇ ; d. dor. ''l'1IIlf'6I;, homo a.c,1'6C;; ~Œa(L6G et ~cw~, etc. ~ et cu/m" TpOttij • -rou-r(,}" 11 0 ph 6uajLbt; CIl'ip,œ 4m\~1 '1) ~l ~~8Ln TcîtLÇ, '1) al 'Tpom, aiavo. {! '.LeS choses ditIèrent par le ~uall6ç, l'ar la a~aLrilt par la TpO~; le ~uajL6t; est le ox1i1'O' (CI fonne II); la a~aLrIJ (<< contact ») est la 'T«~,t; (a ordre D), et la 'Tpo7t'l) (a tournure II) est la 8iaLÇ, a position» (Mltaph., 985 b 4). Il ressort de (le texte important que ~uap.6c; signifie CIl'ii1J4 Il fonne ll, ce qu'Aristote confirme, dana la suite (le ce ~age, par un exemple qu'U emprunte il Leucippe. n illustre c:es trois notions en les appliquant respectivement il la a fonne D, à l' a ordre ]) et à la Il position 1) des lettres de l'al~ha bet 1: A diffère de N par le CIl'iiIlŒ (ou ~uap.6t;), AN diffère de NA par la 'T«~,t;, et l diffère de H par la aient;. Retenons de cette citation que ~uajL6t; a pour équivalent axlillIX. Entre A et N, la ditIérence est en effet de « fonne D ou de CI configuration l) : deux jambages sont identiques, A, le troisième seul ditIère, étant intérieur dans A et extérieur dans N. Et c'est bien au sens de CI fonne D que Démocrite 80 sert toujours de ~uOjL6t; a. Il avait écrit un traité Ibpl 'Tc;)" 8~cpEp6yt(,}" ~ualli1lv. ce qui signifie Il 8ur la variété de fOT1ll4 (des atomes) II. Sa doctrine enseignait que l'eau et l'air ~u6~ 8~œcpep"v, sont différents par la fonne que prennent leut8 atomes constitutifs. Une autre citation de Démocrite montre qu'il appliquait aussi ~ueIl6t; li. la Il fonne l) des institutions : oô8EIl(œ 1l7)X,a.~ 'Ti{l vvv Xa.6Ecn(;);rL ~u6~ jL~ oôx IlSLXEt'V 'TOOe;; &.px,onotc;, a il n'y a pas moyen d empêcher que, dans la ffJr7M (de constitution) actuelle, les gouvernants ne commettent d'injustice ll. C'est du même sens que procèdent les verbes ~uallÜl, !L&Tœppua.w, IlETIXppuajL(~(,}. (! fonner " ou a transfor~ mer ", au physique ou au moral: «vG1]jLO'l/tC;; ~UajLoüVTœL 'Toie;; T'ijt; .rox(7)t; xép8ecn". 01 8È T(;)" 'TOLc;)"Se 8œl)p.owt; 'TO tt; '"le; aocp(7)t;, Il les sots se fomumt par les gains du hasard, mlll8 ceux qui savent (ce que valent) ces gains, par ceux de la sagesse D; ~ 8\aczx.~ !L&TIXpuajLo~ Tb" !v6p(a)nov, {! l'enseigne~ ment trœuforme l'homme »; clvœyxYj ... Ta 1Il~ILŒTœ ru:mp~ pue!ll~a6œL, q il faut bien que les ax~IJ4Tœ clUmgent tù ffJr7M (pour passer de l'anguleux au rond) D. Démocrite emploie aussi l'adjectif È'l'CLppUa!lLo~ dont le sens peut maintenant être rectifié; ni u courant, qui se répand D (Bailly) pi \1 adventitious D (Liddell-Scott), mais \1 doté d'une forme l) : È-ren oOBÈV taJlE~ 'l'CEpL oôStv6ç, ill' énlppuajL(7) Wa'TOLaLV -Ij 86~LÇ, {! noua r. Ces obacrvations valent pour la forme des lettres dans les alpha~ bets archaïques, que nous ne pOUVIlnB reproduire ici. Un 1 est en effet un H vertiail. a. Les citations de Démocrite qui suivent pourront êtreretrouvoie. facilement chez Diels-Kranz. Vorsoktatiksr, Il. ne aavona rien authentiquement sur rien, mais chacun tlonne une forme à Ba. croyance !) (= à défaut de science sur rien, chacun 8e fabrique une opinion sur tout~ Il n'y a donc aucune variation, aucune ambiguïté dans la aignificatioJl que Démocrite I18signe l puelLeSç, et qui est toujours 0: fonne li, en entendant par là la forme distinctive. l'arrangement caractéristique des partiea dans un tout. Ce point établi, on n'a aucune peine à le confirmer par la totalité des exemples anciens. Considérons le mot d'abord dans la prose iOIllenne. On le trouve une fois chez Hérodote (V. 58), en même temps que le verbe p.ë:1Uppu6/Ll~Cù, dans un passage particulièrement intéressant parce qu'il traite de la CI fonne li des lettres de l'alphabet: CI (Les Grecs ont emprunté aux Phéniciens les lettres de leur écriture; D) ILETœ aè Xp6vou 1tp06IX(\loV't'o~ &1-'« -r1i 'P(Ù\ln [.tm6«Ao\l xcx1 -roll ~u6!Jlw 't~\I YPIXILp4't'Cù\l, a à mesure que le temps passait, en même temps qu'ils changeaient de langue, les Cadméens changèrent aussi la forme (~uafl.eS~) des camctêres Di ot 1tClfJŒÀCt66vœ~ (''1Cù'nC;) Sr.8lXxn 1tlXpœ ru\l <!loW!X(ù\l 't'Il YPa.[.tILCX't'IX, lLe't'otpp\)elL(acxn'~t; ~Cù\l Ally« I:xP~CùV't'o, fi les Ioniens empruntèrent, par vme d'enseignement, les lettres aux Phéniciens et les employèrent après les avoir quelque peu transformées (ILETotppu6ILtalX\I't'tc;) li. Ce n'est pas un hasard si Hérodote emploie pu6~; pour la oc forme li des lettres à peu près vers la même époque où Leucippe, nous l'avons vu, définissait ce mot en se servant justement du uploads/s3/ benveniste-la-notion-de-rythme.pdf
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- Publié le Mai 15, 2021
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