• C 82/ COMPRENDRE [Les notes de travail de Pierre Bourdieu sur l'intervention

• C 82/ COMPRENDRE [Les notes de travail de Pierre Bourdieu sur l'intervention qu'il envisageai t de faire à l' 0 l' exposi tion et dans le catalogue sont publiées ici en l'état avec l'aimable autorisation de famille.] PROJET D'IIITERUENTIDN DE PIERRE BOURDIEU DANS L'EXPOSITION DE DRNIEL BUREII AU CENTRE GEORGES POMPIDOU «Jerne suis dit que, si j'avais le temps-peut-être que je le ferai d'ailleurs-, je ferais des vidéo où le côté happening serai t montré en sorte que je pourrais faire le commentaire à froid. Par exemple, au lieu de dire abstrai tement que "le mondeartistique est un champ", j'aurais des enregistrements pris dans une galerie lors d'un vernissage avec les commentaires de l'artiste et je pourrais ensui te analyser tout ce qui ressortit à la logique d'un champ.Les artistes ont une force extraordinaire, celle qui consiste, entre autres choses, à savoir rendre sensibles les choses intelligibles. Il me semble - c'est très naïf - que pour une action libératrice, une alliance du génie spécifique des artistes et de l'analyse pourrait produire des effets formidables.» Pierre Bourdieu, intervention à l' Insti tut des Hautes Études en arts plastiques, 27 avril 1993. «L' œuvre d'art est, parmi les objets ouvrés, celui qui susci te le plus de discours dans le public "cul tivé" au nomde la représentation charismatique de la production artistique comme"création" quasi di vine et de la réception commere-création, révélation inspirée sans autre fondement que l' intuition miraculeuse (l'œil") des âmes d'artistes.» Pierre Bourdieu, décembre 2001. PROJET (Notes de Pierre Bourdieu, décembre 2001) Pourquoi le sociologue est-il fondé à intervenir sur de tels sujets? La continui té est si parfai te que l'on peut se demander si toute différence ne se trouverai t pas abolie dès que l'on ferai t disparaître le souci de se distinguer du goût commun(il faut entendre bourgeois) et le sentiment d'intime conviction (enraciné dans le conservatisme) qui anime les «vrais croyants». Mais surtout la sociologie est sans cesse invoquée - tout en étant radicalement révoquée - commel'arme absolue contre l'art contemporain. Le populisme sociologique invoque le rejet (qui est avant tout ignorance qui s'ignore) de l'art contemporain pour condamner comme pure imposture la pratique mêmede cet art et comme pure forfai ture toute espèce de soutien qui peut lui être accordé par les pouvoirs publics. Dispositif à intégrer dans l' exposi tion TITRE: HABITUS III SITU ET UOX «POPULI» . (<<lepeuple» est en fait, ici, le public dit «cultivé») But: resti tuer la variation des réactions devant un décor constant, donc l'espace des perceptions et des discours possibles pour les visi teurs de l'expo (cf. Manet et les cri tiques de son temps). Ces réactions sont d'une part écri tes sur les murs dans une salle de l' exposi tion et d'autre part enregistrées par un acteur qui sera filmé, celui-ci incarnant les différents Beholders (cette expression désigne celui qui contemple, le spectateur attentif qui exprime un point de vue). Denis Podalydès joue le texte et est filmé (par une caméra fixe mais avec un cadrage, une lumière, etc., de quali té). Chaque Beholder traverse la scène, de bout en bout, commedans Helzapoppin, plus ou moins vi te selon la longueur de son texte. Il pourrai t être filmé à la veille de l'expo dans l'expo même. Faut-il caractériser socialement chaque Beholder (ton, manière de parler et aussi formules typiques caractéristiques d'une catégorie sociale)? Cen'est pas sûr car cela risque de demander beaucoup de travail à l'acteur et de n'être pas très réussi. Pour minimiser le travail de l'acteur, on pourrai t adopter la formule de la lecture (l'acteur tient ostensiblement le texte du catalogue à la main). La vidéo ainsi réalisée passe en boucle dans l'expo sur un grand écran si tué dans la pièce où se trouvent les ci tations. Des hauts-parleurs discrets dans les salles de l' exposi tion donneront le texte en boucle lu par Podalydès . • catégories (ou niveaux) de Beholders qui sont des hétéronymes de l' archilecteur: ~~'E:H èL 0 E R 2: NI V EAU DES C R IT l a U E 5 '?(décrire l'espace des points de vue) Demême qu'il est difficile de discerner entre le toc et l'authentique en matière de production :-artistique, il est difficile de faire le partage entre les perles d' incul ture et les perles de culture '~~emi -cul ti vées des cri tiques profess ionnels. ,Procéder par collages (cf. Berne-Joffroy, «Le dossier Caravage»). Le niveau 2 se défini t souvent ~tacitement ou explicitement par rapport au niveau l (<<il faut vraiment être nul pour ne pas voir qu'il ne s'agi t pas d'une simple répéti tion»). La présentation doi t faire apparaître les correspondances et instaurer une sorte de dialogue entre les niveaux. -Beholder 2.1:Buren met en question la peinture comme représentation; refus de l'illusionnisme du contenu; neutralisation du contenu illusionniste de la peinture (il continue le mouvement commencépar Manet). 0"'- Beholder 2.2:Ascétisme extrême: dépouillement des matériaux (toile de store); et de la manière: "'répéti tion, refus de l'effet, impersonnali té. Buren refuse l'illusionnisme . •/'- Beholder 2.3:Point de vue qui fai t voir; cadre (paradigme: la vue de Paris). ':"-~Beholder 2.4:Comme l'ont montré les sociologues (cf. enquêtes Bourdieu), le peuple n'aime pas l'art contemporain (idem en littérature: succès de vente constitué en critère de valeur; l'audimat): des béotiens peuvent ainsi légi timer un goût incul te par l'appel au peuple. Le populisme s'arme de la ,sociologie pour condamner l'art contemporain; vox populi vox dei. - Beholder 2.5: Cri tique du formalisme, de l'art pour l'art; pas de message. Comparaison avec Hans Haacke. ,:",,(,Ce point 2 est à développer. Il doi t comporter aussi une sélection de ci tations de bonnes cri tiques.) BE:H~LOER 1: NIVERU DE LR «VOX POPULI» :ieholder 1.1:Textes: des «perles» prises dans la presse ou le discours commun(dictionnaire des idées 'reçues); répéti tion de lieux communs;banali tés. l' acteur di t tout haut les pensées des spectateurs (pas de dialogue): «Buren c'est toujours la même ';~hôse », «Ce type n'a pas le sens commun»,«Ce n'est ni fai t ni à faire », «Un enfant en ferai t autant» (retrouver trace de ces posi tions dans les inscriptions contre les colonnes de Buren). On peut imaginer un spectateur qui di t des choses du genre: «Il faut que je ne traîne pas trop sinon je vais avoir un PVavec mavoi ture.» tJ;!eholder 1.2: (ton neutre, bonne volonté culturelle: lisant une notice avec application): «Buren est né ,~en.·Sespremières manifestations dans le cadre du groupe ...Il dénonce la servili té des artistes qui fréquentent la table des Pompidou...» '?Beholder 1.3:Dénonciation de «Buren artiste officiel» . .'?'Beholder 1.4:Le gaspillage des fonds publics; cf. «je lisais dans Le Figaro ...» ~ Beholder 1.5: «avec tout ce qui se passe en ce moment (Israël, Palestine)>> (l'art commejeu gratui t). BEHOLOER 3: NIVEAU RÉFLEXIF -Le niveau Beholder 3, c'est «le sociologue in si tu», la sociologie en si tuation artistique, ?-rtistiquement autorisée (cri tique créatrice qui met en œuvre la matrice génératrice qU'elle dégage de l'œuvre). - Beholder 3.1:Être artiste est un métier, un coup d' œil, un tour de main. Buren transforme en Buren, comme ---Midasen or, tout ce qu'il touche. En fai t toute action est le produi t d'un habi tus in si tu. L'artiste est à la fois conformi té et exception; il met en œuvre un œil spécifique, une histoire incorporée, ~individuelle et collective. D'où continui té et rupture avec ruptures ini tiales: grande création formelle consacrée par une «rétrospecti ve» dans un musée. - Beholder 3.2: ars combinatoria. Cf. Beckett, Cap au pire: pauvre d'où infini, contrainte génératrice, grammaire générative: variations de formes infinies à partir d'un peti t nombre d'éléments (d'où le «toujours pareil»). Fai t jouer toutes les possibili tés d'un clavier plastique (cf. l'expérience des vi traux: ne marchez pas dans la couleur). - Beholder 3.3:Le sociologue décri t la distance du peuple à l'art contemporain (L'amour de l'art), mais aUssi la logique du champartistique autonome qui se développe selon ses propres lois (Règles de l'art): le sociologue ne divinise pas le jugement du peuple, il l' enregistre; d'autre part, il tient ehsemble la dépossession artistique des dominés et le fai t d'une histoire autonome de la production de C 84/ CDMPREIIDRE l'art: cumulativi té, réflexivi té, progrès (jugement de valeur possible). Buren: un habi tus in si tu, un métier qui intègre toute l' histoire de la peinture. Par exemple le rappo à Duchamp:Buren inverse le geste de Duchampen portant l'art partout. Il renverse la si tuation muséa il transforme le lieu d' exposi tion en objet exposé (mais la subversion artistique reste toujours à blanc). - Beholder 3.4:Mais cet art diacri tique n'est intelligible que pour une perception diacri tique, c'est-à-dire pour quelqu'un qui maîtrise l' histoire qu'il incorpore. L'art d'avant-garde est vi de l'ignorance du grand public « cul tivé» et de ses porte-parole. - Beho1der 3.5:L'entreprise Buren: Intervention totale, il s'empare de tout, s'occupe de tout, se mêle tout (par exemple de la signalétique): appropriation, transfiguration. Buren uploads/s3/ x27-comprendre-x27-de-pierre-bourdieu-in-x27-mot-a-mot-x27-de-daniel-buren.pdf

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