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2,00 € Première édition. No 12032 Mercredi 12 Février 2020 www.liberation.fr IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA. Claire Bretécher dans son atelier parisien vers 1977. Photo Michel Quenneville –Dessin éditions Dargaud MENSTRUATIONS Les députés se mettent en règles pages 14-17 Bretécher libre comme claire La dessinatrice française, qui avait imposé son trait satirique et féministe avec «les Frustrés» ou «Agrippine», est morte lundi à 79 ans. pages 2-5 2 u Libération Mercredi 12 Février 2020 C laire Bretécher, morte lundi à 79 ans (elle était née à Nan- tes le 7 avril 1940), fut plus qu’une auteure majeure de l’his- toire de la bande dessinée franco- phone. Elle en fut un des personna- ges. Non par ses frasques en dehors de son métier, mais, au contraire, par la façon dont elle influença la bande dessinée : par le rôle qu’elle y attribua aux femmes qui n’en étaient certes pas toujours les héros les plus récurrents, et par le rôle qu’elle attribua aux auteurs qui étaient souvent entre les mains des éditeurs avant qu’elle n’ait l’idée, le courage et l’efficacité de s’autoédi- ter en 1975 pour les Frustrés, sans doute son œuvre la plus célèbre, alors prépubliée hebdomadaire- ment dans le Nouvel Observateur (ancêtre de l’Obs). Dans les an- nées 60, la future auteure d’Agrip- pine collabore à la fois à Tintin, Spi- rou et Pilote, ce qui n’était pas à la portée de tout le monde. Frisée aux lardons Dans Libération, la féministe ra- conte paradoxalement en 1998 : «J’ai toujours été bien reçue, sauf à Elle. Ce fut horrible. J’aurais adoré bosser là-bas, mais elles m’ont jetée sans ménagement.» Apparaît en 1969 son personnage Cellulite, fameuse princesse auprès de la- quelle les princes charmants ne se bousculent pas. Et, en 1972, elle fonde avec Gotlib et Mandryka l’Echo des Savanes, ouvrant une nouvelle aventure de presse. Elle dessine aussi à partir de 1973 les Amours écologiques du Bolot occi- dental (le Bolot occidental étant une sorte de chien hypersexué) pour le Sauvage, magazine écolo - gique précurseur faisant partie du même groupe que le Nouvel Observateur. Mais c’est évidemment les Frustrés qui va, dans les années 70, assurer Par Mathieu Lindon éditorial Par Laurent Joffrin Ironie Un trait noir au laser, une langue aussi colorée que ses planches, des personnages plus vrais que la vie et, surtout, l’humour, cette arme absolue, le véritable humour, qui consiste à se moquer de soi-même autant que des autres : telle était la ligne Claire. Bretécher rejoint le petit panthéon de la BD, près de Goscinny, Cabu, Pétillon ou Wolinski, dans cet aréopage mas- culin où elle s’est hissée en pion- nière et en femme libre. On sait que ses courts dessins valaient mieux qu’une thèse de sociolo- gie, pour comprendre cette société qu’elle observait de son tendre regard d’acier. Mais l’es- sentiel reste son talent, tout de subtilité lucide, qui influence encore aujourd’hui la fine fleur du neuvième art. Cellulite, Agrippine, les Frustrés, symboles d’une époque, ont traversé le temps, personnages d’il y a vingt ou trente ans plus contemporains que tant de nouveaux venus. C’était aux temps de la gauche en ascension, quand le Nouvel Observateur («le Nouveau Snob- servateur», disait-on) donnait le la, non du parisianisme, mais d’un humanisme plutôt bien- veillant, brillant et drôle, plus curieux et incertain que donneur de leçons, hebdomadaire capable de faire son étendard d’une BD qui le moquait sans relâche. Dans cet environnement d’un machisme courtois et discret, celui de la gauche intellectuelle, Bretécher dessinait la cause des femmes sans militer, par la seule force du rire, libérait la parole sans emphase, par la corrosion douce-amère de l’ironie. Son coup de crayon en disait plus et mieux que tous les coups de gueule. Elle goûtait avant tout le calme de son Aventin, qui était une tour de guet. Indépendante, distanciée, ennemie de l’esbroufe et de la solennité, elle voyageait dans son époque en solitaire entourée. Une génération fémi- nine lui doit une hilarante péda- gogie de l’émancipation. Elle referme son carton à dessin. Celui qui a ouvert la voie.• Événement Bretécher, belles bulles rebelles De Cellulite aux «Mères», en passant par Agrippine et les «Frustrés», l’auteure morte lundi a imprimé une marque considérable dans le paysage de la BD française, mêlant sans concession humour et observations sociologiques acides. la gloire grand public de Claire Breté- cher (elle partagea avec Georges Pe- rec une ambiguïté : on ne savait ja- mais sur quel «e» mettre un accent aigu dans son patronyme. Eh bien c’est sur le deuxième, alors que pour Perec c’est sur aucun). En une page hebdomadaire, elle s’attaque aux ridicules de la bien-pensance de gauche, celle-là même qui est cen- sée lire le Nouvel Observateur, ne s’excluant pas de ses propres mo- queries, en particulier quand elle dessine l’auteure à sa table de tra- vail et prête à tout pour ne pas y res- ter (un petit verre, un petit tour aux toilettes) avant de s’y retrouver sans que ce travail ait avancé d’un pouce. Mais l’idée même de faire de la bande dessinée un instrument de pure critique sociale est une nou- veauté. Il n’y a pas d’autres aven - tures extraordinaires à côté des- quelles cet aspect satirique apporte une touche d’amusement supplé- mentaire : cette sociologie de ses personnages est le Suite page 4 Libération Mercredi 12 Février 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3 «J’ avais une expression pour Claire Bretécher, je l’appelais “Notre- Dame-de-la-BD”. Parce qu’elle était unique, parce que non seulement elle était grande mais c’était peut-être même la plus grande.» Blutch parle de Claire Breté- cher de façon saccadée, par à-coups. Avec prudence et émotion. Depuis une dizaine d’années, il la retrouvait régulièrement en compagnie de Catherine Meurisse, Martin Veyron et René Pétillon. Equipe réunie en 2015 autour d’une grande rétrospective Bretécher à la BPI du centre Pompidou. «Pionnière». Catherine Meurisse parle de l’auteure des Frustrés avec la même révé- rence. «C’était un mo- dèle. On peut puiser à l’infini dans son œuvre tellement il y a une acuité, une intel- ligence dans la façon dont elle traite des su- jets du XXe siècle. Je crois qu’on mesure mal la modernité de son travail. Dans le Destin de Monique, c’est stupéfiant : ça paraît en 1983 et elle parle déjà de PMA, de GPA… Autant d’intel- ligence et de comique, c’est forcément inspi- rant. Mais ce que j’ aime le plus chez elle, c’est qu’elle n’était pas militante. Son travail était féministe, ses personnages aussi, mais elle ne portait pas cette cause en bandou- lière. C’était à la fois une pionnière et quel- qu’un qui montrait qu’on n’était pas obligé de tout afficher, de tout souligner. Surtout, il ne faut pas réduire Claire au fait qu’elle était l’une des rares femmes connues du mi- lieu de la bande dessinée. C’était d’ abord une auteure majeure, l’égale d’un Sempé ou d’un Cabu.» Assumant pleinement l’influence de Breté- cher sur son travail, Terreur graphique parle d’elle comme d’un modèle aussi décisif que Pétillon et Lauzier : «Une artiste d’autant plus exceptionnelle qu’en plus de surnager dans un milieu hyper masculin, elle avait réussi à se hisser hors du seul monde de la bande dessinée. Ce n’est quand même pas rien quand Roland Barthes parle d’elle comme de la première sociologue de France.» «On était tous jaloux, on l’enviait d’avoir réussi à dépasser le ghetto de la bande dessi- née, rigole le dessinateur Martin Veyron. Mais elle était sacrément fortiche.» Du dessin de Bretécher, Catherine Meurisse retient «ce mélange d’indolence et d’insolence dans le trait. Derrière la langueur, il y a un travail de dessin phénoménal, une maîtrise inégalable». Le maestro Blutch, lui, utilise le mot «griffe». «Mais sensuelle. Il y a une vraie science derrière ce trait sans fausse note.» Dans Variations, exercice de style dans le- quel il se glissait dans le dessin de grands au- teurs, il avait repris deux pages des Frustrés. «Ce n’était pas du gâteau. C’est toujours plus difficile de reprendre un dessinateur qui est dans une grande économie de moyens dans le traitement graphique. Mais Bretécher, c’était aussi – surtout même – une verve. Des saillies incroyables. Elle écrit très très bien, et ce n’est pas si courant en bande dessinée.» «Phare». Quand on évoque le fait que, peut-être, après avoir été connue de tous, le phénomène Bretécher s’était un peu dissipé pour les générations nées après les an- uploads/s3/ libe-ration-12-02-20.pdf
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- Publié le Apv 05, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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