Guilhem Monédiaire, juin 2013. 1 Le génie de clairvoyance intemporel d’Octave M

Guilhem Monédiaire, juin 2013. 1 Le génie de clairvoyance intemporel d’Octave Mirbeau (1848-­‐1917) Guilhem Monédiaire, juin 2013. 2 Remerciements : Monsieur François-­‐Marie Mourad, mon professeur, pour avoir soutenu et enrichi la présente recherche ; Monsieur Pierre Michel pour son appui, ses ouvrages et articles, ses lettres, et ses présents ; Monsieur et Madame Max Coiffait pour leur hospitalité et leur générosité ; Monsieur et Madame Paul-­‐Henri Bourrelier pour leur sympathie ; Monsieur Jean-­‐Pierre Brehier pour son estime et ses encouragements ; Monsieur Jacques Chaplain pour ses conseils et le riche partage culturel ; Monsieur Christian Dufour pour ses commentaires à la pertinence jamais contestée ; Monsieur et Madame Pierre Toaldo au nom de notre amitié et de leur soutien de tous les instants ; Parents et amis. Guilhem Monédiaire, juin 2013. 3 « L'avenir devra lui tenir compte de sa prescience, qui s'est si souvent exercée avec une force magnifique » écrit Gustave Geffroy au sujet d’Octave Mirbeau. Si la prescience de Mirbeau reste à confirmer, force est de constater que la prémonition de Geffroy ne s’est pas encore totalement réalisée. Il est vrai que l’avenir, par définition, est… long. La méconnaissance de Mirbeau déplorée par Francis Jourdain1 a, certes, décliné grâce à M. Pierre Michel notamment dans les cercles littéraires, intellectuels et libertaires, mais demeure totale dans les enseignements secondaires voire supérieurs… On ne peut que regretter un tel oubli qui constitue une nouvelle injustice, comparable à celles combattues par Mirbeau. Visionnaire ? Artiste ? Philosophe ? Tout à la fois ? Quel fut donc son génie et pourquoi est-­‐il plus que jamais temps de le lire encore et encore ? Tout siècle possède ses prophètes. Mirbeau agissait comme nous cherchons à vivre de nos jours. Contemporain, il l’était au sens de Giorgio Agamben. « Écrivain sincère2 », son génie fut de tout sentir, de tout voir et de tout prévoir, tant en politique, qu’en art, et en philosophie. Peut-­‐être est-­‐il vain de vouloir démontrer la « prescience » de Mirbeau. Peut-­‐ être ne faut-­‐il pas placer son œuvre universelle en son temps voire en un autre, passé ou futur, elle qui les transcende tous. Reste que c’est restituer à l’homme sa vigueur complète. Mirbeau avait le don propre aux auteurs de chefs-­‐d’œuvre : toucher l’âme, le cœur et les tripes de ses lecteurs. Qu’on l’admire ou qu’on le « haïsse3 », jamais il ne laisse indifférent ou insensible. 1 « Cher Mirbeau ! Cher grand énergumène, ardent, sensible, généreux et tendre. Méconnu. » (Francis Jourdain 1876-­‐1956.) 2 Octave Mirbeau, Nouvelle revue, 1er octobre 1886. 3 « Alors, oui, je hais Octave Mirbeau. Je le hais d’avoir tout senti, tout prévu, tout compris et que cela n’ait servi à rien – que rien n’a changé. […] Et je le hais plus encore de ne jamais pouvoir lui pardonner d’avoir raison. » (Anne Deckers, « Je hais Mirbeau ! ») Guilhem Monédiaire, juin 2013. 4 I-­‐ Un visionnaire sur tous les fronts de son siècle : A) Sa prépondérance reconnue ante mortem 1-­‐ Un journaliste très recherché Étudier Mirbeau vivant amène nécessairement à considérer son activité journalistique. Si sa carrière dans ce domaine a toujours été monumentale, elle connut des modifications. Pour le futur artiste, elle fut première : avant sa gloire littéraire1, il a été un journaliste professionnel très recherché. Pendant une quarantaine d’années, l’ennemi de l’hypocrisie, l’anarchiste individualiste, a dû se « vend[re] à qui le pa[yait]2 », reniant toutes ses convictions politiques3. Mirbeau a ainsi collaboré à des quotidiens variés : d’abord, des journaux importants, tels L’Écho de Paris, Le Matin, et notamment Le Journal pour lequel il travaille de 1892 à 1902 ; d’autres à tirage plus modeste, comme Le Gaulois et Le Figaro, La France (1884-­‐1885), L’Événement (1884-­‐1885), et de plus engagés ou satiriques (L’Aurore de 1898-­‐1899, L’Assiette au Beurre et L’Humanité en 1904) ; d’autres, enfin, à tirage confidentiel, comme L’Ordre de Paris (1872-­‐1877) et L’Ariégeois (1878). En 1883, il est rédacteur en chef du biquotidien d’informations Paris-­‐Midi, Paris-­‐ Minuit, et du célèbre hebdomadaire, organe de combat contre les opportunistes au pouvoir : Les Grimaces. Pour se convaincre de l’implication activiste de ce dernier journal, citons son affiche de lancement : « À travers ces pages, tu verras grimacer tout ce faux monde de faiseurs effrontés, de politiciens traîtres, d’agioteurs, de cabotins et de filles, toutes ces cupidités féroces, qui te volent non seulement tes écus, mais jusqu’à ta virilité, jusqu’à ta nationalité, jusqu’à ton amour de la Patrie. L’heure est sombre. Il faut lutter – ou tomber. Les Grimaces paraissent pour donner le signal du branle-­‐bas4 ! ». L’objectif, qui sera constant dans Le Journal d’une femme de chambre notamment mais aussi dans Les Vingt et un Jours d'un neurasthénique et dans toute son œuvre à la vérité, était de dévoiler les scandales, les hypocrisies ; bref, « les grimaces5 » impuissantes à dissimuler la prétendue honorabilité des gouvernants. L’image de Mirbeau s’est grandement et longuement ternie par les articles antisémites qu’il avait laissé paraître. Il s’en est toujours voulu et a fait deux mea culpa : d’abord, un an après le 14 janvier 1885 dans « Les Monach et les Juifs », puis dans « Palinodies ! » le 15 novembre 1898. 1 Cf. I-­‐ A) 2-­‐ 2 Octave Mirbeau, Les Grimaces, 29 décembre 1883. 3 Néanmoins, il « fu[t] d’abord bonapartiste révolutionnaire… » (Octave Mirbeau, cité par Georges Docquois, Nos émotions pendant la guerre, p. 12). 4 Affiche de lancement des Grimaces, juillet 1883. 5 Le titre s’inspire du vocabulaire de Blaise Pascal : « Quand la force attaque la grimace, quand un simple soldat prend le bonnet carré d'un premier président et le fait voler par la fenêtre » (Blaise Pascal, Pensées diverses, 182, édit. FAUGÈRE). Mirbeau semble affectionner cet usage du terme qu’on retrouve dans le texte présentatif de L’Assiette au Beurre consacré aux « Têtes de Turcs » dont il a eu la responsabilité : « Aujourd’hui glorieux, inconnus demain, ils passent, un instant, sur notre terre, avec de petits cris, de petits gestes, de petites grimaces, et s’en vont très vite, on ne sait où. Ils sont arrivés du néant, sans raison, et, sans raison aussi, ils retournent au grand silence des choses mortes… “Trois petits tours, et puis s’en vont.” » (31 mai 1902.) Guilhem Monédiaire, juin 2013. 5 Sa production journalistique, qui s’est certes extrêmement réduite à partir de 1902, reste très abondante. Pour rendre compte que la plume et l’épée de Mirbeau étaient réellement recherchées, ayons recours à une statistique : ce sont quelque 2000 articles (contes, chroniques, dialogues ou extraits de romans) que l’on peut lui attribuer avec certitude. Avec certitude, car une partie a paru anonymement lors de ses débuts à L’Ordre de Paris, certains ont paru sous le nom de ses employeurs (Dugué de la Fauconnerie qui le lança sur la scène parisienne, Émile Hervet dans L’Ordre, et parfois Arthur Meyer dans Le Gaulois), enfin sous divers pseudonymes (Gardéniac et Henry Lys dans Le Gaulois, Auguste dans Les Grimaces, Montrevêche et Le Diable dans L’Événement, Jean Maure, Jean Salt et Jacques Celte dans Le Journal). La torrentielle activité d’Octave Mirbeau comme journaliste est évidente. On aurait pu étudier sa critique féroce de la presse, véritable négation de toute pensée individuelle (tant pour le journaliste que pour le lecteur !), qui au lieu d'instruire, désinforme et abêtit1, mais là n’est pas l’objet de ce développement. 2-­‐ Un créateur alors lu et représenté Une des originalités quelque peu paradoxale qu’il s’agit de comprendre au sujet d’Octave Mirbeau est qu’il a connu de son vivant une célébrité européenne voire mondiale, tout en étant apprécié, reconnu et estimé par les avant-­‐gardes littéraires et artistiques qu’il a lui-­‐même presque toujours soutenues dans ses articles. Intéressons-­‐nous ici au réel triomphe d’Octave Mirbeau, c’est-­‐à-­‐dire aux années qui suivent l’Affaire Dreyfus. C’est pendant une décennie que ses plus grandes œuvres se font connaître et que son audience de lecteurs atteint son sommet. Il remporte en effet de grands succès de vente avec Le Jardin des supplices en juin 1899, Le Journal d’une femme de chambre en juillet 1900, et Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique en août 1901. Mais ce sont ses œuvres théâtrales qui le font parvenir à une consécration d’envergure internationale avec Les affaires sont les affaires en 1903 et Le Foyer en 1908. C’est au terme de deux batailles remportées par le dramaturge que les deux pièces sont représentées à la Comédie-­‐Française et connaissent un énorme succès. De leur côté, Les affaires sont les affaires ont été données sur toutes les scènes du monde, notamment en Allemagne et en Russie. Traduite dans toutes les langues, cette pièce a très souvent été reprise sans que son succès soit jamais démenti 2 . Une œuvre théâtrale antérieure, Les Mauvais Bergers (représentée pour la première fois au Théâtre de la Renaissance le 15 décembre 1897) préfigure en quelque sorte la notoriété puis le triomphe du théâtre de Mirbeau, dans la 1 « Politique dédaignée et méprisée, littérature rapetissée uploads/s3/ guilhem-monediaire-quot-le-genie-de-clairvoyance-intemporel-d-x27-octave-mirbeau-1848-1917-quot.pdf

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