NOTE DU TRADUCTEUR V OICI un poème terrible, né de l'angoisse qu'éprouve l'homm

NOTE DU TRADUCTEUR V OICI un poème terrible, né de l'angoisse qu'éprouve l'homme de notre temps. Jamais l'a(Jentu.re poétique n'a poussé aussi loin sa recherche; l' humaine condition y est mise à nue. Dès les premiers vers s'élèoe cette interrogation: « Qui donc pourrait venir à notre secours? Ni les anges ni les hommes. Et même les animaux avertis savent que nous ne sommes guère chez nous en ce monde des clartés définies. » Pendant des millénaires, l'homme a essayé de chasser la peur pour s'établir dans un monde de tout repos. Il n'a accepté que ce qu'il pouvait interpréter clairement. Dieu, l'amour, la mort, ces ouvertures sur la réalité, l'homme a usé le meilleur de ses forces à les ignorer. En agissant de la sorte, il croyait pouvoir se confection ner ce destin passe-partout qui est l'idéal des technocrates modernes. M ais, derrière l'aimable sourire des illusions, le poète est àssailli par toutes les forces de la nature et la beauté elle-même lui apparaît comme la porte de l'angoisse, « ce premier degré du terrible que nous supportons tout juste parce que, dans sa grandeur, peu lui chaut de nous détruire ». Au vrai, les Élégies de Duino ne sont que le résultat de l'expérience existentielle du poète. Ses angoisses ont été ses seules richesses. Il nous les livre dans une sorte d'im.prooisation. extraordinaire. Les découvertes d'une oie sont orchestrées dans un rythme parfois chaotique. Plus d'une fois Rainer Maria Rilke a confessé sa pauvreté et sa faiblesse. Rien ne lui eût été plus étranger que de vouloir surmonter ses propres impuissances dans la recherche d'une expression. parfaite. Tout au contraire, il repous sait cette tentation du style comme un péché contre la vé r i té , comme une de ces illusions dont les hommes aiment à se nourrir. De même qu'il a ooulii receooir sa mort a()ec toutes ses souf frances physiques en refusant tous les narcotiques que les médecins lui offraient, de même il a ooulu expri mer ses découvertes dans leur force première en acceptant d'a()ance tous les risques d'une telle entreprise. De là les obscurités de certains pas sages des Élégies de Duino. En guise de commentaire, il faudrait relire tous les livres de Rilke et surtout toutes ses lettres. Mais il suffit également, pour comprendre peu à peu le poète, de s'abandonner à son chant qui telle la musique « nous saisit, nous console et nous maintient ». LA PREMIÈRE ELEGIE Q UI donc, si je criais, m'écouterait dans les ordres des anges? Et même si l'un d'eux me prenait soudain sur son cœur, je périrais sous le coup de son existence tellement plus forte que la mienne. Car le beau n'est que la porte de l'angoisse, ce seuil dont nous approchons tout juste, et, nous l'admirons tant parce que, dans sa grandeur, peu lui chaut de nous détruire. Tout ange est d'angoisse. Je me contiens donc et je ravale le cri de mon obscur sanglot. Ah, qui pourrait venir à notre secours? Ni les anges ni les hommes. Et même les animaux avertis savent que nous ne sommes guère chez nous en ce monde des clartés définies. Peut-être nous restera-t-il quelque arbre sur la pente que nous puissions revoir tous les jours. Il nous reste la route d'hier et la fidélité d'une habitude que nous avons choyée pour qu'elle se plaise chez nous et ne nous quitte plus. Oh! et la nuit, la nuit quand le vent lourd de l'espace cosmique ronge notre regard. A qui ne resterait-elle pas cette nuit toujours désirée? Doucement décevante, elle est l'épreuve à laquelle nul cœur n'échappe. Est-elle plus légère. aux amants? Hélas, l'un à l'autre, Ils se cachent seulement leur destin. Ne le sais-tu pas encore? Confie le vide de tes bras aux espaces que nous respirons. Les oiseaux, dans les arcanes de leur vol, sentiront peut- être les airs élargis. Oui, les printemps avaient besoin de toi. Tant d'étoiles t'invitaient à les découvrir. Du fond de ta mémoire, une vague accourait vers toi, ou bien, quand tu passais devant une fenêtre ouverte, le chant d'un violon t'appelait. Tout cela était mission pour toi. Mais as- tu su l'accomplir? N'étais- tu pas toujours distrait par l'attente comme si toute chose t'annonçait une bien - aimée? (Où voudrais -tu l'abriter puisque grandes, étranges, les pensées entrent et sortent sans cesse chez toi et souvent demeurent pour la nuit.) Mais si tu es plein de désir, chante la louange de celles qui aiment; leur glorieux sentiment est loin d'êtreassez immortel. Tu les envies presque ces délaissées que tu as trouvées bien plus riches d'amour que celles qui étaient comblées. Redis toujours la louange, jamais atteinte. Songe: le héros se s. suffit, sa chute même n'est pour lui qu'un prétexte d'être, - sa dernière naissance. Mais, les amantes, la nature épuisée les reprend en son sein comme s'il n'y avait point en elle assez de force pour accomplir deux fois une telle performance. As-tu assez songé à Gaspara Stampa afin que toute jeune fille, abandonnée'par son bien-aimé, mais grandie par l'émulation, puisse s'écrier: Que ne suis-je comme elle! Ces douleurs antiques ne vont-elles pas enfin devenir plus fécondes? N'est-il pas temps de nous libérer de l'être aimé en l'aimant et de le dépasser, en vibrant, comme la flèche quit- tant la corde pour devenir serrée dans le jet, plus qu'elle-même. Car il . n'est de demeure nulle part. Des voix, des voix. Écoute, ô mon cœur, comme autrefois seuls les saints savaient écouter: l'appel immense les soulevait du sol mais eux , , à genoux,. les impossibles, n'y prêtaient point attention. C'est ainsi qu'ils écoutaient. Non que tu puisses supporter la voix de Dieu, loin de là ,~ais . ca~te le souffle, le message jamais Interrompu qui naît du silence. Voici maintenant venir à toi la :umcur de ceux qui sont morts trop Jeunes. Partout où tu entrais dans les églises de Rome ou de Naples, leur destin calmement t'observait ou une Inscription s'imposait à toi, sublime, comme naguère ce marbre à Santa Maria Formosa. Ce qu'ils me veulent? J'ai à effacer doucement l'apparence d'injustice qui parfois trouble un peu la pure démarche de leur esprit. Certes, il est étrange de ne plus habiter la terre, de ne plus exercer des usages à peine appris, de ne plus accorder aux roses et à tant d'autres choses, pleines de leurs propres promesses, le sens d'un avenir humain; de ne plus être ce que l'on fut dans des mains infiniment craintives et de délaisser son nom même comme un jouet cassé. Il est étrange de ne plus désirer ses désirs, étrange de voir voleter, dispersées dans l'espace, toutes ces choses qui étaient jointes. 11 est difficile de vivre dans la mort.Il faut retrouver beaucoup de choses x x perdues avant de sentir, peu à peu, quelque éternité. Mais les vivants font tous l'erreur de trop distinguer.Les anges, dit-on, ne sauraient sou- vent pas s'ils se meuvent parmi des vivants ou des morts. Le courant éternel charrie tous les âges à travers les deux royaumes et de sa grande voix COuvre leur rumeur chez les vivants et chez les morts. Après tout, plus n'ont besoin de nous ceux qui sont morts trop jeunes. Ils perdent doucement le goût de la sève terrestre comme, en grandissant, on oublie le sein de sa mère. . Mais nous qui avons tant besoin de grands secrets, nous, chez qui si souvent un progrès bienheureux naît d'un deuil, comment serions-nous sans eux? Serait-ce une vaine légende qu'au- trefois dans la complainte pour Linos la première vague de musique transperça la rigidité stérile, et que dans l'espace épouvanté, qu'un adolescent presque divin venait de quitter à jamais, le vide se mit à vibrer de ce mouvement qui, aujourd'hui, nous saisit, nous console et nous maintient LA DEUXIEME ELEGIE tOUT ange est d'angoisse. Oiseaux presque mortels de mon âme, malheur à moi, qui vous invoque en sachant qui vous êtes. Où sont les jours de Tobie? Alors l'un des plus resplendissants d'entre vous, debout devant la porte toute simple de la maison, à peine travesti pour le voyage, cessait déjà d'être effroyable. (Adolescent simplement pour cet autre adolescent au regard curieux.) Mais aujourd'hui sil'archange, le dangereux, par delà les étoiles, des cendait vers nous d'un seul pas, notre propre cœur en s'élançant, ver.s l.ui de son battement nous anéantirait, Qui êtes- vous? Vous, accomplis si tôt, vous les enfants gâtés de la création, chaînes aux neiges d'éternité, crêtes de l'aurore de toute création, pollen de la divinité en fleur, articulations de la lumière, galeries, escaliers, trônes, espaces nés de l'être, boucliers de délices, tumultes d'extases orageuses et, soudain, vous voici, seuls, miroirs: votre propre beauté répandue, vous la repuisez pour la rendre à votre visage. Pour nous, sentir c'est nous volatiliser. Hélas, dans le souille même nous nous perdons et d'un brasier à l'autre notre essence s'affaiblit. Quelqu'un nous dit bien alors: Tu pénètres dans mon sang. Cette chambre, ce printemps s'emplissent de toi ... En vain, il uploads/s3/ rainer-maria-rilk-elegies-de-duino-francais-pdf-free.pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager