Article publié dans : LEGRAS (J.-M.), (dir.), Vers une technologie culturelle d

Article publié dans : LEGRAS (J.-M.), (dir.), Vers une technologie culturelle des APSA, Paris, Vigot, 2005. http://www.passeursdedanse.fr 1 « Écoles » de danse et danse à l’école E. Comandé Mots clés : Instructions Officielles, Conceptions du corps, Technique. « Je me méfie du mot « technique » car il implique trop souvent un style ou une formule. » Jacqueline Robinson1 Introduction La danse, forme d’expression aussi ancienne que l’humanité, existe sous de multiples formes et c’est à juste raison qu’on la dit plurielle. Danses de salon, sportives, ludiques, artistiques, sacrées, folkloriques ou thérapeutiques se vivent en des lieux différents, satisfont des motivations diverses et poursuivent des objectifs toujours distincts et parfois même contraires. Certaines catégorisations2 tentent de les différencier par leurs fondements, leurs finalités, leurs enjeux ou encore leurs techniques. Au-delà de l’étude descriptive des techniques, la technologie analyse le discours théorique qu’elles provoquent ainsi que les facteurs socioculturels inhérents à une technique précise dans un champ précis. Dans celui des Activités Physiques Sportives et Artistiques (APSA), supports de l’Éducation Physique et Sportive (EPS), la technologie peut se mettre en service au niveau de l’analyse des techniques corporelles retenues par l’école : ce sera notre option. Cette réflexion nous permettra de mesurer la perméabilité de l’école aux influences sociales dans une activité physique, mais non sportive, où la pratique de référence est fortement diversifiée. Notre réflexion nous amènera alors à interroger la technique que l’école a choisie de retenir au fil de l’histoire de l’EPS. Dans une première partie, nous montrerons que les choix opérés dans l’enseignement de la danse au long du vingtième siècle illustrent des conceptions différentes du corps. Puis nous nous centrerons sur l’enseignement de la danse artistique au présent pour constater, et proposer de dépasser, le paradoxe que la notion d’apprentissage technique génère. A. Une histoire de conceptions du corps 1 ROBINSON (J.), Eléments du langage chorégraphique, Paris, Vigot, 1981, p. 33. 2 Nous retiendrons celle de TRIBALAT (T.) ; in « Danse et éducation physique », Hyper, n° 191, 1996, p. 10 ; qui distingue différentes mises en jeu de l’expressivité corporelle dans les danses mystiques aux fondements magiques et religieux, les danses scéniques aux fondements spectaculaires et artistiques, les danses thérapeutiques aux fondements psychanalytiques ou métaphysiques, et les danses ludiques aux fondements distractifs. Article publié dans : LEGRAS (J.-M.), (dir.), Vers une technologie culturelle des APSA, Paris, Vigot, 2005. http://www.passeursdedanse.fr 2 Entre la reproduction d’exercices rythmiques normés et l’entrée dans une véritable démarche de création artistique, c’est toute l’histoire de la danse à l’école qui se déploie, au rythme de l’évolution des valeurs sociales et éducatives. Dans ce premier chapitre, nous chercherons à circonscrire les différentes étapes qui la caractérisent, en qualifiant le type de rapport au corps qu’elles induisent. 1. Corps objet/corps docile : la rythmique Son origine et sa définition Issue de la danse classique, la rythmique (appelée aussi danse rythmique) est une forme de gymnastique dansée, apparue en France dans les années vingt. Elle se compose de mouvements très marqués par les stéréotypes des valeurs féminines, c’est-à-dire : ronds, doux, fluides et élégants, mais toujours très contrôlés. De fait, elle est considérée comme une éducation corporelle nécessaire (et réservée) aux jeunes filles pour les diriger vers le « paraître » et la séduction. La rythmique s’adresse ainsi aux deux rôles assignés au corps de la femme : susciter le désir de l’homme et porter sainement ses enfants parce qu’ « en cultivant la valeur physique et physiologique de la femme, c’est toute la race qu’on améliore avec elle »3. Proche d’une gymnastique de maintien, la rythmique privilégie l’amplitude et l’équilibre vertical. Toutefois, étant basée sur la recherche de grâce, de beauté et d’harmonie, elle comporte aussi des élans et des suspensions. A ce titre, on peut penser qu’elle a subi l’influence de la danse libérée et naturelle amenée par Isadora Duncan4 (1878-1927). Très affiliée à la musique, la rythmique ancre ses racines dans les travaux d’Émile Jaques- Dalcroze5 (1865-1950), qui a élaboré un programme d’éducation où le mouvement interprète le rythme, et qui a introduit la notion de musicalité gestuelle par le biais de la respiration et de la détente corporelle. Inspirées par ces derniers, deux méthodes verront le jour : 3 JEUDON (R.), « Les gymnastiques féminines », in LABBÉ (M.) et BELLIN du COTEAU, Traité d’éducation physique, Tome II, Paris, Édition G. Douin et Cie, 1930, p. 540. 4 DUNCAN (I.), Ma vie, traduction française, Paris, Gallimard, 1960. 5 BRUNET-LECOMTE (H.), Jaques-Dalcroze, sa vie, son œuvre, Genève-Paris, Jeheber, 1950. JAQUES-DALCROZE (E.), Le rythme, la musique et l’éducation, Lausanne, Foetish frères S.A., 1924, traduction française La Baconnière, Neufchâtel, 1984. La musique et nous, (ensemble de textes), Genève, réédition. Slatkine, 1981. Article publié dans : LEGRAS (J.-M.), (dir.), Vers une technologie culturelle des APSA, Paris, Vigot, 2005. http://www.passeursdedanse.fr 3 · celle d’Irène Popard6 (1894-1950) qu’elle baptisera « gymnastique harmonique », avec pour devise « Charme et santé à qui vient à moi ». C’est une méthode de gymnastique esthétique et corrective située aux confins de la danse, faite de mouvements arrondis, lancés et continus au rythme de la musique ; · celle de Rudolph Bode7 (1881-1970), père de la « gymnastique moderne »8, qui proposera une méthode où le rythme est fondé de vertus éducatives fondamentales. C’est une méthode qui cultive l’art de se mouvoir comme la base de toute activité physique et artistique. Sa place dans l’Éducation Physique L’enjeu éducatif de la rythmique repose sur la maîtrise de soi et le respect des codes esthétiques en usage à cette époque. C’est à ce titre que la rythmique est revenue dans les Instructions Officielles (IO) pour l’enseignement de l’Éducation Physique (EP) jusqu’en 1967. · Les IO de 1941 Publiées pendant la Seconde Guerre mondiale, ces instructions sont très marquées par « la gymnastique corrective »9. Il s’agit, à cette époque, de former des corps bien faits et bien droits. Dans cet esprit, « pour les jeunes filles : une part importante sera faite dans l’éducation physique générale aux exercices rythmiques ». La plupart du temps, les exercices conseillés sont conduits par le chant ou scandés par le tambourin et restent très proches de ceux que la gymnastique corrective utilise. · Les IO de 1945 La grâce et la beauté étant toujours la recherche prioritaire dans l’éducation corporelle des jeunes filles, la rythmique reste la méthode enseignée. L’accent est porté sur la reproduction d’un modèle de gestes parfaits et sur une motricité formelle, symétrique et frontale, toujours tributaire des rythmes musicaux. · Les IO de 1959 En continuité avec les précédents, ce texte prétend cependant mettre de l’ordre en éliminant toute confusion entre la danse « art du mouvement corporel » et la rythmique « étude d’exercices corporels esthétiques, sur place et en déplacement, analytiques ou complexes, en intime liaison avec les rythmes musicaux ». Le législateur ne légitimant pas les vertus de la danse, le choix retenu reste le même : « la gymnastique rythmique doit demeurer une préoccupation permanente de l’EP 6 LADEGAILLERIE (J), LEGRAND (F.), L’éducation physique au XIXème et au XXème siècle en France, seconde édition, Paris, Armand Colin, 1970. 7 BODE (R.), Energie und rythmus, Frankfort, 1939. 8 LANGLADE (A.), La gymnastique moderne, recherche sur ses origines, son intégration et son actualité, FFEGV, Paris, Primeca, 1968. 9 Modèle mécanique et anatomique à vocation hygiénique basé sur le concept de « correction » (rectitude). Article publié dans : LEGRAS (J.-M.), (dir.), Vers une technologie culturelle des APSA, Paris, Vigot, 2005. http://www.passeursdedanse.fr 4 de la jeune fille ; aussi admet-on désormais la réalisation d’une leçon faisant une part dominante à cette activité ». · Les IO de 1962 (circulaire) Destinée à définir les conditions dans lesquelles seront organisés l'initiation, l'entraînement et la compétition sportive, la circulaire ne fait pas d'allusion à la rythmique. On notera cependant que les directives réservées aux filles restent marquées par les stéréotypes sociaux car « la part des leçons réservée à l’initiation sportive s’efforcera de répondre à leur goût de l’esthétique et de l’expression corporelle ». Les IO, témoins des conceptions dominantes du corps à l’école, nous montrent que nous sommes toujours confrontés au contrôle du corps, par la maîtrise de gestes normés et par la répétition d’exercices de maintien. C’est l’esprit qui dirige un corps obéissant, et ce dernier reste à son service dans une recherche de perfection. Ainsi, « à travers l’enseignement d’une rythmique s’appuyant sur les éléments techniques de danse académique, se construisait un corps morcelé répondant à une esthétique formelle et surannée »10. Un début de rupture A partir des années soixante, délivrée des privations et portée par une forte croissance économique, une nouvelle société se dessine au sein de laquelle le sport prend une place grandissante. Une conception hédoniste du corps porte les français vers le loisir et les activités physiques. Parallèlement, le statut et le pouvoir de la femme s’améliorent considérablement. A l’ENSEP de Châtenay-Malabry11, la rythmique n’est déjà plus la référence principale. La théorie du mouvement de Rudolf Laban12 (1879-1958), la conception d’une danse libre de François uploads/s3/ histoire-danse.pdf

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