Volume ! La revue des musiques populaires 14 : 2 | 2018 Watching Music « On n’é

Volume ! La revue des musiques populaires 14 : 2 | 2018 Watching Music « On n’écoute que des clips ! » Penser la mise en tension médiatique de la musique à l'image “We Only Listen to Music Videos!” Adressing the Media Tension Between Music and Image Marc Kaiser et Michael Spanu Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/volume/5658 DOI : 10.4000/volume.5658 ISSN : 1950-568X Éditeur Association Mélanie Seteun Édition imprimée Date de publication : 26 avril 2018 Pagination : 7-20 ISBN : 978-2-913169-44-9 ISSN : 1634-5495 Référence électronique Marc Kaiser et Michael Spanu, « « On n’écoute que des clips ! » Penser la mise en tension médiatique de la musique à l'image », Volume ! [En ligne], 14 : 2 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 11 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/volume/5658 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ volume.5658 L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun « On n’écoute que des clips ! » Introduction 7 14 2 Introduction « On n’écoute que des clips ! » Penser la mise en tension médiatique de la musique à l’image Par Marc Kaiser (Université Paris 8) et Michael Spanu (Université de Lorraine) Les clips semblent aujourd’hui omni- présents. Ils sont diffusés par une multitude de canaux généralistes ou dédiés, selon divers formats et thématiques, dans quantité de pays. Ils sont non seulement visibles à la télé- vision et dans de nombreux espaces publics (parfois même sans son), mais également sur d’innombrables écrans via internet. Les clips occupent une place prépondérante dans la médiatisation d’événements musicaux, notamment les festivals, les concerts ou les séances studio. Ils participent au lan- cement d’exposition 1 et sont même deve- nus objets muséaux (Vicet, 2017). Les tech- niques et les codes cinématographiques sont 1 Par exemple, le très érotique Sade. Attaquer le soleil pour lancer l’exposition consacrée à Sade au Musée d’Orsay (2014-2015). mobilisés pour leur réalisation et vice versa 2. De plus, de grands réalisateurs de clips sont aujourd’hui passés au cinéma, tandis que d’autres reviennent au clip après l’avoir long- temps délaissé. Certaines réalisations audio- visuelles reconnues sont désormais l’œuvre de musiciennes et de musiciens (le plus connu actuellement étant sans doute Woodkid). On voit même des artistes contemporains se servir de clips pour créer de nouveaux morceaux (« youtube-digging »). Certains artistes vont jusqu’à partager un seul et même clip (Grems et Cheef). Ces nouvelles formes de représentation, comme les anciennes d’ailleurs, répondent à diverses logiques et politiques qui n’échappent pas à la censure (un bon exemple est celui de Romain Gavras, notamment ses réalisations Stress et Born free). Plus généralement, les mises en image des musiques populaires sont de plus en plus sophistiquées, et les performances de plus en plus poussées et recherchées. Cette course effrénée est particulièrement visible en France, où une French touch du clip est à l’œuvre depuis de nombreuses années, de Jean-Baptiste Mondino avec Madonna dans les années 1980 à We are from LA ou J.A.C.K. plus récemment. Parallèlement, il est devenu possible de réaliser et de diffuser un clip soi-même, favorisant l’essor d’esthétiques plus « brico- lées ». Les clips apparaissent dès lors comme un nouveau support d’expression pour les musiciens amateurs, transformant parfois d’illustres inconnus en stars mondiales. Les derniers clips (qui se veulent interactifs) 2 Pensons par exemple à l’usage de la slow motion, si bien adaptée à une forme de contemplation musicale et que l’on retrouve aujourd’hui dans le cinéma. 8 Marc Kaiser & Michael Spanu viennent compléter une panoplie de dispo- sitifs (sites internet, réseaux sociaux, blogs, etc.) afin de répondre à une segmentation grandissante des pratiques médiatiques révélatrice d’un public pluriel. Aussi, et surtout, le numérique est venu bouleverser l’écosystème du clip : si le « vidéoclip » des années 1980 a représenté en quelque sorte l’âge d’or pour les industries discographique et télévisuelle, une nouvelle économie a émergé autour de sa culture sur internet. Les majors du disque ont créé leurs propres services d’hébergement de clips (Vevo), dans une tentative de monétiser les clips 3 et de compenser le value gap 4, tandis que les recettes publicitaires liées aux vidéos musicales générées par les utilisateurs (« Harlem Shake », « Lisztomania » spin-off, etc.) dépassent parfois les revenus générés par les clips officiels. Plus récemment, les vidéos musicales ont permis d’annoncer la sortie d’opus (« Quand c’est » de Stromae, « Basique » d’Orelsan), alors même que certains des albums des artistes les plus populaires sortent sans promotion, chaque chanson pouvant malgré tout être accom- pagnée d’un clip, comme l’illustre le cas emblématique de Lemonade de Beyoncé. Aujourd’hui, certains artistes envisagent leur musique comme des œuvres audiovi- suelles avant même d’avoir commencé à composer. Et il est bien difficile, en tant que 3 Malgré des recettes en hausse, cette tentative reste fragile, car entièrement dépendante de la publicité et de la plateforme YouTube qui prélève une commission. 4 Autrement dit, le transfert de valeur entre plateformes digitales et ayants droit. Voir aussi Scherzinger (2016), Guibert et al. (2016), Bouquillon et al. (2013). spectateur, de séparer ce qui serait l’œuvre principalement sonore (par exemple l’album) de sa dimension visuelle, comme dans le cas de Biophilia de Björk. Comme le remarquait déjà au début des années 2010 le rappeur/producteur de freestyles filmés Didai : « aujourd’hui la musique se regarde plus qu’elle ne s’écoute. On n’écoute que des clips ! » (Mehdi, 2011) C’est là une parole particulièrement révé- latrice, éloignée de tout textualisme auquel le rap est parfois associé d’une part, et qui touche toutes les musiques dont les modes de perception ont été affectés par l’arrivée d’internet d’autre part. En effet, comme beaucoup d’artistes de sa génération, Didai constate à quel point ses fans sont attachés à sa musique par le biais des clips diffusés sur internet, notamment sur le site YouTube. Si le clip est bel et bien une marchandise « échouée », comme le défend David Buxton dans ce numéro de Volume !, sa consomma- tion symbolique reste prépondérante dans la manière dont se forme et se ritualise le goût musical. De fait, aujourd’hui, le strea- ming vidéo représenterait plus de la moitié (55 %) de la musique consommée en strea- ming, dont l’écrasante majorité proviendrait de YouTube (IFPI, 2017). Le clip « Hello » d’Adele a par exemple été écouté sur cette plateforme « près de 2,3 millions de fois sur une seule journée » (Richard, 2015). Ces chiffres sont à prendre avec du recul, certes. Ils témoignent de l’intérêt des grands labels à mettre en avant l’importance des plate- formes d’écoute en ligne (dont le clip est une des pierres angulaires) puisqu’ils en sont actionnaires le plus souvent. En ce sens, le clip est nécessairement imprégné de logiques commerciales propres à l’industrie musicale, sans pour autant s’y réduire, comme nous « On n’écoute que des clips ! » Introduction 9 14 2 le verrons. Mais c’est cette imprégnation qui constitue une de ses spécificités dans l’histoire complexe des représentations matérielles et visuelles de la musique. Le présent numéro de la revue Volume ! a pour but premier de faire un état des lieux des recherches portant sur cet objet qui touche, par définition, de nombreuses disciplines et méthodes. Il fait suite au colloque organisé en décembre 2016 à la Philharmonie de Paris, en partenariat avec le Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internatio- nalisation (CEMTI) de l’université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, la Maison des Sciences de l’Homme Paris nord et l’Institut national de l’audiovisuel (Ina). Ce colloque a permis de réunir des chercheurs issus de divers pays et champs d’études. Les articles compilés ici offrent des pistes heuristiques pour appréhender cet objet protéiforme qui répond à la fois aux logiques des industries et des marchés de la culture, ainsi qu’à des préoccupations esthétiques, politiques ou sociales. Le clip, une histoire encore à faire Avec l’avènement de MTV et des émissions télévisées spécialisées dans les années 1980 – déjà plus de 200 à cette époque en Europe et aux États-Unis (Lange, 1986) – le clip a d’abord été appréhendé selon des approches se voulant postmo- dernes (Kuan-Hsing, 1986 ; Fiske, 1984 & 1986 ; Kaplan, 1988 ; Grossberg, 1988), puis selon des questionnements critiques (Turner, 1983 ; Hodge, 1984 ; Laing, 1985), esthétiques (Burns & Thompson, 1987), culturels (Lang, 1985 ; Aufderheide, 1986 ; Brown, Fiske, 1987 ; Goodwin, 1992, 1993) ou de genre et de race (Brown & Schulze, 1990 ; Walser, 1993 ; McDonald, 1997). Dans l’article pionnier de Will Straw (1988) traduit dans ce numéro, les travaux insistant sur les logiques télévisuelles en œuvre à cette période sont questionnés au profit d’une analyse basée sur l’histoire de la pop et du mainstream, des innovations et des formats. Le clip y est vu comme par- ticipant du « démantèlement du lien entre chanson, album et identité de l’interprète, une cohérence d’ensemble qui avait été au cœur de la signification des musiques rock/ pop des années 1970 », tout en nourrissant un rapport logique à l’histoire des formes. Les cadres d’identité de la uploads/s3/ on-n-x27-ecoute-que-des-clips-penser-la-mise-en-tension-mediatique-de-la-musique-a-l-x27-image.pdf

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