YOU CAN'T BE SERIOUS ! Gershwin et l'entre-deux américain Jean Szlamowicz Belin
YOU CAN'T BE SERIOUS ! Gershwin et l'entre-deux américain Jean Szlamowicz Belin | Revue française d'études américaines 2008/3 - n° 117 pages 26 à 49 ISSN 0397-7870 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2008-3-page-26.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Szlamowicz Jean, « You can't be serious ! » Gershwin et l'entre-deux américain, Revue française d'études américaines, 2008/3 n° 117, p. 26-49. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. 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Thus, the “serious” music of the classical musician naturally enters into a dialogue with various folk cultures (especially Central European and African-American music, be it religious, orchestral, rural, etc.). Gershwin’s professional commitment and his artistic openness testify to his unprejudiced approach to art, which accounts for his music becoming a staple of three very different repertoires — jazz, pop, and “classical” music. Gershwin is even responsible for a form of mutual contamination between jazz and classical music, since jazz has borrowed operatic forms from Gershwin (Porgy and Bess has been performed by artists such as Ella Fitzgerald, Louis Armstrong, and Miles Davis), while Gershwin borrowed colours and rhythms from jazz and imported them into classical music. The logical outcome of such a mixed heritage is obvious in contemporary jazz pianist Marcus Roberts’ rendition of Gershwin’s works, which involves a symphony orchestra and a jazz rhythm section, thus harking back to Gershwin’s own double outlook. Gershwin was not an isolated case. The great composers of his time shared the same ambivalent attitude, caught between cultural ties that reflect European origins and the American universe that ultimately gave shape to their music. Harold Arlen, Jerome Kern, Irving Berlin, Richard Rodgers, Howard Dietz, Sigmund Romberg, and Alan Jay Lerner come to mind. Social factors impact aesthetic substance: the rise of a new musical form stems directly from the coming together of composers of Jewish-European origin, African-American culture and the development of show business. George Gershwin showcases a specifically American incarnation of the dialectics of art seen both as a product of contemporary folk culture and as an individual elaboration of this material in the field of “legit” music. You Can’t Be Serious ! Gershwin et l’entre-deux américain Jean SZLAMOWICZ Paris IV mots-clés/key-words Gershwin, jazz, musique savante, musique populaire, Dvorak, socio-esthétique. * Gershwin, jazz, serious music, folk music, Dvorak, social aesthetics. 26 N° 117 3e TRIMESTRE 2008 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 24.202.60.18 - 23/07/2014 09h35. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 24.202.60.18 - 23/07/2014 09h35. © Belin Many musicians do not consider George Gershwin a serious composer. But they should understand that, serious or not, he is a composer — that is, a man who lives in music and expresses everything, serious or not, because it is his native language. Arnold Schoenberg (Jablonsky 1998) American life is nervous, hurried, syncopated, ever accelerando, and slightly vulgar. George Gershwin1 (Wyatt & Johnson) En France, on connaît mal la musique américaine. Gentiment cantonnés à la subculture, le jazz et les musiques afro-américaines passent pour des hobbies de discographes un peu maniaques. Quant à la musique savante américaine, elle souffre d’ignorance, voire de mépris — ce qui vaut même pour la «période» américaine de Bartók, Hindemith ou Schoenberg (vous savez, le partenaire de tennis de Gershwin, lequel en avait peint un célèbre portrait). Ces aveuglements font figure de symptômes. L’anti- américanisme n’en est pas la seule cause : il y a aussi un puissant dogmatisme esthétique qui s’est opposé depuis cinquante ans à toute musique enracinée. Un certain Pierre Boulez a ainsi pu déclarer dès 1952: « il faut éliminer absolument toute trace d’héritage dans le vocabulaire » (Boulez 1966). Se voulant à l’origine de tout et refusant toute transmission, selon le principe narcissique de la table rase, les tenants de cette vision totalitaire ne font pas grand cas d’un artiste comme Gershwin, qui désirait au contraire rassembler dans son œuvre tous les langages de son époque. Pire même, c’est dans l’exclusive que s’est développé le dogmatisme contemporain. C’est ainsi que, pour Claude Rostand, Gershwin est « à l’origine de toute une littérature assez basse plus proche des variétés que de la musique» (Rostand 1970). Cet avis est assez saisissant au vu de la place qu’occupait Gershwin avant-guerre. Un jour de 1932, Rudy Vallée présenta George Gershwin comme «The man who made an honest woman out of jazz. […]. He has built a new music compounded of grace, vitality and dignity». C’était déjà poser les problématiques qui allaient dominer l’appréciation de sa musique. On voit qu’elles ne sont pas à proprement parler artistiques mais plutôt socio-esthétiques : ce mélange est-il digne d’être admiré ? Is it serious enough? Même les admirateurs de Gershwin se sentent obligés de justifier sa dignité artistique (en signalant par exemple que Stravinsky, Schoenberg, Ravel et Poulenc comptaient parmi ses admirateurs), ce qui participe finalement d’une attitude condescendante fondée sur des canons esthétiques de classe le plus souvent relégués au statut de non-dits : l’évidence esthétique est signe de faiblesse; l’obscurité est signe de profondeur. YOU CAN’T BE SERIOUS ! GERSHWIN ET L’ENTRE-DEUX AMÉRICAIN REVUE FRANÇAISE D’ÉTUDES AMÉRICAINES 27 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 24.202.60.18 - 23/07/2014 09h35. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 24.202.60.18 - 23/07/2014 09h35. © Belin JEAN SZLAMOWICZ 28 N° 117 3e TRIMESTRE 2008 C’est au point que Gershwin est devenu dans le langage des « spécialistes » une référence péjorative, un condensé de mauvais goût. Parlant de Messiaen, le critique Claude Samuel signale que « cette personnalité musicale est détestée par certains. Ce côté Gershwin de la Turangalîla énerve! […]. D’ailleurs, Boulez ne supporte pas non plus cette facette de sa musique2 ». La simple mention du nom de Gershwin est devenue une grossièreté, en somme… Ce mépris s’inscrit dans un contexte historiographique précis, celui du combat idéologique mené par une faction déterminée à prendre le pouvoir au sein des institutions qu’on lui a créées sur mesure. «Sous la pression d’une pensée qui associe instinctivement l’idée tonale ou l’efficacité rythmique à une facilité réactionnaire et qui voit toujours l’atonalisme comme la voie de la nécessité historique » (Duteurtre 163), la musique de Gershwin s’est vue évincée des cercles intellectuels où s’écrivait l’histoire3. En butte à une définition de la modernité qui exclut toute audibilité, Gershwin, avec sa lumineuse et tonitruante évidence, fait figure de chien dans le jeu de quilles esthético-idéologique que prétend régir le discours dominant, inchangé depuis une cinquantaine d’années. Nous avons montré ailleurs à propos de Charlie Parker (Szlamowicz, 2005b) que cette vision pseudo-progressiste était largement partagée et dépassait de loin la seule école boulézienne. Cette conception est du reste identique dans le monde du jazz et de la musique classique: l’Université et les ministères se sont chargés de répandre la bonne nouvelle et proclament la supériorité de l’atonalisme et de l’arythmie. Repris en chœur par certains musiciens, ce discours a pour lui de pouvoir se draper dans les oripeaux positivistes de la recherche: est indigne de l’histoire celui qui n’est point chercheur ! C’est ce que déclarait Boulez en proclamant que « tout compositeur est inutile en dehors des recherches sérielles» (Boulez, 1952). Loin d’être une attitude dépassée et de renvoyer à un débat désormais apaisé, le mépris anti-gershwinien resurgit avec une régularité surprenante. À l’occasion de la diffusion de Porgy and Bess sur Arte pour le centenaire de la naissance de Gershwin en 1996, le critique et professeur de stylistique Jacques Drillon se demandait sur un ton fielleux4: «et si Gershwin n’était qu’un très mauvais auteur de musiques calamiteuses?». Il poursuivait dans l’injure: «Porgy and Bess, opéra américain écrit en 1935, est une parfaite cochonnerie. Comme tout ce qu’a écrit Gershwin d’ailleurs.» Il retrouvait là le ton avilissant que l’on employait dans l’entre-deux- guerres pour parler de Porgy and Bess, celui du compositeur et critique Virgil Thomson (1896-1989), par exemple. Ce dernier écrivait en 1935 avec une condescendance où percent de nettes pointes d’antisémitisme: «One can see, through Porgy, that Gershwin has not and never did have any power of sustained musical development. It is clear, by now, that Gershwin hasn’t learned the business of being a serious composer, which one has always uploads/s3/ you-can-x27-t-be-serious-gershwin-et-l-x27-entre-deux-americain.pdf
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- Publié le Jan 29, 2021
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