Le th´ eˆ atre dans le monde arabe Eve Feuillebois-Pierunek To cite this versio

Le th´ eˆ atre dans le monde arabe Eve Feuillebois-Pierunek To cite this version: Eve Feuillebois-Pierunek. Le th´ eˆ atre dans le monde arabe. Pr´ eprint d’un article ` a paraˆ ıtre dans un ouvrage collectif, Th´ eˆ atres d’Orient : traditions, renco.. 2011. <hal-00652080> HAL Id: hal-00652080 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00652080 Submitted on 14 Dec 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. 1 Le théâtre dans le monde arabe Eve FEUILLEBOIS Sorbonne Nouvelle Ŕ Paris 3, UMR 7528 Mondes iranien et indien Il serait présompteux de prétendre présenter ici la création théâtrale de la vingtaine d‟états qui forment le monde arabe. Nous nous bornerons donc à examiner les productions théâtrales des pays du Moyen-Orient et de l‟Afrique du Nord ; les expériences théâtrales plus marginales des pays de la péninsule arabique, de la Jordanie, de la Lybie, du Soudan et des Comores ne seront pas abordées. I. Le théâtre et la tradition littéraire arabe A. Y a-t-il absence de tradition théâtrale dans le monde arabe classique ? On entend généralement dire que l‟héritage littéraire arabe pré-moderne n‟offre pas d‟exemples de théâtre ressemblant à ce que l‟Occident entend par ce mot. Dans Studies in the Arab Theatre and Cinema, Jacob M. Landau affirme que le théâtre moderne est un « produit totalement étranger transplanté dans la terre vierge des sociétés arabes » et qu‟il n‟y a pas eu de théâtre arabe avant le XIXe siècle et l‟invasion de l‟Égypte par Napoléon (Landau, 1958 : XII). La position du volume collectif publié par Nadia Tomiche (Le Théâtre arabe, 1969) est plus nuancée : si Jacques Berque estime que le monde arabe classique est dépourvu de théâtre tout en mettant en garde contre un certain orientalisme prompt à en déduire une incompatibilité entre l‟Islam et le théâtre (Tomiche, 1969 :15-16), Cherif Khaznadar estime que le théâtre est un phénomène populaire et universel et présente, tout au long de son article, les formes et aspects de l‟expression dramatique arabe traditionnelle (Tomiche, 1969 : 39 sq). Quant à Jean Duvignaud, il affirme que si toutes les sociétés connaissent des formes de dramatisation spontanées, cela ne signifie pas qu‟elles deviennent systématiquement des formes artistiques réelles ou contribuent à l‟apparition de ce mode de création hautement particulier que nous avons coutume d‟appeler théâtre. Il en profite pour réfuter deux malentendus extrêmement fréquents : la prétendue incompatibilité entre le théâtre et l‟islam, 2 et la thèse d‟un commencement tardif et sous influence occidentale du « théâtre » dans cette région du monde (Tomiche, 1969 : 194-197). Par contre, dans l‟introduction à son anthologie, Short Arabic Plays, Salma Khadra Jayyûsî écrit que le théâtre arabe « a peu été pratiqué et est demeuré dans l‟obscurité » pendant des siècles, ne devenant un genre majeur qu‟au XXe siècle (Jayyûsî, 2003 : VIII). George Allen dans An Introduction to Arabic Literature (2000) indique que, si l‟héritage littéraire arabe pré-moderne ne nous offre pas d‟exemples d‟œuvres théâtrales qui puissent être reliées à la tradition occidentale, il ne manque pas de genres indigènes possédant des qualités dramatiques. Dans le numéro thématique d‟Horizons maghrébins (Le théâtre arabe au miroir de lui- même), l‟existence de ces genres dramatiques traditionnels est reconnue, mais la qualité d‟œuvre théâtrale leur est déniée. Abdelghani Maghnia affirme : « Il est absurde de croire qu‟il y ait pu y avoir du théâtre dans l‟ancienne société marocaine » (Maghnia, 2008 : 64). À la page suivante, Jean-François Clément trouve dangereuse la thèse soutenue par certains théoriciens maghrébins du théâtre selon laquelle le théâtre aurait toujours existé dans les sociétés maghrébines et les accuse de confondre théâtralisation et théâtre, les formes traditionnelles de spectacle relevant d‟un « préthéâtre » ou du « degré zéro du théâtre » (Clément, 2008 : 65). Quant à l‟article de Monica Ruocco dans Histoire de la littérature arabe moderne, il contourne habilement le problème : […] la question de l‟existence des pratiques théâtrales antérieures au développement de la dramaturgie moderne a été longtemps débattue par les historiens. La théorie la plus accréditée conclut que le monde arabophone a connu dans le passé certaines formes de spectacle, mais que ces manifestations n‟ont pas été décisives dans l‟implantation du théâtre contemporain (Hallâq- Toelle, 2007 : 151). Pour elle, le théâtre arabe naquit au XIXe siècle dans le cadre de la Nahda dont l‟un des efforts porta sur l‟adaptation d‟un répertoire étranger aux exigences d‟un nouveau public, même s‟il est indéniable que des formes pré- ou para-théâtrales influencèrent le développement de l‟art dramatique arabe, lui donnant une identité originale. La vraie question est de savoir ce que l‟on entend par théâtre : s‟agit uniquement du théâtre aristotélicien basé sur un texte et centré sur des acteurs humains représentant une histoire à travers une action et des dialogues, ou bien la définition peut-elle être élargie pour 3 englober d‟autres types de performances ? Dans un article de The Drama Review, John Bell soupçonne ce déni de tradition théâtrale autochtone d‟être une tentative de dévalorisation de la culture arabe (Bell, 2005 :10), certes largement inconsciente, mais qui a cependant réussi à investir l‟esprit des Arabes eux-mêmes. Car des genres littéraires contenant des éléments dramatiques et des formes spectaculaires populaires existent bel et bien dans le monde arabe avant le XIXe siècle, mais aucun de ces phénomènes n‟a été considéré comme relevant du théâtre. Par contre, toutes sortes de raisons ont été invoquées pour tenter d‟expliquer l‟inexistence du théâtre dans la civilisation arabe. Des personnalités arabes et occidentales ont prétendu que la « structure mentale » des Arabes était incompatible avec cette forme d‟art : l‟esprit arabe, atomiste et individualiste, serait incapable de l‟organisation élaborée et de la structuration nécessaires aux formes littéraires d‟envergure, comme l‟épopée ou le drame (Ben Halima). Indépendamment du fait que cette thèse découle d‟un préjugé raciste, elle est contredite par les nombreuses réalisations intellectuelles (sciences religieuses, philosophie) et artistiques (architecture) des Arabes, impliquant toutes un esprit de synthèse et des facultés d‟organisation exceptionnelles (Khozai, 1984 : 3 ; Badawi, 1988 : 5). Certains justifient cette absence par une mythologie insufisamment développée (And), comme si le théâtre ne pouvait éclore que du mythe. Pour d‟autres (Tawfîq al-Hakîm, Zaki Tulaymat, Al-Raï), des facteurs environnementaux, comme les rudes conditions météorologiques dans le désert et le nomadisme avec ses pérégrinations continuelles, ses razzias et ses guerres intestines, expliquent que le climat n‟ait pas été propice à la naissance du théâtre, celui-ci ne se développant bien qu‟en milieu urbain. Or, le monde arabe s‟est sédentarisé et urbanisé dès la période omeyyade, encore plus sous les Abbassides, et même à la période préislamique il existait des centres urbains importants comme la Mekke et Ta‟if (Khozai, 1984 : 6 ; Badawi, 1988 : 4). On a également invoqué l‟interdiction faite aux femmes de se produire sur la scène (Landau), en oubliant que les théâtres grec, romain et médiéval recouraient au travestissement des acteurs pour les rôles féminins. Les raisons d‟ordre religieux ont été jugées convaincantes par certains chercheurs : le théâtre s‟appuie sur l‟existence d‟un conflit (conflit entre la volonté humaine et la toute- puissance divine, entre l‟individu et les valeurs ou lois d‟une société, conflit interne, etc.) et le musulman ne connaîtrait pas ces types de conflit à cause de sa conception autocratique de Dieu et de sa soumission au destin (Aziza, Khozai). Nonobstant la compréhension assez simpliste de l‟islam que cela implique, c‟est réduire le théâtre à la seule tragédie, la comédie 4 n‟étant pas basée sur un conflit (Badawi, 1988 : 4). D‟autres invoquent l‟interdit de la représentation : l‟islam n‟aurait pas toléré qu‟on rivalisât avec Dieu, seul façonnier des images (Amin, Hunayn). Or le Coran et le hadith ne condamnent pas univoquement la peinture et la sculpture, et l‟islam a d‟ailleurs très tôt toléré les images (miniatures, fresques) lorsque tout soupçon d‟idolâtrie était écarté (Khozai, 1984 : 8-13 ; Badawi, 1988 : 4). Quelques-uns optent pour des raisons à la fois historiques et esthétiques (Sayed Attia Abul Naga). Dans le monde méditerranéen, la littérature dramatique était tombée en décadence pendant l‟époque romaine et avait disparu. Les Arabes ne trouvèrent donc pas d‟exemples vivants de cet art dans les pays dont ils firent la conquête. Certes, ils auraient pu s‟inspirer du patrimoine théâtral légué par la Grèce antique comme ils furent profondément influencés par la philosophie et les sciences grecques, mais la critique littéraire privilégiait la poésie, seul art par excellence. Au Xe siècle, le texte de l‟Ars poetica d‟Aristote fut traduit du syriaque en arabe par Abû Bishr Mattâ et Yahyâ ibn „Adî. 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