1923-24 « La Villa della Rocca », à vrai dire la villa de M. Raoul La Roche (bâ
1923-24 « La Villa della Rocca », à vrai dire la villa de M. Raoul La Roche (bâtie en mitoyenneté avec celle d’Albert Jeanneret, à Paris, au Square du Docteur Blanche). On dit « Villa della Rocca » pour signaler qu’avec des matériaux de maisons ouvrières on était arrivé, avec l’invention et la proportion, à créer un événement architectural indéniable. Cette villa abritait la fameuse collection cubiste de Raoul La Roche. Ces deux maisons jumelles donnèrent lieu à l’apparition d’une « polychromie architecturale » toute nouvelle : blanc, noir, rouge, bleu, rose, etc. La polychromie architecturale est un événement spécifique ; elle est la conséquence naturelle, spontanée (pour un esprit découvreur) du « plan libre » introduit par le béton et l’acier et par la conception « biologique » de l’architecture moderne. Le Corbusier L’Atelier de la Recherche patiente Villa La Rocca “ ” Maison La Roche, le hall. Photo Fred Boissonnas 1926 – FLC L2(12)78 2 • Raoul A. La Roche collectionneur et client Villa La Rocca e me suis rendu à la villa La Roche pour la première fois en 1962, à l’âge de onze ans en compagnie de mon père, neveu de Raoul La Roche. Nous découvrîmes le maître de maison installé dans son fauteuil dans la galerie comme on peut le voir sur la célèbre photo de Frédéric Boissonnas. Ce jour là le temps était gris et les très nombreux tableaux modernes, dont certains étaient posés directement sur le sol donnaient à la pièce un caractère médiéval. L’oncle Raoul avec ses cheveux blancs me sembla très âgé ; il s’exprimait avec un accent pro- noncé. Il était très gentil avec nous les jeunes et à Noël il nous comblait de cadeaux. Né en février 1889, Raoul Albert La Roche grandit à Bâle dans une famille de la bourgeoisie locale en compagnie de son frère aîné, Louis, et de sa sœur Emilie. Son milieu fami- lial était plutôt conservateur mais en même temps très ouvert à la culture et aux arts. Après sa scolarité, comme cela se faisait souvent à l’époque, le jeune bâlois effectua un séjour en Suisse romande, à l’Ecole de commerce de Neuchâtel, non loin de La Chaux-de-Fonds, ville natale de Le Corbusier. En 1912, à l’âge de 23 ans, il partit à Paris travailler pour la Banque Suisse et Française BSF S.A. qui devint en 1917 le Crédit Commercial de France. Il devait y rester jusqu’à sa retraite en 1954. Raoul A. La Roche collectionneur et client PHILIP SPEISER 25 Rittergasse, Bâle J Raoul La Roche dans la galerie, 1930 – FLC L2(12)104 Portrait de Raoul La Roche Photo Sartiny Villa La Rocca Raoul A. La Roche collectionneur et client • 3 Il appréciait énormément le mode de vie des Français. Durant ses loisirs, il entreprenait de longues promenades afin de découvrir les beautés de Paris et de ses environs, souvent accompagné de compatriotes qui, comme lui, avaient choisi d’y vivre et d’y travailler. Fidèle à son pays natal il fréquentait les Déjeuners Suisses qui se tenaient tous les mois à l’Hôtel Roncery. En 1917 il rencontra l’ingénieur-entre- preneur Max Du Bois. C’est par son intermédiaire que La Roche fit la connaissance de Charles-Édouard Jeanneret en 1918. Il fut séduit par la peinture de celui qui signait encore Jeanneret et de son ami Amédée Ozenfant qui étaient en train de jeter les bases du purisme. Les couleurs et les formes épurées de cet art l’enthousiasmèrent, il en appréciait l’effet apaisant. Ces œuvres devaient occuper plus tard une place à part dans sa collection. Homme aisé mais d’une grande modestie, La Roche les identifiait à la simplicité de son mode de vie et il en fit ses compagnes. Il se lia d’amitié avec les deux artistes, commença à acheter leurs toiles et les aida à l’occasion financièrement, notamment pour éditer la revue l’Esprit Nouveau qui fut publiée de 1920 à 1925. Constituée à l’origine uniquement d’œuvres se rattachant au purisme, la collection La Roche prit une ampleur considérable à partir de 1921, sur les conseils de Le Corbu- sier. À cette époque en effet furent organisées les célèbres « ventes Kahnweiler » qui se déroulèrent – comme le rapporte Pierre Assouline dans l’ouvrage qu’il consacre au galeriste – dans des conditions scan- daleuses. Au lieu de conduire à des enchères élevées dignes de la qua- lité de la collection de Kahnweiler ces ventes massives eurent pour effet de brader des chefs-d’œuvre. La Roche ne participa pas directe- ment aux ventes, mais il a dû certai- nement discuter préalablement avec ses conseillers du choix des pièces à acquérir. Selon le témoignage que Catalogue de vente de la collection Kahnweiler (exemplaire de Raoul La Roche) La Roche avec la famille de sa sœur Speiser-La Roche, et avec sa sœur, sa petite nièce et ses petits neveux 4 • Raoul A. La Roche collectionneur et client Villa La Rocca nous en a laissé La Roche, Le Corbusier l’aurait poussé à ne pas acheter d’impressionnistes – ceux-ci atteignaient déjà des prix élevés à l’époque –, mais d’attendre plutôt les ventes d’art vraiment moderne, en particulier des toiles cubistes, ce qui lui permettrait d’acquérir à bon marché et sans réelle concurrence des œuvres de premier ordre, les marchands et les collectionneurs renommés ayant épuisé leur budget dans l’achat de tableaux impressionnistes. Le calcul de Le Corbusier se révéla judicieux. C’est ainsi que les deux artistes, excellents connaisseurs du milieu artistique, ont pu faire l’acquisition de peintures de très grande qualité de Picasso, de Braque et de Léger, couvrant la période 1907 à 1914, et qui constituèrent le premier ensem- ble cubiste de la collection La Roche. Celui-ci écrit en date du 21 mai 1923 à Le Corbusier : « … Je suis très dési- reux de vous donner un témoignage pour votre précieux concours dans la constitution de ma petite collection de tableaux au cours de ces der- nières années. Vous me feriez un grand plaisir en acceptant comme souvenir de ma part un tableau de Braque que vous avez choisi parmi les récentes acquisitions à la vente Kahnweiler. » À la suite de ces achats, La Roche rencontra Fernand Léger à plusieurs occasions, probablement par l’entre- mise du galeriste Léonce Rosenberg, qui l’incita à acquérir des toiles de Juan Gris et des sculptures de Jacques Lipchitz, artistes appartenant égale- ment à l’école cubiste. Leurs œuvres vinrent compléter logiquement la col- lection. Quelques paysages de Bau- chant, peintre naïf, s’y sont aussi curieusement ajoutés. À cette époque, La Roche vivait dans un appartement situé 25 bis rue de Constantine, à proximité du dôme des Invalides dans le 7e arrondissement, entouré de mobilier traditionnel mais aussi, et de plus en plus, d’art contemporain. Il écrit à ce propos à Le Corbusier en 1923 : « J’ai accroché votre grand tableau en face de mon lit ; il est vraiment admirable et me cause une grande joie. La peinture puriste se trouve concentrée dans la chambre à coucher et constitue un ensemble presque plus parfait encore que les tableaux cubistes du salon. » On notera qu’il répartira les œuvres de la même façon dans son nouveau logement. Son appartement n’était probablement pas très spa- cieux, il ne constituait nullement le cadre idéal pour y accrocher toutes ses nouvelles acquisitions. C’est en 1922, à l’occasion d’un voyage à Venise et Vicence en com- pagnie de Le Corbusier, que La Roche, envisagea de se faire construire une villa par son ami qui lui servait alors de guide pour la visite des villas et palais, construits pour la plupart par Palladio. Ils sont sans doute passés devant la villa della Rocca réalisée par Scamozzi, car le nom « La Rocca » deviendra le pseudonyme de la nou- velle résidence de La Roche (il envoie une carte postale d’Italie à l’attention de Pierre Jeanneret sur laquelle il note qu’il vient de com- mander un Havane La Rocca). Le 7 décembre 1960, Le Corbusier lui enverra un exemplaire de L’Atelier de la recherche patiente avec la dédi- cace suivante : « Voici cher Raoul La Roche, cette maison que nous avons entreprise il y a 37 années. Ce fut l’occasion de notre amitié. On la bap- tisa : « La villa della Rocca » pour faire entendre qu’on y avait mis cer- taines intentions, bien intenses, bien novatrices, bien créatrices… ». La Roche avait donc pris la décision de changer totalement d’environne- ment et de se faire construire une villa par son ami architecte, au n° 10 du Square du Docteur Blanche, à Auteuil, quartier qui se trouvait encore à la lisière de Paris. La Roche était le maître d’ouvrage parfait : il donnait carte blanche à son archi- tecte et acceptait de se laisser sur- prendre. Ce fut un Gesamtkunstwerk, parfaite mise en application des prin- cipes de Le Corbusier, avec ses meu- bles en cuir, en bois et en acier ; les sols étaient recouverts de tapis ber- bères, la nappe traditionnelle fut remplacée par des napperons de couleur et le champagne servi dans uploads/s3/ villa-la-rocca.pdf
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- Publié le Jul 06, 2022
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