La Lettre no 14 Institut Mémoires de l’édition contemporaine 2 I 4 10 16 20 22

La Lettre no 14 Institut Mémoires de l’édition contemporaine 2 I 4 10 16 20 22 24 30 I 30 38 40 I 40 42 47 I 47 54 56 58 I 58 60 GISÈLE FREUND, VISAGES D’UNE ŒUVRE Deux frontières, deux fuites Entretien avec Catherine Thieck et Olivier Corpet Événements Le fonds Gisèle Freund à l’IMEC, par Lorraine Audric Témoignage, par Élisabeth Perolini Gisèle Freund, morale de l’image, par André Gunthert Gisèle Freund et Walter Benjamin, par Florent Perrier ARCHIVES Nouveaux fonds Enrichissements RECHERCHE Paroles de chercheurs Coopérations VALORISATION Rencontres Expositions Éditions INFORMATIONS Consulter les archives L’IMEC LA LETTRE DE L’IMEC No 14, AUTOMNE 2011 Le bon portrait est celui où l’on retrouve la personnalité du sujet et non celle du photographe. Gisèle Freund Une exposition à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, plusieurs publications, une rencontre à l’abbaye d’Ardenne, autant d’événements qui entourent l’arrivée des archives de Gisèle Freund à l’IMEC et marquent le retour de la photographe sur le devant de la scène. La dernière présentation de son œuvre au public datait en effet de l’exposition organisée en 1991 au Centre Pompidou. Cette redécouverte d’une œuvre majeure s’accom- plit grâce aux archives photographiques et littéraires que Gisèle Freund a réussi à préser- ver soigneusement malgré les vicissitudes d’une vie en perpétuel mouvement. Le fonds Mémoire de la création contemporaine l’a reçu en don et en a confié la gestion à l’IMEC. Nous présentons dans ce dossier les manifestations et les publications réalisées autour de l’œuvre de Gisèle Freund et nous donnons la parole aux principaux acteurs de cette renais- sance : Olivier Corpet, directeur de l’IMEC, et Catherine Thieck, directrice de la Galerie de France – commissaires de l’exposition « Gisèle Freund. L’œil frontière. Paris 1933-1940 » ; Élisabeth Perolini et Lorraine Audric qui les ont assistés ; André Gunthert (maître de confé- rence à l’EHESS et directeur du laboratoire d’Histoire visuelle contemporaine) auteur de la pré- face à la réédition de la thèse de Gisèle Freund, ainsi que Florent Perrier, chercheur associé à l’IMEC, qui travaille sur Walter Benjamin et sur Gisèle Freund. I Autoportrait de Gisèle Freund. Détail d’une planche-contact inédite, épreuve argentique noir et blanc. Fonds Gisèle Freund, IMEC / Fonds MCC. 4 GISÈLE FREUND, VISAGES D’UNE ŒUVRE DEUX FRONTIÈRES, DEUX FUITES C atherine Thieck, directrice de la Galerie de France, et Olivier Corpet, directeur de l’IMEC, sont tous deux commissaires de l’exposition « Gisèle Freund. L’œil frontière. Paris 1933-1940 », présentée du 14 octobre 2011 au 29 janvier 2012 à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent. Ils présentent ici les enjeux de cette exposition des portraits d’écrivains réalisés par Gisèle Freund entre deux exils. LA LETTRE DE L’IMEC No 14, AUTOMNE 2011 Il n’y a pas eu, en France, d’exposition consacrée à l’œuvre de Gisèle Freund depuis vingt ans. Quels sont les enjeux de l’exposition L’œil frontière. Paris 1933-1940 que vous proposez aujourd’hui ? Catherine Thieck – Non seulement il n’y a pas eu d’expo si tion depuis celle du Centre Pompidou en 1991, mais il n’y pas eu de livres, pas de monographies, et les anciennes publications sont épuisées. Aujourd’hui, on ne peut tout simplement pas voir les photographies de Gisèle Freund. Il n’y a plus aucun repère pour toute une jeune génération. Elle reste mythiquement la photo- graphe des écrivains, mais les photos se font rares, les livres manquent. Si elle n’est pas montrée, l’œuvre peut disparaître. Il y a véritablement une urgence à montrer les photographies de Gisèle Freund et à faire comprendre son travail, notamment à travers les portraits. Comment pourriez-vous définir son regard ? Olivier Corpet – Gisèle Freund avait lu les œuvres des écrivains qu’elle photographiait. Elle s’adressait non à leur visage, mais à leur écriture. C’est rare. Si les portraits de Gisèle Freund sont si importants, c’est qu’ils racontent la relation très étroite qu’elle entretenait avec la littérature. Ici, le photographe ne s’adresse pas à la physionomie, mais à l’œuvre. En 1939, à La Maison des Amis des Livres d’Adrienne Monnier, elle a projeté les photographies des écrivains et ils étaient tous là. Elle-même raconte que tous étaient ravis des photographies des autres, mais que chacun détestait la sienne. Catherine Thieck – Chacun a en effet trouvé for mi - dables les photos des autres écrivains. Gisèle Freund allait convaincre les écrivains qu’elle voulait photographier en leur montrant les images qu’elle avait prises des autres. Elle est allée convaincre Eliot de poser pour elle en proje- tant les photos qu’elle avait faites de Joyce. Toute sa vie, il était très angoissant pour elle de montrer à un écrivain la photographie qu’elle avait prise de lui. Breton disait en 1939 : « Avec les photos de Gisèle Freund, on a l’impres- sion de tous revenir de la guerre. » C’était prémonitoire… Nadar a raconté la stupeur des gens qui regardent leur propre photographie. Le trouble des écrivains devant leur image, est-ce propre à la photographie ou au regard de Gisèle Freund ? Catherine Thieck – Nadar est la référence absolue de Gisèle Freund. Dans sa thèse, éditée et traduite par Adrienne Monnier, elle a longuement parlé du fameux Panthéon de Nadar qui réunissait les figures majeures de son temps. Le Panthéon est une référence mondaine, sociologique, mais c’est aussi une référence dans l’his- toire de la photographie. Gisèle Freund n’a eu de cesse de vouloir créer une galerie de portraits d’écrivains en couleurs. Une manière de raconter sa relation avec Paris, avec l’histoire et avec la littérature, mais aussi avec la photographie. C’est ce que nous avons voulu montrer dans l’exposition. Nous exposons d’abord une galerie de portraits d’écrivains noir et blanc pour montrer à quel point son intérêt précédait l’évolution des techniques. Puis une seconde galerie de portraits couleur des écrivains mythiques de son temps. Force de son regard et inventi- vité technique : tout apparaît à travers ces images. Au cœur de votre projet, il y a justement le passage du noir et blanc à la couleur. Quel sens cela a-t-il dans son œuvre ? Catherine Thieck – C’est fondamental. Gisèle Freund attrape toute occasion de photographier. Il faut restituer le contexte : la librairie d’Adrienne Monnier était une sorte de vivier ; la jeune Gisèle Freund y a rencontré tous les écrivains de son temps ; elle allait de l’un à l’autre ; tous ont été photographiés, hormis Roger Martin du Gard qui lui opposa un refus catégorique. ENTRETIEN 5 LA LETTRE DE L’IMEC No 14, AUTOMNE 2011 Les trois séances que James Joyce a accordées à Gisèle se sont déroulées à Paris. Notre exposition s’inscrit dans cet endroit et dans ce moment : Paris 1933-1940. Elle a toujours su saisir l’occasion, au sens presque philoso- phique du terme, parfois de manière violente. Ce contexte n’explique pas tout. Elle est réceptive aux dernières technologies et elle utilise, pour son Leica avec lequel elle a fui d’Allemagne, les toutes récentes pellicules couleur Agfa et Kodak. Quelques photographes les utili- saient à l’époque, mais Gisèle Freund sut, la première, associer étroitement le sujet et la méthode. Gisèle reste aujourd’hui, par la force de cette conjonction, non seu - lement la photographe des écrivains, mais aussi la pre- mière photographe couleur. Olivier Corpet – On peut rappeler que sa thèse, sou - tenue à Paris en 1936, commençait par ces mots : « Chaque période de l’histoire voit naître des modes d’ex- pression particuliers, correspondant au caractère poli- tique, aux manières de penser et aux goûts de l’époque. Ces modes d’expression se montrent concrètement dans les formes artistiques. » Gisèle Freund a toujours su associer la nouveauté tech- nique, la sensibilité de son époque et la force de son regard. Le fonds photographique de Gisèle Freund est immense. Comment avez-vous choisi les images du parcours que vous proposez ? Olivier Corpet – Ce sont d’abord les dates qui nous don- nent une forte grille de lecture. 1933, c’est le moment où elle est chassée d’Allemagne ; 1940, c’est le moment où elle est chassée de France. Catherine Thieck – Deux frontières. Deux fuites. J’ai confié à l’IMEC une lettre dans laquelle Gisèle me deman- dait de transmettre le sens de son travail lors de l’exposi- tion de 1991 au Centre Pompidou : « Tu dois expliquer que j’ai fui toute ma vie. » Elle fuit Berlin en un jour et demi, prévenue d’une arrestation imminente. Elle a fui ensuite Paris en 1940 dans les conditions que l’on sait. Ces deux dates sont essentielles. L’exposition est le contraire d’une rétrospective qui se fera peut-être un jour. Nous voulions trouver un axe de pré- sentation très fort. Elle-même travaillait ainsi. En 1986, je lui avais proposé d’organiser à la Galerie de France l’expo- sition des fameuses quatre-vingts photos qu’elle retenait de son travail. L’album photo couleur que nous éditons pour la première fois a été assemblé et annoté par elle comme un résumé de son œuvre : « Quand on te deman- dera ce que fait Gisèle Freund, tu le montreras ! ». Et bien uploads/s3/ gisele-freund-pdf.pdf

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