Unica Zürn : Un Surréalisme de l’enfance et de la folie1. Unica Zürn aimait les

Unica Zürn : Un Surréalisme de l’enfance et de la folie1. Unica Zürn aimait les mots à la folie. Elle riait de leur chant en allemand comme en français, elle se délectait du nombre magique des lettres qui les composent en vertu des principes de la numérologie; elle vénérait surtout les mots en ce qu’ils ont parfois de traître, de réversible. Dans chacun d’entre eux, elle voyait un code secret, un mystérieux message que l’univers aurait adressé à elle seule. Par son expérience personnelle particulière au-delà des carcans de la raison, Unica semble rejoindre les surréalistes de l’après seconde guerre mondiale, de cette époque où comme l’a noté Thierry Aubert, « L’individualité bouscule ce qui la limite avec une sorte d’exubérance. »2 . Unique et seule face à ses démons internes, Unica Zürn est cependant une artiste que ses thèmes picturaux et ses images littéraires permettent de rapprocher du groupe de Breton. Fut-elle surréaliste ? Si elle n’a jamais, contrairement à Bellmer, signé de manifestes ni de tracts, Unica a néanmoins été reconnue comme artiste par les surréalistes, de fait de ses contacts avec les membres du groupe, et son amour fou avec Hans Bellmer -compagnon des dix-sept dernières années de sa vie-. Ainsi les dessins de Zürn sont-ils exposés en 1959 à la galerie Cordier dans le cadre d’une Exposition surréaliste internationale « placée sous le signe de l’érotisme »3, comme le relate son amie et traductrice Ruth Henry : Il y a bien des années de cela, en 1959, alors que je vivais depuis quelques temps déjà à Paris, je fus frappée par l’expression concentrée d’une femme au visage attirant. Cela se passait à l’occasion du vernissage de l’Exposition surréaliste internationale à la galerie Cordier. Beaucoup de surréalistes se rencontrèrent ce jour là entre amis encore une fois et peut-être pour la dernière fois. Unica était venue avec son compagnon Hans Bellmer. Les œuvres d’Unica étaient exposées à côté de celles de Bellmer, de Hans Arp, d’André Breton et de Marcel Duchamp, de celles de Matta, Meret Oppenheim, Brauner, Hérold et Man Ray. 4 Malgré la reconnaissance d’Unica par les surréalistes des dernières années (elle fut l’amie de Bonna et d’André Pierre de Mandiargues –qui préfaça L’Homme – Jasmin après la mort d’Unica- , d’Henri Michaux et de Marx Ernst), elle demeure souvent absente des anthologies concernant le mouvement (voir notamment le livre de Thierry Aubert Le Surréalisme et la mort) et dans son pays natal elle n’est même pas considérée comme surréaliste. Ruth Henry rappelle à ce sujet que 1 Pouzet, Virginie, « Unica Zürn, un Surréalisme de l'enfance et de la folie », L'Entrée en surréalisme , sous la direction d'Emmanuel Rubio, Phénix édition, Collection des pas perdus, Ivry, 2004, pp. 231-246. 2 Aubert, Thierry, Le Surréaliste et la mort : quelques perspectives , Paris, L’Age d’homme, 2001, p. 190. 3 Zürn, Unica, Vacances à Maison Blanche : Derniers écrits et autres inédits ,, Paris, Joelle Losfed, 2000, p. 77. 4 Henry, Ruth, « Rencontre avec Unica », postface à Sombre printemps, Paris, Belfond, 1985, p. 103. Pouzet-Duzer - 1 - la traduction des Manifestes qu’elle a elle-même établie, ne parut en Allemagne qu’en 1968 et que longtemps le mouvement y fut occulté : Etrangement, en Allemagne, L’Homme-Jasmin, que j’ai mis beaucoup plus de temps à faire accepter avait surtout susciter des « refus admiratifs » de la part d’éditeurs qualifiés. C’était trop tôt pour un manuscrit qui « ne montre pas un aspect univoque, ni pure fiction, ni pure documentation », mais une « forme mixte » donc « infortunée », « dérangeante », voire « unheimlich ». C’était trop tôt, là-bas, pour une œuvre d’esprit surréaliste, tout simplement. 5 En Allemagne comme en France, à cette « époque des femmes » que furent les années 70, les féministes ont alors adopté et accueilli les textes d’Unica comme des écrits typiquement féminins par leur statut hybride et par cette « inquiétante étrangeté » que pourrait traduire le mot « unheimlich » tel que Freud l’utilisait. Ruth Henry note ainsi : « La femme et la folie, c’était un sujet révélateur. Unica Zürn aura, dans la République Fédérale d’Allemagne d’alors, une réception favorable fortement marquée par les féministe. » 6 . Encore aujourd’hui, de nombreuse féministes tendent à ne voir en Unica qu’une représentante de ces femmes rendues folles par les hommes. On retrouve cette idée par exemple chez Martine Delvaux dans un texte critique intitulé « Unica Zürn et un Surréalisme affolant »7. Mais au-delà d’une simple « écriture féminine », Unica Zürn offre au lecteur un parcours vers le fond du miroir opaque de la raison. Comme le souligne Ruth Henry, « chez [Unica], une démarche solitaire de l’esprit s’amorce vers « l’autre côté » d’où nous vient son appel. Pas d’explications : « les images doivent parler d’elles-mêmes » […] Ce n’est pas de survie qu’il s’agit ici mais d’une transgression perpétuelle de la vie. »8 Le parcours d’Unica Zürn, cette « transgression perpétuelle de la vie », peuplée d’images, est lié à l’érotisme et à un certain rapport au corps qui explique certainement sa participation à l’exposition de 1959. Cependant, si l’on veut tenter de mieux connaître cette artiste à la courte existence (puisqu’elle s’est suicidée en 1970 à l’âge de 54 ans), il faudrait relire les trois vers qu’elle aimait à citer en allemand et qui peuvent éclairer ses écrits : Meine Kindheit ist das Glück meines Lebens… Meine Jugend ist das Unglück meines Lebens… Der Tod ist die Sehnsucht meines Lebens… 9 [Mon enfance est le bonheur de ma vie… Ma jeunesse est le malheur de ma vie… 5 Henry, Ruth, « Unica Zürn, la femme qui n’était pas la poupée », La Femme s’entête : la Part du féminin dans le Surréalisme, Coll. « Pleine Marge », Paris, Lachenal & Ritter, 1998, pp223-232, p224. 6 Henry, Ruth, Op. cit., p225. 7 Delvaux, Martine, « Unica Zürn et un Surréalisme affolant », Women in French Studies, Volume 3, Fall 1995, pp. 64-81, p. 64. 8 Henry, Ruth, , Op. cit., p225. 9 [Mon enfance est le bonheur de ma vie…/Ma jeunesse est le malheur de ma vie… /La mort est le désir passionné de ma vie…]Zürn, Unica, Im Staub dieses Lebens [Dans la poussière de cette vie], Berlin, Ed. Alpheus, 1980. Pouzet-Duzer - 2 - La mort est le désir passionné de ma vie…] L’enfance est en effet bien présente au cœur des textes, des dessins et de toutes les crises schizophrènes d’Unica. Dans cet amour de l’enfance, proche du goût surréaliste pour le merveilleux des contes de fée et des idéals contes bleus - tels que Breton rêve que soient les nouveaux écrits de son groupe–, dans cette nostalgie perpétuelle de l’enfance est déjà présente la folie d’Unica, sa folie qui empire lorsqu’elle écrit ses souvenirs mais dont elle ne peut guérir que par la création; paradoxe d’un difficile être au monde d’une artiste dont la création est tant survie que mort. Pour mieux comprendre comment Unica Zürn est « entrée en surréalisme », et en quoi on peut la considérer comme une artiste du mouvement de Breton, il conviendra de réfléchir non seulement aux souvenirs d’Unica et à l’empreinte de son enfance sur sa vie d’adulte, mais aussi à sa relation particulière avec Hans Bellmer, à ses expériences occultes par-delà la raison, et à l’ombre inquiétante de Thanatos qui plane sur toute son œuvre. I. « Meine Kindheit ist das Glück meines Lebens » : Unica, merveilleuse enfant « « Erotische Kindheitserlebnisse », disait-elle de ce livre, le vécu érotique de l’enfance »10. Ainsi Ruth Henry rappelle combien Unica était consciente non seulement de toute la portée érotique particulière de son livre mais aussi de sa volonté de narrer « un vécu ». Si tout est autobiographique chez Unica, comme le souligne sa traductrice, c’est que l’enfance de Zürn est bien celle relatée, malgré toutes les variations que l’on trouve dans ses écrits. Elle raconte comme elle se souvient, avec des trous de mémoires, des répétitions et tout le recul et les connaissances psychanalytiques qu’un adulte comme ellr peut avoir. Ce « vécu érotique » est donc celui d’une enfant consciente « a posteriori » de son statut de « perverse polymorphe ». La troisième personne qu’Unica préfère toujours à la première pour sous-entendre « je », pourrait être un signe du retour d’une conscience adulte sur des expériences enfantines : Tous les enfants de son âge font des expériences semblables. Les fillettes qu’elle connaît s’introduisent des crayons, des carottes et des bougies entre les jambes ; elles se frottent aux angles aigus des tables, se dandinent nerveusement sur leur chaise. Et toutes, si jeunes soient-elles, pressentent que le salut et la guérison de leurs jeunes souffrances ne peuvent venir que de l’homme. 11 Cet homme sauveur pressenti dans Sombre Printemps semble déjà être l’Homme Jasmin ou l’Homme Blanc, soit les initiales HB de Bellmer ou HM de Michaux, selon les écrits de Zürn. On retrouve étrangement l’image uploads/s3/ zurn.pdf

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