Maxime BOURRON Prométhée de Gustave Moreau Un « assembleur de rêve », puisant d

Maxime BOURRON Prométhée de Gustave Moreau Un « assembleur de rêve », puisant dans les œuvres des artistes qui l’avaient précédé, c’est ainsi que se définissait Gustave Moreau, peintre qui vécut de 1826 à 1898. Cet artiste est aujourd’hui connu grâce à ses quelques vingt-cinq milles dessins, peintures, aquarelles et photographies qui composent son legs à l’Etat au moment de sa mort, exposés dans la maison au 14, rue de La Rochefoucauld, aujourd’hui Musée Gustave Moreau. De plus, son processus créatif est particulièrement étudié grâce à ses notes, qu’il a tenues tout au long de sa vie. Parmi ces dons, se trouve le tableau de Prométhée Enchainé. Cette toile, mesurant 2,05 mètres de hauteur pour 1,22 mètres de largeur, fut réalisée en 1868 et exposée au Salon en 1869. De fait, elle présente le titan Prométhée enchainé, selon la légende antique. Peintre de récits mythologiques et bibliques, Moreau dira même que son but est de « donner aux mythes toute l’intensité qu’ils peuvent avoir en ne les resserrant pas dans des époques et dans des moules et des styles d’époque. » Dans quelle mesure le tableau Prométhée illustre-t-il la figure de l’artiste-créateur de Gustave Moreau ? Après avoir décrit le mythe de Prométhée et sa représentation, nous nous intéresserons à la manière dont Moreau s’approprie ce récit mythologique et enfin nous verrons en quoi ce tableau s’inscrit dans une volonté de renouvellement de la peinture d’histoire. Comme son titre l’indique, ce tableau représente le titan Prométhée enchainé aux falaises du Caucase, se faisant ronger le foie par un vautour dans son dos. Il illustre un mythe qui vient de l’Antiquité grecque dont l’étymologie du mot signifie « les prévoyants ». Cette idée de prévoyance est très importante car Moreau reviendra sur cet aspect voyant dans la figure du Titan, qui voit au-delà, qui prévoit, qui est une figure fondatrice. Tout d’abord, Pseudo-Apollodore nous donne une explication de ce mythe. Selon lui, Prométhée est le titan qui tente de recréer l’humanité à partir d’un mélange d’eau et de glaise. Hésiode va, par la suite, raconter ce récit. Prométhée aurait déchainé la colère de Zeus car il aurait décidé de le tromper en volant le feu, symbole de connaissance humaine, de l’intellect, de la ruse, pour l’apporter aux Hommes. Zeus aurait alors puni les Hommes en apportant Pandore sur Terre, qui possédait la boite de tous les maux. L’épisode de Prométhée enchainé, ici représenté, provient plutôt d’Eschyle qui, au Ve siècle avant notre ère, a condensé tous les récits mythiques sur la figure de Prométhée et qui a véritablement structuré le mythe tel qu’il a été reçu par la suite. C’est justement dans une pièce intitulée Prométhée enchainé qu’Eschyle raconte l’épisode du titan enchainé, se faisant ronger le foie. Zeus avait donc décidé qu’il se débarrasserait de toute la race humaine. Prométhée, qui aimait les Hommes car il les avait créés, aurait justement volé le feu pour les sauver. Zeus le punit aussitôt en ordonnant à Héphaïstos de l’enchainer à un rocher. Le roi des dieux envoya également un aigle pour ronger le foie de Prométhée, qui se reconstruit éternellement. En connaissance de ce mythe, nous pouvons alors retrouver tous les éléments qui le façonnent dans le tableau de Gustave Moreau. La description que laisse le peintre à propos de ce tableau est extrêmement parlante, il écrit : « Semblable au pilote veillant à la proue du navire, il regarde au loin les espaces glacés, sondant les horizons tout entiers, et souriant à son rêve, tandis que son flanc saigne, sous le bec altéré du vautour toujours inassouvi ». Or, effectivement, en regardant ce tableau, nous n’avons pas l’image d’un martyr souffrant. En réalité, nous pouvons remarquer une petite flamme brulant au-dessus de la tête de Prométhée, symbole de l’intellect, ce qui fait du titan, une figure héroïque. La figure semble sculpturale, avec un grand soin importé aux muscles du corps. Il regarde au loin, comme songeant à l’avenir. Repu, un des vautours git à ses pieds, pendant que l’autre, le bec ensanglanté, lui déchire le foie. Le Titan ne semble pas souffrir, la blessure étant quasiment invisible. Cependant, comme dit précédemment, le mythe met en scène des aigles et non pas des vautours. Dans ses écrits, Moreau confiera qu’il n’ira pas, « suivant la logique du sentiment, faire de l’Aigle, le plus noble et le plus royal des animaux, le bourreau et le tortionnaire de cette figure résignée ». Il a alors demandé qu’on lui apporte un vautour empaillé qui servit de modèle, ce qui prouve qu’il travaillait soigneusement ses compositions. Le vautour est une bête, un charognard qui nous ramène à l’idée de la mort. Prométhée peut alors envier les vautours qui ne connaissent pas la douleur éternelle mais même si la scène est dramatique du point de vue du sujet, elle ne l’est pas par la clarté du personnage et du ciel, à l’arrière plan, qui nous promet des jours meilleurs. Nous pouvons également remarquer la présence d’une tache d’un bleu vif, qui permet de rassembler la partie droite de la toile avec la partie gauche et de donner plus de lumière à cette dernière. Sans cette tâche bleue, rajoutée par le peintre dans les années 1880, la partie gauche partagerait le tableau dans sa verticale. En effet, la composition de celui-ci est extrêmement verticale, étirée dans la hauteur. Ainsi, le vautour derrière le titan étendant son aile vers le ciel, la pose de Prométhée produisant une diagonale ascendante, et la colonne, cachée par Prométhée, rappelant les colonnes antiques et donnant un côté théâtral à la scène, ne font qu’accentuer cette impression. Le paysage rocheux, également très vertical, fonctionne quant à lui avec des perspectives, qui vont diluer la figure, faire un vide. Les rochers contrastent alors avec la figure dominante dans l’image. Les couleurs jouissent d’une harmonie tonale, selon un jeu des complémentaires. Les jaunes contrastent avec des bleus, et les ocres avec des bleus moins intenses, ce qui donne toute la puissance au tableau. Prométhée semble prisonnier dans un paysage sombre, tel les Enfers, faisant écho au bleu lointain d’un ciel pur. En outre, le point de départ de Moreau est toujours l’appropriation d’un thème par la peinture, et c’est dans une tension morale, personnelle, et imaginaire, que Moreau va construire la figure de Prométhée. Pour Moreau, les grands mythes transmis par l’Antiquité n’étaient pas de simples histoires à illustrer. Il y voyait une profonde et éternelle vérité, une leçon de morale que toutes les générations devaient méditer, une série de rêves issus du plus profond de la nature humaine. C’était alors le rôle de l’artiste, du poète, ou du philosophe que de faire comprendre à l’Homme les symboles constitués par ces mythes. Selon lui, « c’est la langue de Dieu ». L’art est plus qu’un simple objet esthétique, il doit transmettre un message, comme le feraient la parole ou l’écrit. Souvent reproché d’être un peintre littéraire, et de vouloir exprimer des idées que seule la littérature peut traduire, il se comparait au grand maître du classicisme français Nicolas Poussin, qui, comme lui, avait exclusivement choisi ses sujets dans l’Antiquité profane ou chrétienne. Après avoir échoué à deux reprises au concours du prix de Rome, c’est lors de son second séjour italien entre 1857 et 1859, lorsqu’il visite Rome, Florence, Milan et enfin Venise, qu’il réalise des copies d’après les maitres comme Michel-Ange, Véronèse, Raphaël ou encore Corrège. Jusqu’à la fin de sa vie, il ne cessera d’utiliser ce répertoire, continuellement enrichi par des emprunts aux sources diverses, aboutissant à un syncrétisme stylistique qui est, finalement, en contre-courant de la tradition académique. Il faut savoir que Gustave Moreau a une esthétique fortement influencée par la sculpture. Dans ce tableau, la morphologie est, pour une fois, très virile. Il s’est surement inspiré du Prométhée enchainé de James Pradier, exposé au Salon cette même année et en a surement retenu ce caractère sculptural, la position fléchie de la jambe droite, les anneaux aux chevilles, ou même l’oiseau mort aux pieds du héros. Cependant, alors que le Prométhée de Pradier avait la tête renversée, élevant sa plainte vers le ciel, comme dans la tragédie grecque, Moreau le montre enchainé au sommet d’un rocher, le visage serein. De plus, l’Esclave Rebelle de Michel-Ange fut également une référence importante pour l’artiste. En effet, la statuaire de Michel-Ange est fondamentale dans l’œuvre de Gustave Moreau. Ce dernier dit souvent que la figure, dans un tableau, doit être immobile, hiératique, comme une statue. Il travaille ainsi les poses à travers l’art de Michel-Ange. Nous pouvons remarquer une relation directe entre Prométhée et l’Esclave, par la pose du pied appuyé sur le rocher et par les mains liées. Enfin, l’artiste possédait des gravures de John Flaxman, qui avait déjà représenté Prométhée enchainé. De fait, Prométhée a souvent été le prétexte au nu idéal masculin, héroïque et puissant. Moreau va travailler cela, en ne l’habillant que d’un fin drapé antique, par le biais des dessins préparatoires. Tout se concentre sur la figure humaine et dès lors uploads/s3/ gustave-moreau-promethee-expose 1 .pdf

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