5 avril › 25 sept. 2011 3 VAUDOU D’AFRIQUE : UN CULTE RELIGIEUX ANCIEN En Occid

5 avril › 25 sept. 2011 3 VAUDOU D’AFRIQUE : UN CULTE RELIGIEUX ANCIEN En Occident, peu de sujets sont aussi chargés de mystère et entachés d’incompréhension. Le vaudou est un culte religieux ancien et une tradition philosophique originaire de la « côte des Esclaves » d’Afrique occidentale. Aujourd’hui, il est encore pratiqué de la côte du Togo à l’Ouest du Nigeria. Avec la traite des esclaves, aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce culte s’est propagé jusqu’aux Caraïbes ainsi qu’en Amérique du Nord et du Sud où il s’est mêlé au catholicisme et à d’autres traditions religieuses. La cosmogonie vaudou est organisée autour d’esprits et de figures d’essence divine, selon une hiérarchie allant des divinités majeures – qui régissent la société et les forces de la nature – aux esprits des ruisseaux, des arbres et des rochers. Les adeptes du vaudou pensent qu’il y a un lien entre le monde visible des vivants et celui, invisible, des esprits, et que ces mondes peuvent communiquer par le sacrifice, la prière, la possession et la divination. Le terme « vaudou » a connu différentes orthographes au fil des siècles (vodou, vodun, vaudoun) mais sa première apparition sous forme écrite remonte à 1658, dans la Doctrina christiana, ouvrage rédigé par l’ambassadeur du roi d’Allada à la cour de Philippe IV d’Espagne. Ce terme a été traduit de diverses manières par les spécialistes à travers l’histoire. Certains ont établi un lien entre le mot de la langue Ewe vo, qui signifie « trou » ou « ouverture » – par rapport à quelque chose de caché, de secret –, et du, qui désigne des signes divinatoires ou des messagers. « Vaudou » signifierait alors « messager de l’invisible ». Récemment, Suzanne Preston Blier, professeur à l’université de Harvard, a suggéré que ce terme pourrait trouver son origine dans l’expression « se reposer pour puiser de l’eau » en langue Fon, à partir des verbes vo (« se reposer ») et dun (« puiser de l’eau »), signifiant allégoriquement « la nécessité de rester calme quelles que soient les difficultés auxquelles chacun peut être confronté ». L’ART DU VAUDOU : LES SCULPTURES BOCIO Salut à celui qui vient de dénouer l’énigme des enlacements. Chaque fois qu’on défait un nœud, on sort un Dieu. 1 Les sculptures bocio sont reliées à l’énergie des divinités vaudou. Dans ce culte, elles sont les intermédiaires entre le monde visible et le monde spirituel. Assemblages d’éléments hétéroclites – cordes, ossements, coquillages et mèches de cheveux – recouverts d’une épaisse couche de matière pouvant être faite d’argile, d’huile de palme et de matériaux sacrificiels, ces statues étranges et mystérieuses dégagent un sentiment de tension et d’appréhension. Utilisées dans le but de nuire et /ou de protéger, elles sont susceptibles de modifier le cours des existences. Leur force est à la fois visuelle et métaphysique, comme l’indique leur nom, bocio, qui signifie « cadavre (cio) doté de pouvoirs (bo) ». Disposées à l’intérieur des maisons et des temples, ou en plein air dans les villages, les champs ou aux croisements de routes, on leur attribue des fonctions variées et complexes, à l’image des intentions de leurs commanditaires. Certaines sont destinées à protéger les récoltes, d’autres à encourager la fertilité, d’autres encore à défendre la famille contre la sorcellerie. Objet alchimique, la statuette vaudou est constituée de remèdes ou de matériaux investis de pouvoirs particuliers, qui recouvrent sa surface ou lui sont intégrés. Les éléments qui entrent dans sa composition ainsi que son mode de fabrication sont déterminés par le devin après consultation de son commanditaire. Cette accumulation énigmatique matérialise les pensées humaines et les sentiments les plus profonds : la jalousie, la peur, la douleur, le désespoir, la méfiance, l’amour. Ainsi, le fait de nouer des cordes autour d’une statuette peut être associé à la colère et à l’emprisonnement, l’insertion de taquets en bois à la volonté d’aller au cœur d’un problème et l’ajout de cauris à l’attente ou au désir. Les ingrédients utilisés pour fabriquer les statuettes sont secrets et leurs sens sont multiples, si bien que seuls quelques initiés en connaissent le contenu et la destination exacts. JACQUES KERCHACHE : UN EXPLORATEUR ESTHÈTE Nous cherchions sur la carte les endroits où il n’y avait pas de route, et c’est là que nous partions. 2 Explorateur et expert autodidacte, Jacques Kerchache (1942-2001) est célèbre pour son œil exigeant et pour sa connaissance des arts premiers qu’il a développée à travers ses nombreux voyages en Afrique, puis en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Dès la seconde moitié des années 1960, il entame une série d’expéditions sur le continent africain, partant à la recherche de pièces rares et remarquables ainsi que des grands artistes qui les ont créées. C’est à cette époque, lors de ses premiers voyages dans l’actuelle République du Bénin, berceau du vaudou, qu’il reconnaît la puissance esthétique et l’originalité plastique de la statuaire vaudou et qu’il commence à réunir ce qui est devenu aujourd’hui l’une des plus importantes collections de sculptures vaudou africaines. Fréquemment sollicité en tant que conseiller artistique et commissaire d’exposition, Jacques Kerchache a fortement encouragé les musées français à dépasser une approche essentiellement ethnographique des arts premiers et à les considérer pour leur valeur esthétique universelle. C’est à son initiative que furent créés à Paris en 2000 le pavillon des Sessions du Louvre, dévolu aux arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, et en 2006 le musée du quai Branly consacré aux arts premiers. Ce même esprit d’ouverture a également conduit Jacques Kerchache à collaborer à de nombreuses reprises avec la Fondation Cartier, comme conseiller pour les expositions thématiques À visage découvert (1992) et être nature (1998) ou encore en contribuant au cata logue de l’exposition de l’artiste haïtien contemporain Patrick Vilaire, Réflexion sur la mort (1997). L’EXPOSITION VAUDOU À la suite de ces collaborations, Jacques Kerchache et la Fondation Cartier ont commencé à préparer une exposition consacrée à la statuaire vaudou africaine, mais ce projet a été suspendu suite au décès du collectionneur en 2001. Pour commémorer le dixième anniversaire de sa disparition, la Fondation Cartier réalise l’exposition dont rêvait Jacques Kerchache. Organisée avec Mme Kamal Douaoui, qui a été l’épouse de Jacques Kerchache jusqu’à son décès, l’exposition dévoile au public cette fascinante et mystérieuse collection d’objets vaudou africains. La scénographie d’Enzo Mari permet à ces œuvres impénétrables de prendre la parole dans une présentation fondée sur une simplicité empreinte de sobriété et d’élégance. 1. Amadou Hampâté Bâ. 2. Jean-Pierre Lang. Extrait de « Le Secret intérieur », entretien avec Jean-Pierre Lang, in Jacques Kerchache. Portraits croisés, Gallimard, Paris / musée du quai Branly, Paris, 2003. La Fondation Cartier pour l’art contemporain présente un ensemble exceptionnel d’objets vaudou africains issus de la collection Anne et Jacques Kerchache, à travers une scénographie conçue par Enzo Mari, l’un des grands maîtres du design italien. Avec près d’une centaine de bocio dont certains appartiennent désormais à d’autres collections privées, Vaudou est la première grande exposition consacrée exclusivement à ces sculptures traditionnelles d’Afrique occidentale. Réalisée en étroite collaboration avec Anne Kerchache – aujourd’hui Mme Kamal Douaoui –, l’exposition réunit aussi les notes, lettres et photographies de Jacques Kerchache en lien avec ses expéditions, ses recherches sur le vaudou et ses projets d’exposition des arts premiers dans les musées français. Les films d’archives de ses voyages permettent d’explorer le vaudou dans son contexte et de porter un nouveau regard sur un art qui reflète les préoccupations universelles et éternelles de l’humanité. 4 PARCOURS DE L’EXPOSITION : ENTRETIEN AVEC ENZO MARI La Fondation Cartier a invité Enzo Mari, dont le travail se caractérise par un rationalisme subtil et une économie de formes, à créer la scénographie de l’exposition Vaudou. Grazia Quaroni : La première fois que nous vous avons parlé de ce projet d’exposition, nous avons découvert que le vaudou n’était pas un sujet qui vous était totalement inconnu. Enzo Mari : Non, c’est vrai, j’ai eu l’occasion d’en faire l’expérience au cours d’un voyage. V ers la fin des années 1990, je me suis rendu au Brésil, à Bahia, dans une communauté d’origine africaine d’une extrême pauvreté. Là-bas, j’ai participé à une fête célébrée pour un grand arbre, avec des chants et des danses. J’ai assisté à des scènes d’extase et d’évanouissement au cours de rituels initiatiques. Un coq a aussi été sacrifié. Les membres de la communauté vivaient dans de petites maisons, très modestes, construites très simplement. Ils m’ont raconté leur arrivée, lorsqu’ils sont partis d’Afrique, précisément de la région sillonnée par Jacques Kerchache. J’ai même eu l’opportunité de m’entretenir avec une prêtresse centenaire. Ils m’ont montré leurs divinités, qui constituaient des remèdes contre les souffrances de la vie, de la guerre… Il s’agissait de petits objets, très simples. J’ai été très intéressé par ces fétiches, qui étaient pour eux plus des médecines que des œuvres d’art. Quand je suis rentré, j’ai lu des livres sur le sujet, vu des films. Ainsi, lorsque j’ai commencé à travailler sur l’exposition, le vaudou ne m’était pas totalement étranger, bien qu’il uploads/s3/ vaudou.pdf

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